Comment la procrastination peut devenir un cauchemar pour ceux qui en sont victimes
Ce lundi 25 mars est la journée mondiale de la procrastination. Définition, causes, conséquences… Voici ce qu’il faut savoir sur ce phénomène.
"Ne remets pas à demain ce que tu peux faire après-demain". Cette citation d’Alphonse Allais, écrivain et humoriste de la fin du XIXe siècle, prend tout son sens pour un procrastinateur. À l'honneur ce lundi 25 mars puisqu'il s'agit de sa journée mondiale, la procrastination était un terme encore méconnu du grand public au début des années 2010. Mais aujourd’hui, nous sommes désormais bien plus nombreux à être capables de mettre un mot sur ce phénomène, qui nous touche finalement un peu tous à différents niveaux. Mais alors, la procrastination, c’est quoi finalement ? Quelles en sont ses conséquences et ses causes ? Pour en savoir plus, nous avons interrogé plusieurs spécialistes de ce sujet.
Comment définir la procrastination ?
"C’est tout simplement le fait de remettre nos tâches au lendemain", nous explique Jean-Yves Ponce, auteur du livre Vaincre la procrastination. Cette simple définition résume parfaitement ce phénomène, plus complexe qu’il n’y paraît. "C’est une tendance à reporter indéfiniment les choses qu’on a à faire", affirme de son côté Patrice Ras. Conférencier et expert en développement personnel, il s’est penché sur le sujet et en a livré ses conclusions dans Aujourd’hui, j’arrête de tout remettre à demain : Halte à la procrastination. Selon lui, “c’est une manie, une maladie de l’action. Les gens qui procrastinent sont normaux mais ils ont une difficulté presque pathologique à passer à l’acte".
Un phénomène qui touche différents domaines
Coach d’entreprise et formateur, Jean-Pierre Soulier définit la procrastination comme étant "un comportement avant tout. Cela concerne des domaines spécifiques de notre vie". C’est tout à fait vrai. Il est possible de procrastiner dans tous types de cadres. "Le cas fréquent auquel on pense souvent, c’est l’administratif". Jean-Pierre Soulier a pu observer ce phénomène un peu par hasard, dans un autre secteur. Auparavant manager, il a pu constater “des cas un peu forts et extrêmes” de procrastination en entreprise. C’est ce qui l’a poussé à en faire un livre, La procrastination. Pour autant, les tâches que l’on reporte le plus souvent en France ne sont pas forcément professionnelles, puisqu'il s'agit du tri et du rangement, selon une étude d’Opinion Way pour le site JeChange.fr.
Sommes-nous tous procrastinateurs ?
Selon cette enquête menée en mars 2018, les actifs et étudiants français procrastinent en moyenne 1h54 par jour. Cela représente 18 jours ouvrés par an. Est-ce un phénomène qui nous concerne tous ? Sans doute, mais à différents degrés et dans divers domaines plus ou moins importants. "La procrastination touche presque tout le monde. L’être humain a tendance à économiser son énergie et recherche donc la facilité. Il évite ce qui est long, douloureux, compliqué et inconfortable", explique Patrice Ras. Rien de bien méchant donc, aux premiers abords. Seulement, elle s’avère bien plus problématique lorsqu’elle est pratiquée régulièrement. "Selon une étude du Professeur Ferrari de l’Université DePaul de Chicago, il y a environ 20% de procrastinateurs chroniques", nous affirme Jean-Pierre Soulier.
Des conséquences potentiellement désastreuses
"C’est souvent un comportement qui prête à sourire, mais dans certaines circonstances, ça peut devenir très pénalisant pour une personne". Ce constat de Jean-Pierre Soulier se vérifie. Selon le domaine dans lequel on procrastine, les conséquences peuvent s’avérer plus ou moins importantes. Pour Hélène Nguyen Gateff, auteure du livre En finir avec la procrastination, les désagréments sont inévitables. "La vraie procrastination, celle qui amène une personne à avoir sous le coude une liste de tâches qui s’allonge de jour en jour, aura tôt ou tard un impact négatif sur sa vie professionnelle et personnelle". Ce comportement va générer tout un tas d’émotions négatives chez l’individu. "Le fait de procrastiner peut entraîner un sentiment de culpabilité et de stress permanent. Du coup, on va se dévaloriser, avoir peur d’être décevant aux yeux des autres et vouloir les éviter", explique Aurélie Dorchy, auteure de Comment venir à bout de sa procrastination.
