Claudia Tagbo dans La Face Katché : "J'ai beaucoup pleuré, oui, beaucoup. Il y a eu beaucoup de portes fermées"

Née en Côte d'Ivoire, Claudia Tagbo s'installe en France à la fin du primaire. Grâce à son éducation, elle vit une enfance relativement insouciante malgré les remarques de ses camarades sur sa couleur de peau. Aînée de sa fratrie, elle apprend à mentir et à sourire devant son frère et sa sœur. Celle qui a beaucoup pleuré et qui a découvert l'amour sur le tard a fait de son rire une force, qu'elle n'hésite pas à dégainer pour aller de l'avant. Inspirante, l'humoriste et comédienne a évoqué son parcours avec Manu Katché dans "La Face Katché".

Claudia Tagbo naît à Abidjan, en Côte d'Ivoire. Elle fait ses premières années de classe à l'école française, où des enfants d'expatriés sont inscrits. L'humoriste décrit les premières années de sa vie comme assez insouciantes, même si elle aimerait parfois ressembler à une de ses camarades : "Ma meilleure amie s'appelait Blanche, elle avait des taches de rousseur. Moi-même, j'ai pris des crayons après, j'ai fait (elle se pointe le visage plusieurs fois du doigt; ndlr) pour avoir des taches de rousseur. On m'a expliqué que ce n'était pas possible. Ma copine Blanche, elle a les cheveux longs, lisses, t'as envie de faire comme elle, donc tu te mets des serviettes (elle mime le fait de mettre une serviette sur sa tête; ndlr)", a-t-elle confié à Manu Katché. (Retrouvez l’intégralité de l’interview en fin d’article)

"Comment ça se passe, chez vous ?"

À la fin de son cursus à l'école primaire, assez banal, Claudia Tagbo déménage en France, à Chanac, en Lozère, où elle habite avec son père, la femme avec qui il s'est remarié et ses frères et sœurs. Sa mère, vit, elle, à Paris. En plus de l'absence de cette dernière, la comédienne doit composer avec un nouveau changement à son arrivée en France. Être, en tant que petite fille noire vivant en Lozère, une minorité. Une réalité bien différente de la Côte d'Ivoire.

Dans son établissement en France, l'écolière ne compte que trois élèves noirs, elle incluse. "Quand on se voit dans la cour de récréation, on se dit : "on est là hein, on est trois, okay"." Claudia Tagbo se retrouve au centre de l'attention pendant quelques temps, et les autres enfants ne cachent pas leur curiosité : "'D'où tu viens ?', 'Comment ?', 'C'est en Côte d'Ivoire ?', 'C'est où ?', 'C'est à Abidjan ?', 'Ah mais tu parles français ?' (...) Puis après, le regard, c'est "mais comment ça se passe, chez vous ?". (...) Mais je ne peux pas leur en vouloir, parce que je posais la même question à ma copine. "On voit vraiment plus tes taches de rousseur", je lui faisais remarquer qu'elle avait bronzé."

"J'emmagasine, je suis une éponge"

Mais quand, au-delà de la curiosité enfantine, elle est victime de racisme de la part de ses camarades, Claudia Tagbo, qui se montre forte à l'école, craque devant ses parents. "L'agressivité, elle arrive à la maison. Tu emmagasines. Je fais partie de ces gens-là, on emmagasine. Une éponge. Et arrivée à la maison, il faut essorer. J'essore à la maison. "Oui, elle m'a traitée de sale noire...", et donc, il faut désarmorcer", explique-t-elle. L'humoriste rapporte ainsi une conversation avec son père. Ce dernier lui dit, après qu'elle ait été insultée : "'Elle a dit 'sale noire', c'est quoi qui te gêne dedans ? ' 'Sale', 'Tu t'es lavée non ? Donc t'es pas sale, et noire, tu veux qu'elle dise quoi ? T'es noire ou t'es pas noire par rapport à elle ? Donc c'est "sale" qui te fait mal, dis-lui que tu t'es lavée, ça y est c'est fini'."

