Colère au volant : si vous êtes souvent énervé sur la route, c’est normal et voici pourquoi

En plein chassé-croisé, le stress de la route peut parfois nous faire perdre notre sang-froid. Mais pourquoi sommes-nous souvent si énervé en voiture ? On a demandé à un expert.

Être en colère au volant, c’est normal.

VOITURE - Bison Futé voit noir pour ce samedi 5 août, qui devrait être la journée la plus chargée de l’été sur la route, dans le sens des départs. Et si les vacances sont censées être un moment de détente et de convivialité, difficile de ne pas avoir les nerfs à vif quand on se retrouve coincé dans les bouchons.

Mais pourquoi la voiture nous fait-elle si souvent perdre notre sang-froid ? Que se passe-t-il derrière le volant pour que l’on se retrouve à insulter quelqu’un qu’on traiterait normalement avec respect ? Pour mieux comprendre ce qui se cache derrière nos montées d’adrénaline sur la route, Le HuffPost a interrogé Jean-Pascal Assailly, psychologue, expert pour le Conseil national de la sécurité routière, et auteur de Homo automobilis ou l’humanité routière (éd. Imago).

Le HuffPost. On a parfois l’impression qu’en termes de colère, on se permet des choses sur la route qu’on ne se permettrait pas ailleurs. Est-ce qu’il y a vraiment une différence entre notre comportement au volant et dans la vie ?

Jean-Pascal Assailly. Les chercheurs en sécurité routière se sont posé cette question. Est-ce que le style de conduite de quelqu’un reflète ce qu’il est dans la vie ? Chez certains, il y a une correspondance entre le comportement dans la vie et sur la route. Si vous étudiez le bilan routier des gens qui sont en prison, par exemple, il n’est pas bon. Vous allez voir des accidents, des infractions, des suspensions de permis. Le rapport à la règle est altéré de manière générale. Il y a deux groupes chez qui on observe cette correspondance, ce sont les délinquants et les personnes en situation de forte exclusion sociale.

Mais chez les autres, ce qu’on voit justement, c’est que la voiture va générer des comportements spécifiques que les gens n’auraient pas chez eux, au bureau, ou même sur le trottoir. On peut avoir des gens qui sont très prudents quand il s’agit de leur taux de cholestérol, de leur compte en banque… Mais qui, dès qu’on les met sur la route, font n’importe quoi. C’est un peu l’hypothèse du mouton qui, dès que vous lui mettez un volant entre les mains, devient un lion enragé.

Comment expliquer ce clivage ?

Il n’y a pas qu’un seul facteur qui l’explique. Mais déjà, un premier facteur, c’est l’évolution de l’objet voiture en lui-même. Dans les voitures de nos parents, on ressentait beaucoup les vitesses, le monde extérieur. Alors qu’aujourd’hui, les voitures sont des secondes maisons. On a créé des bulles, où on a supprimé le plus possible les bruits et le chaos extérieur. Mais l’effet secondaire, c’est que dans ces bulles, le monde extérieur n’existe presque plus. Or, pour modérer la colère et la violence, c’est toujours bien, entre êtres humains, d’utiliser la parole et le regard. Ça permet de désamorcer des choses. Tout ce qui isole les êtres humains les uns des autres est un facteur de l’augmentation de la violence.

Par exemple, tout le monde a déjà eu affaire à un conducteur qui est venu se coller à deux mètres de votre pare-chocs arrière parce que vous ne rouliez pas assez vite pour lui. La sécurité routière dira que c’est une infraction, parce que c’est un non-respect des distances de sécurité. Mais si cette personne, au lieu de faire ça avec sa voiture sur votre voiture, faisait ça avec son corps, alors que vous étiez tous les deux piétons, vous ne diriez plus « infraction routière et non respect de ma distance de sécurité ». Vous diriez enfin le vrai mot : agression. Dans ce cas-là, vous voyez que c’est de la violence, mais au volant, vous ne l’identifiez plus comme tel.

Pourquoi est-ce qu’on ne perçoit pas cela comme de la violence au volant ?

Parce qu’en France, où l’on a supprimé beaucoup d’autres causes de violence, l’agressivité au volant est l’une des dernières violences « légitimes », que l’on peut s’autoriser, parce qu’elle n’est pas perçue comme de la violence par la société.

Un autre facteur qui joue dans la violence au volant, c’est l’idée de l’anthropologue René Girard de « la rivalité mimétique du désir » : les êtres humains ne désirent que ce qu’ils n’ont pas et que quelqu’un d’autre a. Le mec qui vous colle à deux mètres derrière, c’est aussi une forme de rivalité mimétique du désir, il vous dit : « Le bout de bitume qui est devant toi, il n’est pas à toi, il est à moi, parce que toi tu l’empruntes à 130 et moi je veux l’emprunter à 150, donc tu dégages. » C’est une volonté d’appropriation personnelle d’un lieu qui normalement est public. Et ça, c’est quelque chose de très animal.

Quand on est coincé dans les bouchons, on peut avoir un sentiment de colère qui n’est pas dirigé vers un individu en particulier mais une situation, non ?

Il y a d’abord la question du rapport à l’espace. C’est-à-dire la relation entre l’espace disponible et l’agressivité. En la matière, les rats, les éléphants et les hommes sont pareils. Vous mettez dix rats dans une chambre, ça va. Mais vous en mettez quinze et tout de suite vous voyez des phénomènes de violence et d’agressivité apparaître. Chez les hommes, c’est la même chose : il y a un rapport très net entre congestion du trafic et phénomènes d’agressivité.

Et puis, il y a le rapport au temps. Sur ce point, assister à un stage de récupération de points est un bon poste d’observation. Pendant deux jours, on leur transmet des connaissances sur l’alcool, la vitesse, le téléphone… Ils ne sont pas forcément opposants, ils savent bien qu’on n’est pas en train de leur mentir. Mais, ils vont aussi vous dire « c’est tellement le stress dans toute ma vie, comment voulez-vous que je sois zen au volant ? ». Et ça, les études montrent que c’est spécifiquement français. Le conducteur français va expliquer son stress et donc son agressivité routière par des causes totalement extérieures à la route.

La route est donc le lieu d’expulsion d’autres colères ?

C’est exactement ça. Quand le conducteur ferme la portière et rentre dans sa voiture, toute sa vie rentre dans sa voiture. Et tous les problèmes de sa vie rentrent dans sa voiture. Toute la société se déverse sur la route tout le temps.

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