La Commission européenne interrogée sur l'attribution de milliards d'euros d'aide à la Hongrie
Les commissaires Didier Reynders (Justice), Nicolas Schmit (Emploi) et Johannes Hahn (Budget) ont été interrogés concernant le déblocage d'un fonds d'aide pour la Hongrie, que la Commission européenne avait précédemment paralysé en raison de préoccupations persistantes concernant l'Etat de droit dans le pays.
Le principal point de discorde concernait le contexte particulier de la décision, prise à la mi-décembre, de débloquer 10,2 milliards d'euros en réaction à la réforme judiciaire adoptée par Budapest visant à réduire l'ingérence politique, un jour avant un sommet des dirigeants de l'UE aux enjeux considérables.
La réforme avait été conçue pour satisfaire quatre "super étapes" que Bruxelles avait imposées comme condition à la reprise des paiements et à la garantie d'un contrôle adéquat de l'argent des contribuables.
Cette décision a exaspéré le Parlement, qui y a vu une capitulation devant les exigences de Viktor Orbán, un manquement à ses devoirs et un affront aux droits fondamentaux. L'hémicycle a menacé de lancer une action en justice contre la Commission si d'autres fonds étaient débloqués.
Un déblocage décidé dans un contexte d'urgence
Avant le sommet, le Premier ministre hongrois avait prévenu qu'il opposerait son veto à l'ouverture des négociations d'adhésion de l'Ukraine à l'UE et à un fonds exceptionnel de 50 milliards d'euros destiné à fournir à Kiyv un soutien financier fiable jusqu'en 2027. Ce ton belliqueux a sonné l'alarme à Bruxelles et a alimenté les spéculations selon lesquelles la réunion se transformerait en un fiasco embarrassant pour l'Union européenne. Finalement, Viktor Orbán a accepté les négociations d'adhésion mais a fait échouer le plan de 50 milliards d'euros.
Dans leurs interventions, les députés ont fait valoir que la Commission s'était empressée de donner son feu vert aux 10,2 milliards d'euros quelques heures seulement après que la Hongrie ait publié le dernier volet de la réforme judiciaire dans son journal officiel. Cette décision extrêmement rapide a rendu impossible l'examen de la nouvelle loi et de sa conformité avec les "super étapes".
"Le hasard a voulu que ce soit juste avant le sommet", déclare Eider Gardiazábal, des socialistes, qui a ajouté : "normalement, les coïncidences ne sont pas si fortuites".
"Bien sûr, c'était politique", avance Moritz Körner, du groupe libéral, "il fallait convaincre Viktor Orbán".
"En politique, tout est toujours ce qu'il semble être", déclare l'eurodéputé finlandais Petri Sarvamaa.
Katalin Cseh, une politicienne hongroise du parti d'opposition Momentum, a émis une réprimande cinglante, accusant la Commission d'ignorer les "signaux d'alarme" que les experts hongrois et internationaux avaient envoyés à propos des lacunes et des failles de la réforme judiciaire.
"Le temps nécessaire à l'examen de la loi n'était tout simplement pas disponible", avance Katalin Cseh, "car tout cela faisait partie d'un accord de fond. Il est évident que la Commission n'a pas pu contrôler correctement la mise en œuvre de la loi, ce qui était également une exigence".
Les commissaires affirment que la décision a été prise en connaissance de cause
Face à l'avalanche de critiques, les trois commissaires ont maintenu que la Hongrie avait fourni suffisamment de preuves pour démontrer qu'elle respectait les quatre "super étapes", qui comprenaient des mesures visant à renforcer le Conseil national de la magistrature, un conseil de surveillance autonome, et à sévir contre l'ingérence politique au sein de la Cour suprême.
"La Commission était légalement tenue de prendre une décision", déclare Didier Reynders.
Nicolas Schmit fait remarquer que la décision de décembre ne déclenchait pas "automatiquement" un paiement de 10,2 milliards d'euros à Budapest, mais seulement la possibilité de demander des remboursements pour les projets de développement menés sur le terrain. Jusqu'à présent, seuls 485 millions d'euros ont été transférés, ajoute-t-il.
Le trio a rappelé à la salle qu'à ce jour, la Commission retient toujours près de 12 milliards d'euros de la part des fonds de cohésion allouée à la Hongrie et la majeure partie de son plan de relance et de résilience de 10,4 milliards d'euros, car Budapest n'a pas respecté les autres étapes liées à des questions telles que les conflits d'intérêts, les droits des personnes LGBTQ+ et la liberté académique.
Mais selon les estimations des députés, en vertu du règlement qui régit les fonds de cohésion, la Commission aurait pu attendre neuf jours supplémentaires pour approuver le déblocage des fonds. Cela aurait permis d'avoir plus de temps pour examiner la législation et d'éviter la coïncidence avec le sommet européen.
Les législateurs se sont également plaints que l'exécutif ait accéléré son approbation de la réforme judiciaire sans attendre de voir ses effets pratiques sur les tribunaux et les magistrats.
"La grande question qui se pose ici est la suivante : y a-t-il eu une véritable évaluation des progrès réalisés en matière d'indépendance du pouvoir judiciaire en Hongrie ? Ou s'agit-il d'un accord politique pour se débarrasser du veto de Viktor Orbán ?" interroge Daniel Freund, du groupe des Verts.
"Vous vouliez que cette question soit réglée avant que les dirigeants ne se rencontrent", ajoute-t-il.
Dimitrios Papadimoulis, de la gauche, a critiqué la Commission pour avoir donné l'impression de "céder" à Viktor Orbán, qui a demandé à plusieurs reprises le dégel de la totalité de l'argent, et de ne rien obtenir en retour, étant donné que le fonds de 50 milliards d'euros pour l'Ukraine reste bloqué dans les négociations, malgré le besoin urgent de soutien de Kiyv.
"Les questions relatives à l'État de droit sont bien trop importantes pour être impliquées dans de tels marchandages", considère Dimitrios Papadimoulis.
Didier Reynders a répliqué en affirmant que tous les éléments de la réforme judiciaire avaient fait l'objet de négociations approfondies entre Bruxelles et Budapest, et que la Commission connaissait "très bien" le contenu des lois avant leur publication au journal officiel.
"Vos réponses sont évasives", déclare Monika Hohlmeier, la conservatrice qui préside la commission du contrôle budgétaire du Parlement, "ce qui me manque ici, ce sont des faits réels".