"Une blanche vaut deux noires"

Grâce à son père, devenu concierge, la comédienne apprend à gérer ces attaques, et à passer à autre chose. Ce que ne manquent pas de faire ses camarades : "Tu pleures, mais à la récréation, il y a du pain au chocolat, il y a le goûter, et le même qui t'a dit 'sale noire' il va te dire 'est-ce que tu en veux ?' Ce sont les enfants. La première fois tu dis 'non, tu es méchant', tu restes dans ton coin, le lendemain il te propose, et tu fais 'bah oui, donne'." L'humoriste le reconnaît : "J'ai beaucoup tapé, ou alors quand tu vas taper, c'est celui qui a embêté ta sœur. Je me suis défendue". Et il faut recommencer : "'Mais pourquoi tu l'as tapé ?' 'Parce qu'il a dit sale noire', 'Est-ce que t'es sale ?' (...) C'est comme ça, c'est l'éducation."

Du côté des professeurs, la comédienne et sa famille n'ont pas non plus à souffrir d'un traitement particulier, mais Claudia Tagbo se souvient bien d'une fois où elle a été punie. "J'ai pu avoir des heures de colle, une fois, et ils les ont doublées parce que ma prof de musique a dit 'une blanche vaut deux noires'. J'ai dit 'haha, où ?' J'étais en sixième, elle m’a regardée, je n'avais pas compris. "Quatre heures de colle, impertinence." J'ai dit : "C'est vrai ce que je dis !", "Huit heures !". Et là mon père est venu. (...) En rentrant, mon père m'a dit : "C'est de la musique, sinon pour le reste, vous êtes pareils."

"Elle s'était tellement montée un truc, je ne sais pas, elle pensait qu'on mangeait avec les mains"

Claudia parvient à se faire des amis, mais elle se heurte à la méconnaissance d'une petite fille. Avec l'humour qui la caractérise, elle raconte la première fois qu'elle a invité cette petite fille à la maison, et le piège qu'elle lui a tendu avec sa famille. "Je me rappelle de ma première invitation à la maison, la fille s'était tellement monté un truc, ou ses parents, je ne sais pas, ils lui avaient dit : "Bon ils vont manger à la main...", nous, on arrive, on est à table, je vois la fille, elle est perdue, elle croit qu'on mange à la main. (...) On la regarde, on la voit en galère, et après, elle nous voit, on sort les couverts ! Mais voilà, tu veux vivre dans ton fantasme, vis dans ton fantasme."

La belle-mère de Claudia Tagbo désapprouve cette plaisanterie. L'humoriste rapporte ses dires : "Non, il ne faut pas faire ça, il faut les sortir de ça...", mais s'y oppose. "On n'est pas là pour éduquer les gens en fait. Ils doivent être éduqués dans leur maison", estime-t-elle.

"En Lozère, je garde de très bons souvenirs"

Claudia Tagbo estime néanmoins, en Lozère, avoir été assez préservée du racisme : "Par rapport à mes cousins qui étaient à Paris, ils n'ont pas vécu la même chose. Dans des petits coins comme ça, on protège les enfants du coin. (...) On se dit : "Finalement, ce sont des enfants en fait, ils sont comme nous. Ce sont "les petits de"'. Il n'y avait pas de 'on vous met dans cette barre d'immeuble parce que vous allez vous retrouver entre vous'. En Lozère, je garde de très bons souvenirs."

Elle reste lucide : bien sûr que sa couleur de peau a suscité des réactions : "Il y a toujours des intentions, mais il y avait aussi des solutions. Il faut toujours faire un petit pas de côté. Quand on prend le temps (...) je suis persuadée que chacun essaie de faire de son mieux et d'être le plus honnête possible. (...) À quel moment on essaie de se rejoindre ? Qu'est-ce qu'on cherche en fait ? L'unité. Mais qu'est-ce qui fait l'unité ? C'est parce que je suis un peu différente, t'es un peu différent."

La "pote de service"

En grandissant, Claudia Tagbo se frotte aux questionnements de l'adolescence. Elle se compare à ses copines, qui ont déjà des petits amis. "Je faisais partie de ceux à qui on disait toujours : "Mais toi, t'es ma pote". Je l'assume. Mais ça fait très très mal de savoir que le mec que tu veux te dit : "Ah mais toi, t'es ma pote, toi". Ça, ça a été très dur, et ça a été très dur très longtemps. Et ça fait mal quand les gens en jouent. Quand ça vient de tes propres copines, "de toute façon, tu vas garder mon sac, parce que t'as pas de copain". Ça tâclait dur. Oui, j'étais malheureuse, mais j'avais des frères et sœurs, j'étais l'aînée, si moi, je pleure, ils vont faire quoi eux ? Du coup tu te transformes, j'ai voulu faire du body-building, je voulais faire de la compet'. (...) Tu te cherches", décrit-elle, avant de poursuivre : "Les premiers baisers... T'as pas, c'est dur. (...) Mais qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ? Peut-être que je fais peur, je n'en sais rien. (...) Je sais que dans mes spectacles, j'avais dit : "C'est ici que vous me trouvez pas belle, moi dans mon pays, je suis une bombasse !"."