Différence entre paresse et procrastination
"À force de reporter et de rater des choses, la confiance en soi et l’image de soi sont attaquées. On sait qu’on n’est pas capables de remplir nos obligations, qu’on a reportées pour de mauvaises raisons", détaille Patrice Ras. Le procrastinateur va culpabiliser et c’est en ça qu’il diffère du paresseux. Jean-Yves Ponce, qui a fait une vidéo à ce sujet sur sa chaîne YouTube, nous explique la distinction. "Le paresseux n’a pas envie de changer les choses. Il n’est pas malheureux. Le procrastinateur, lui, voit qu’il a un problème, mais il ne sait pas comment le résoudre. Il sait que ce problème va le gêner et qu’il risque d’avoir des conséquences néfastes sur sa vie. Celui qui procrastine a envie de changer les choses, mais il ne sait pas comment faire. Il est désespéré parce qu’il a testé des choses, mais qui ne sont pas durables ou applicables".
Pertes de productivité et d’opportunités
En entreprise et durant les études, on observe une perte de productivité. Contrairement à ce que certains procrastinateurs pensent, ils ne sont généralement pas plus efficaces en travaillant à la dernière minute. “Ça part d’une croyance. Alors évidemment, dans le stress, il y a de l’adrénaline. Mais il y a plein de tâches qu’il vaut mieux faire de manière itérative plutôt que sous stress“, selon Jean-Pierre Soulier. “Dans un délai court, on bâcle les choses“, affirme Patrice Ras. Pour Jean-Yves Ponce, c’est “la seule façon que les procrastinateurs ont trouvée pour travailler de façon intense et qualitative“. Mais sauf exception, la tâche effectuée sera de moins bonne qualité. Jugé peu fiable en entreprise s’il rend un travail bâclé ou en retard, le procrastinateur aura moins de chances d’obtenir une promotion. Idem pour l’étudiant qui se présente à un concours en ayant attendu le dernier moment pour commencer à réviser.
“La procrastination ressemble à un comportement de sabotage”
Jean-Pierre Soulier
La procrastination, un risque pour nos relations
“On peut perdre énormément de choses, du temps, de l’énergie, de l’argent, des opportunités“, explique Patrice Ras. “Ça peut aller jusqu’à certaines choses irrationnelles, voire même isoler socialement“, selon Jean-Yves Ponce. En effet, la procrastination peut détériorer nos relations. Dans le cadre d’un travail en équipe par exemple, un comportement procrastinateur peut être générateur de stress pour vos collègues dont le travail dépend du vôtre. Il peut également jouer un rôle négatif sur nos relations amicales ou amoureuses. “Si mon conjoint ou mes amis attendent quelque chose de moi que je ne fais pas, cela risque de créer des tensions, de la colère, voire des conflits ou des ruptures“, détaille Patrice Ras. “On peut être de mauvaise humeur et un peu moins présent”, d’après Jean-Yves Ponce. Selon lui, cela s’explique par la grande quantité d’énergie utilisée… pour procrastiner. Vraiment ? Mais comment ça marche ?
Comment se manifeste la procrastination ?
Jean-Yves Ponce nous livre ses explications plus détaillées sur le sujet. “La procrastination se manifeste lorsque vous faites face à une tâche qui vous procure du stress. Votre cerveau, qui est programmé pour vous éviter la douleur, est alerté de ce stress. Lorsque vous faites face à cette situation d’inconfort, vous allez l’éviter en procrastinant et en jouant à des jeux vidéo par exemple. Cela procure généralement un sentiment de bien-être pour contrebalancer, pour éviter la souffrance“. Ce stress continue de grandir à l’approche de l’échéance et le comportement procrastinateur persistera. “C’est comme une drogue, il va vous en falloir de plus en plus“, nous explique-t-il. Jusqu’à un certain point où il n’y aura plus d’échappatoire possible et la seule solution viable sera le travail en urgence. Jean-Pierre Soulier compare également la procrastination à une addiction, dans le sens où “on y revient régulièrement“.
“La déclaration d’impôts en retard, c’est 10% de pénalité à payer en plus. C’est un cas de procrastination où l’on perd de l’argent et c’est un peu bête…”
Patrice Ras
La peur, source principale de procrastination ?
