Comment Elon Musk a rendu la tribu amazonienne Marubo accros aux écrans

Grâce à ses satellites Starlink, Elon Musk a mis Internet à disposition d’un village reculé d’Amazonie. Celui-ci est maintenant victime des mêmes affres de la technologie que le reste du monde.

En septembre 2023, une Américaine a fait don de 20 satellites à l'une des communautés les plus isolées au monde, les Marubo, dans la jungle amazonienne (image d'illustration : Getty images)
En septembre 2023, une Américaine a fait don de 20 satellites à l'une des communautés les plus isolées au monde, les Marubo, dans la jungle amazonienne (image d'illustration : Getty images)

En septembre 2023, ils ignoraient tout d’Internet. Jusque-là, le peuple Marubo faisait partie des dernières tribus isolées de l’Amazonie brésilienne, à l’instar d’autres tribus comme les Fleicheiros qui cohabitent elles aussi dans l’État d’Amazonas. Enclavés dans la jungle, les Marubo comptaient entre 1 000 et 2 000 habitants durant cette dernière décennie.

C'est Jack Nicas, correspondant au Brésil pour le New York Times, qui a tiré la sonnette d'alarme dans un article publié cette semaine par le média américain. Il y a neuf mois, les villages du peuple Marubo ont reçu des antennes Starlink, le service Internet haut débit par satellite de la société Space X d’Elon Musk. Celle-ci a lancé 6 000 satellites en orbite basse afin d’améliorer la connexion Internet de nombreux endroits, même isolés "tels que le Sahara, les prairies mongoles et les petites îles du Pacifique".

Mais pour les Marubo, c’est bien "une femme de l’Oklahoma", Allyson Reneau, philantrophe autoproclamée et controversée, qui a fait don de plus de 20 antennes Starlink à la tribu indigène pour la somme de 15 000 dollars. Une nouveauté qui a changé pour toujours leur regard sur le monde. Accompagné d’un photographe, Jack Nicas a parcouru 80 kilomètres à travers la forêt amazonienne pour observer les conséquences de cette arrivée technologique.

La communauté indigène Marubo vit dans des huttes sur plusieurs kilomètres le long de la rivière Ituí, possède sa propre langue ; son peuple vit de la cueillette, la pêche, la chasse à la machette. Ils cohabitent avec les singes-araignées (que certains possèdent comme compagnons de jeu) et boivent de l’ayahuasca. Les Marubos fabriquent des bijoux, façonnent des teintures pour le corps, dorment, cuisinent et mangent ensemble.

Depuis la diffusion d’Internet au sein de leur tribu autochtone et l’arrivée des satellites payés par Allyson Reneau (que les hommes ont transporté à travers la forêt, sur leur dos ou en bateau), les écrans ont pris le dessus.

"Les adolescents parcouraient Instagram. Un homme envoyait un texto à sa petite amie. Des hommes se sont rassemblés autour d'un téléphone diffusant un match de football pendant que la première femme dirigeante du groupe parlait", raconte Jack Nicas.

Après leur avoir permis de multiplier les communications et appels d’urgences avec leurs proches, "les choses ont empiré", explique Tsainama Marubo, 73 ans au New York Times. "Les jeunes sont devenus paresseux à cause d’Internet. Ils apprennent les méthodes des Blancs."

Réseaux sociaux, jeux vidéo violents, escroqueries, désinformation et pornographie accessible aux mineurs… Les Marubos font désormais face aux même problèmes que les internautes du monde entier. "Nous craignons que les jeunes veuillent essayer", a déclaré Alfredo, chef d'une association de villages Marubo, à propos du sexe explicite dans les vidéos, après avoir notamment observé "des comportements sexuels plus agressifs de la part des jeunes hommes".

"Cela a tellement changé la routine que cela a été préjudiciable. Au village, si on ne chasse pas, ne pêche pas et ne plante pas, on ne mange pas", admet Enoque, 40 ans, l’un des dirigeants Marubo.

Pourtant, c’est ce même Enoque, un temps graphiste pour Coca-Cola à la ville, qui réclamait l’accès de sa tribu à une connexion Internet quelques années auparavant. Depuis l’exaucement de son souhait, et même s'il y voit des avantages, il fait plutôt partie des dirigeants Marubo qui réclament des limites. Ceux-ci ont donc choisi d’activer Internet uniquement "deux heures le matin, cinq heures le soir et toute la journée du dimanche", rapporte le New York Times.

Toutefois, certains voient des côtés positifs à cette plus grande rapidité de communication : "Une morsure de serpent venimeux peut nécessiter un sauvetage rapide par hélicoptère", quand auparavant, un message d’urgence nécessitait d’être transmis par radio amateur.

Pour la plupart des Marubo, l’appel d’Internet est et restera irrésistible. "S'il vous plaît, ne nous enlevez pas notre Internet", demande Tsainama Marubo, la même septuagénaire qui en énumérait les inconvénients peu avant.