TOUT COMPRENDRE - Les nouvelles crispations diplomatiques entre la France et l'Algérie

Emmanuel Macron en voyage à Alger, en décembre 2017 - BFMTV - Ludovic Marin - AFP
Emmanuel Macron en voyage à Alger, en décembre 2017 - BFMTV - Ludovic Marin - AFP

Les tensions entre la France et l'Algérie ne cessent de s'envenimer depuis la semaine dernière. Ultime épisode de cette querelle diplomatique grandissante: l'interdiction par l'Algérie du survol de son territoire aux avions militaires français, ce dimanche.

La veille, Alger annonçait le "rappel immédiat pour consultation" de son ambassadeur à Paris Mohamed Antar-Daoud, justifié par "une "situation particulièrement inadmissible engendrée par (les) propos irresponsables" d'Emmanuel Macron.

• Quel est le point de départ de cette nouvelle crise?

Dans le collimateur, des "propos non démentis" du président français, retranscrits par Le Monde dans un article samedi. Le journal relate une rencontre deux jours plus tôt entre Emmanuel Macron et une vingtaine de jeunes descendants de protagonistes de la Guerre d'Algérie (1954-1962). Emmanuel Macron aurait déclaré qu'après son indépendance en 1962, l'Algérie s'est construite sur "une rente mémorielle", entretenue par "le système politico-militaire". Il y aurait aussi critiqué "une histoire officielle totalement réécrite" par Alger qui "ne s'appuie pas sur des vérités" mais sur "un discours qui repose sur une haine de la France".

Quelques jours plus tôt, la décision du gouvernement français de réduire de moitié les visas accordés aux Algériens et aux Marocains (et d'un tiers aux Tunisiens) souhaitant se rendre en France avait déjà déclenché la colère d'Alger - au point de convoquer l'ambassadeur français.

Le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, avait motivé celle-ci "par le fait que ces pays n'acceptent pas de reprendre des ressortissants que nous ne souhaitons pas et ne pouvons pas garder en France", dans un contexte électoral qui accorde une place centrale à la question de l'immigration.

Autre motif d'irritation pour Alger, selon les médias locaux: quand Emmanuel Macron décrit le président algérien Abdelmadjid Tebboune comme "pris dans un système très dur" puis ironise sur la façon dont l'Algérie présente, selon lui, les Français comme "les seuls colonisateurs", oubliant la domination ottomane entre le XVIème et XVIIème siècles.

• Où en étaient les relations entre les deux pays avant cet épisode?

Avant les déclarations d'Emmanuel Macron qualifiées par les médias algériens de "dérapage", les relations bilatérales n'étaient pas mauvaises.

Le président français avait ainsi fait en novembre 2020 l'éloge de Abdelmadjid Tebboune auprès de la revue Jeune Afrique, ce qui lui avait valu les critiques de la diaspora et la société civile algériennes. Le chef d'État français y avait loué le "courage" de son homologue, assurant qu'il allait faire "tout son possible" pour l'aider dans la période de transition après le Hirak.

En juillet 2020, Paris avait fait un geste envers Alger en restituant les crânes de 24 résistants algériens décapités au XIXème siècle lors de révoltes dans le sud de l'Algérie contre l'occupant français.

Autre décision appréciée par Alger: en mars 2020, la France a reconnu pour la première fois que l'avocat algérien Ali Boumendjel, mort en mars 1957, a été torturé et tué par l'armée française lors de la Bataille d'Alger.

La presse algérienne a rappelé aussi samedi qu'Emmanuel Macron jouissait de préjugés favorables pour avoir, pendant sa campagne présidentielle en 2017, qualifié la colonisation de "crime contre l'humanité", lors d'une visite à Alger.

• La "réconciliation", un "non objectif"?

La difficile quête d’une réconciliation des mémoires de la guerre d'Algérie agite la société française et la classe politique depuis des années. Les deux pays se sont mis d'accord en 2020 pour confier à des chercheurs des deux rives de la Méditerranée, un travail de mémoire dans une optique de "réconciliation".
L'historien français Benjamin Stora a remis son rapport en janvier à Emmanuel Macron, préconisant une série d'"actes symboliques" mais "ni excuse ni repentance". Alger l'a rejeté un mois plus tard comme "non objectif", reprochant l'absence de "reconnaissance officielle par la France des crimes de guerre et contre l'humanité perpétrés pendant les 130 années de l'occupation de l'Algérie".

Dans son communiqué de samedi, la présidence algérienne estime que la position prise par Emmanuel Macron "heurte les principes devant présider à une éventuelle coopération algéro-française en matière de mémoire (et) a l'incorrigible défaut de tendre vers la promotion d'une version apologétique du colonialisme." Pour l'expert Hassen Kacimi, spécialiste des questions migratoires, "la question de la mémoire est très sensible en Algérie parce qu'elle touche à l'histoire, l'âme et l'identité du peuple algérien".

Article original publié sur BFMTV.com