La procrastination “est liée à une rupture du ressort de la volonté d’agir“, selon Hélène Nguyen Gateff. On recense désormais de nombreuses causes qui peuvent expliquer ce phénomène. “Il s’agit d’un comportement donc d’un individu à l’autre, cela peut varier“, explique Jean-Pierre Soulier. Pour Jean-Yves Ponce, la peur est très souvent à la source de la procrastination. Il distingue trois types de peurs : “la peur de l’échec, la peur de ne pas savoir par où commencer et la peur de réussir ou peur du changement“. Cette dernière, plus surprenante, s’explique par les grands changements qui pourraient survenir suite à un succès. On sortirait donc de notre zone de confort. Aurélie Dorchy en parle comme étant “la peur d’avoir davantage de responsabilités si notre travail est apprécié“.
Des causes multiples de procrastination
Quels autres facteurs peuvent conduire à un comportement procrastinateur ? Pour Patrice Ras, les trois causes principales sont “le manque de motivation, le manque d’organisation et la personnalité de l’individu. Et dans la personnalité, il y a le manque de confiance en soi, mais aussi et surtout le manque de maturité”. De son côté, Aurélie Dorchy évoque également des causes plus psychologiques. “Parmi celles-ci, on retrouve par exemple l’impression que ce sera moins bien en vrai, c’est-à-dire l’idéalisation ou encore le perfectionnisme, qui fait que l’on n’est jamais satisfait“. La faible estime de soi, conséquence de la procrastination, peut également en être une des causes. Le procrastinateur ne se sent pas capable d’effectuer telle ou telle tâche et finit donc par ne pas la faire. La dépendance est également un facteur probable de procrastination avancé par Patrice Ras.
La procrastination liée à notre hygiène de vie ?
Hélène Nguyen Gateff nous livre d’autres pistes à explorer pour expliquer ce phénomène, notamment “le manque de sommeil et une alimentation déséquilibrée“. Une enquête Odoxa-MNH pour le Figaro Santé montre que les Français dorment désormais moins de sept heures par nuit en moyenne. Il est donc probable qu’une mauvaise hygiène de vie puisse emmener tout droit vers de la procrastination, puisque comme le rappelle Jean-Yves Ponce, c’est un phénomène “qui est en lien avec la concentration“. Être en pleine forme grâce à un mode sain de vie nous permet d’être plus concentrés et pourrait nous aider ainsi à éviter un comportement procrastinateur, pour certains cas. Enfin, une étude scientifique publiée en août 2018 dans Psychological Science tend à démontrer qu’il existe une zone du cerveau liée à la procrastination, l’amygdale.
Et le rôle de l’émergence du numérique dans tout ça ?
De nos jours, le temps passé sur nos smartphones symbolise parfaitement la procrastination. Les nouvelles technologies ne sont pas une cause directe de ce phénomène, mais elles tendent à l’amplifier. D’après Jean-Pierre Soulier, il y a là “un terrain favorable à la procrastination“. “Ce n’est pas un hasard si c’est au XIXe siècle que le mot procrastination est devenu plus utilisé, avec la révolution“, explique de son côté Hélène Nguyen Gateff. “Le confort et l’accès que l’on peut avoir à tout dans l’immédiat favorisent la procrastination“, selon elle. Du point de vue d’Aurélie Dorchy, “les nouvelles technologies ne sont pas à diaboliser, mais elles sont chronophages, surtout quand on est convaincu qu’il faut absolument tout voir, tout lire“. Si tout dépend de l’individu et de son intérêt pour ce domaine, le procrastinateur chronique arrivera à ses fins, peu importe les moyens. La procrastination ne date certainement pas d’aujourd’hui.
Y a-t-il des effets positifs à la procrastination ?
Si on en sait désormais un peu plus sur ce phénomène, une autre question se pose également. Existe-t-il des bénéfices à avoir un comportement de procrastination ? Les spécialistes interrogés s’accordent à dire que oui, le principal étant le plaisir immédiat. “Là, c’est d’abord le réconfort puis l’effort“, explique Patrice Ras. Cependant, c’est à nuancer puisque lorsqu’il procrastine, l’individu culpabilise, étant donné qu’il pense malgré tout à la tâche qu’il a à effectuer et il ne profite donc pas pleinement de son activité de “détente”. Il arrive même de procrastiner pour des tâches qui seraient pourtant bénéfiques si elles étaient effectuées. “Dans tout comportement, il y a un gain et une perte“, éclaircit Jean-Pierre Soulier. Mais en faisant la balance, il ne semble clairement pas y avoir match…