TOUT COMPRENDRE - Le droit à l'avortement est-il menacé aux Etats-Unis?

Manifestations pour l'avortement devant la Cour Suprême à Washington, aux Etats-Unis, le 3 mai 2022 - Kevin Dietsch / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP
Manifestations pour l'avortement devant la Cour Suprême à Washington, aux Etats-Unis, le 3 mai 2022 - Kevin Dietsch / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

876450610001_6305541760112

La Cour suprême des États-Unis - plus haute instance judiciaire américaine - semble être sur le point d'annuler l'arrêt historique "Roe v. Wade" de 1973, qui reconnait depuis près d'un demi-siècle le droit à l'avortement dans le pays, selon un projet de décision qui a fuité, publié par le média Politico. Cette annonce a fait l'effet d'une bombe à Washington.

Ces derniers mois déjà, plusieurs États américains, comme le Texas, la Floride, l'Oklahoma ou encore le Mississippi, ont voté des textes limitant l'accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), et la Cour Suprême avait montré sa complaisance à l'égard de ces décisions.

• Qu'est-ce que l'arrêt "Roe v. Wade"?

Le 22 janvier 1973, la Cour suprême des États-Unis décidait, dans sa décision historique "Roe versus Wade", que le droit au respect de la vie privée garanti par la Constitution américaine s'appliquait à l'avortement. Cette décision intervient après une plainte de Jane Roe, pseudonyme de Norma McCorvey, une mère célibataire enceinte pour la troisième fois qui avait attaqué la constitutionnalité de la législation texane faisant de l'avortement un crime.

La décision, qui a fait jurisprudence dans une majorité d'États américains où des lois similaires étaient en vigueur, stipule que "le droit au respect de la vie privée, présent dans le 14e amendement de la Constitution (...) est suffisamment vaste pour s'appliquer à la décision d'une femme de mettre fin ou non à sa grossesse".

La Cour avait toutefois précisé que le droit au respect de la vie privée n'était "cependant pas absolu". "À un certain stade, les intérêts de l'État et la protection de la santé, des critères médicaux et de la vie prénatale deviennent dominants", soulignait alors le juge Harry Blackmun. En somme, si l'avortement doit être possible dans tous les États, chaque territoire peut mettre en place des restrictions à son accès.

Que dit la Cour Suprême dans son avis?

L'avis de 98 pages daté de février, récupéré et publié par Politico, porte au départ sur une loi restreignant l'IVG dans le Mississippi, visant à réduire à quinze semaines le délai légal pour avorter. En décembre, la Cour avait déjà envoyé un signal positif à cet État, certains juges évoquant ouvertement la possibilité d'annuler l'arrêt "Roe v. Wade", et cette question est très présente dans l'avis dévoilé.

"Nous estimons que 'Roe v. Wade' doit être annulé", écrit le conservateur Samuel Alito, l'un des neuf juges de la Cour Suprême dans ce document, ajoutant que "l'avortement constitue une question morale profonde" et que "la Constitution n'interdit pas aux citoyens de chaque État de réglementer ou d'interdire l'avortement". "La conclusion inéluctable est que le droit à l'avortement n'est pas profondément enraciné dans l'histoire et les traditions de la Nation", selon lui.

La Cour Suprême doit rendre son avis sur ce dossier fin juin. Mais comme le précise le New York Times, "le document divulgué est décrit comme un projet et non comme un avis définitif. Il faudra peut-être un mois ou plus avant que la Cour suprême ne statue officiellement sur l'affaire, et cette décision pourrait différer du projet qui circule" actuellement.

• A-t-elle le pouvoir d'interdire l'avortement?

La Cour Suprême est "la juridiction suprême la plus puissante sans doute jamais constituée dans l’histoire humaine, une juridiction gardienne de la loi fondamentale américaine et véritable pouvoir judiciaire", explique le site du Conseil constitutionnel français. Elle protège, entre autres, "les droits et libertés civiques en abrogeant les lois qui violent la Constitution", souligne la plateforme du système judiciaire fédéral des États-Unis, et peut donc annuler un arrêt et la jurisprudence qui en découle.

Si le droit à l'avortement est remis en question à la Cour suprême dernièrement, c'est notamment en raison du basculement de la haute juridiction du côté conservateur. Elle est en effet composée de neuf juges nommés à vie, qui arbitrent des décisions majeures pour le pays.

Jusqu'en septembre 2020, il s'agissait de quatre démocrates et de cinq conservateurs. La mort de la démocrate Ruth Bader Ginsburg a entraîné la nomination d'une nouvelle personne pour la remplacer, une décision prise par le président américain, alors Donald Trump. Ce dernier a, sans surprise, nommé une personne conservatrice, la juge Amy Coney Barrett, faisant totalement basculer la Cour Suprême côté conservateur.

Toutefois, comme le répètent les associations de protection de l'IVG aux États-Unis ces dernières heures, l'avortement est encore possible pour le moment. Cet avis "est scandaleux, c'est sans précédent, mais ce n'est pas définitif. L'avortement est votre droit - et il est TOUJOURS LÉGAL", martèle le planning familial.

En effet, annuler l'arrêt "Roe v. Wade" n'interdira pas l'IVG aux États-Unis, les États qui le souhaitent pourront continuer à l'autoriser. En revanche, cela permettra aux territoires qui essayent de contraindre sa possibilité depuis des années de l'interdire purement et simplement, ce que la jurisprudence empêche aujourd'hui.

Quels États pourraient interdire l'IVG?

D'après le Center for reproductive rights (organisation américaine pro-avortement), si l'arrêt tombait, "le droit à l'avortement serait protégé dans moins de la moitié des États américains". Il se retrouverait en danger dans le Texas, l'Arizona, mais aussi le Dakota du Sud, le Dakota du Nord, le Michigan, la Géorgie ou encore le Kentucky.

D'après une carte de l'Institut Guttmacher, organisme qui défend le droit des femmes à l'IVG, "si la Cour suprême des États-Unis affaiblit ou annule 'Roe v. Wade', 26 États sont certains ou susceptibles d'interdire l'avortement."

Les femmes vivant dans ces États voulant avorter malgré une interdiction devraient donc se déplacer dans les territoires où cela est autorisé, ce qui peut représenter par endroits des centaines de kilomètres de route, un trajet qu'elles n'ont pas toutes les moyens de financer.

En février, l'association Planned Parenthood a révélé que le nombre de patientes originaires du Texas, après un resserrement drastique du droit à l'avortement dans cet Etat, avait augmenté de presque 800% dans les cliniques d'avortement de l'Oklahoma, du Nouveau-Mexique, du Kansas, du Colorado et du Missouri.

Le droit à l'avortement "devrait être codifié dans la loi, et nous nous engageons à le défendre avec tous les outils dont nous disposons", assurait la Maison Blanche fin janvier dans un communiqué. "Nous sommes profondément déterminés à protéger l'accès aux soins de santé" et "à veiller à ce que ce pays ne recule pas en matière d'égalité des femmes".

Article original publié sur BFMTV.com