Le grand Amour, Claudia Tagbo a fini par le trouver. "Ma première vrai histoire d'amour, elle est arrivée tard. Je me suis dit : "Ah, c'est ça, l'amour ? Mais ce n'est pas compliqué, en fait". C'est penser à la personne, avoir des papillons dans le ventre, vouloir faire plaisir, regarder toujours si ça va bien, essayer de faire rire... Ce que je vis en ce moment, ça dure depuis un moment et j'espère que ça va durer longtemps, parce que peut-être aussi, je me connais. Je n'étais pas la même à vingt ans. "

"J'ai beaucoup pleuré"

En grandissant, la jeune femme poursuit sa voie, ce qui l'anime depuis toujours : elle sera comédienne, humoriste. Mais avant de connaître le succès, Claudia Tagbo essuie plusieurs échecs, qu'elle tente de dissimuler à son entourage et dont elle a du mal à parler encore aujourd'hui. "Depuis toute petite, je rêve de faire ce métier. Quand tu n'as personne qui est dedans, c'est très difficile. J'ai beaucoup pleuré, oui, beaucoup. Tu as beaucoup de portes fermées. Et puis surtout, tu n'as pas les codes. C'est-à-dire que t'es à la maison, tu pleures, et puis t'as ta soeur qui travaille dans un restaurant à l'aéroport, qui vient te dire : "J'ai croisé Luc Besson, il a dit que dans ton métier, pour rencontrer des gens, il fallait que tu ailles aux premières de cinéma. Il faut que tu ailles aux avant-premières de pièces de théâtre". Et puis, on se regarde toutes les deux et on se dit : "Mais pour aller aux avant-premières, il faut qu'on te laisse rentrer, c'est sur invitation". Mais une fois que t'as fait ça, tu fais quoi ? (...) Tu pleures. J'adore quand les gens disent : "Mais toi, t'as eu beaucoup de chance, c'est facile". Mais oui, j'ai pleuré. Je me rappelle, je rentre dans un fast-food qui commence par un "Q" et je me goinfre, mais à me faire mal. Mais est-ce que j'ai besoin de raconter ça ? Ouais, pleure, mais pleure chez toi en fait."

"Elle sourit tout le temps, c'est flippant"

À 49 ans, l'humoriste et comédienne est fière de son parcours, et de n'avoir jamais renié qui elle était. Elle conclut ainsi : "Il y a une petite photo (d'elle petite; ndlr) à la maison, je pense que si on se rencontre toutes les deux (...) on s'embrasse. Elle va me dire : "Tu ne m'as pas trahie meuf, continue de pleurer", on m'a toujours dit : "Ça lave les yeux". Bien sûr que j'ai pleuré. On a connu les anniversaires avec une bougie dans un beignet. "Vous avez fait quoi pour ton anniversaire ?" Tu veux dire quoi, "j'ai eu une bougie dans un beignet, il n'y avait pas de lumière chez nous parce que l'électricité était coupée ?" 'Hier on a fait un super gâteau", "Mais pourquoi t'en as pas ramené ?", "Parce qu'on a tout mangé". It's a lie ("c'est un mensonge", en français; ndlr). C'est ça Claudia, aussi."

Aujourd'hui, Claudia Tagbo a fait de son rire franc une marque de fabrique, qui peut en déstabiliser certains : "Je sais qu'on se dit : "Elle sourit tout le temps, pourquoi ? C'est un peu flippant". J'ai eu des copains comme ça, au Comedy Club. J'avais envie de dire : "Bah ouais mec, mais si je pleure de trop, t'auras pas assez de force et j'aurais pas assez de temps pour m'arrêter'."

L'intégrale de La Face Katché de Claudia Tagbo

Article : Maïlis Rey-Bethbeder

Interview : Manu Katché

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