Citad’elles, un exemple à suivre en matière d’accueil des femmes victimes de violences

La « salle de ressourcement », nichée au sein des 750 mètres carrés de Citad’elles, au coeur du projet de ce lieu d’accueil des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles.
La « salle de ressourcement », nichée au sein des 750 mètres carrés de Citad’elles, au coeur du projet de ce lieu d’accueil des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles.

8 MARS - « Sécurité pour Citad’elles ». « Oui, j’écoute ». Comme son nom l’indique, personne ne rentre dans Citad’elles, située au cœur de l’île de Nantes, sans y avoir été autorisé. La raison : faire de ce lieu unique en France, que Le HuffPost a visité, un espace ultra-sécurisé pour les femmes qui viennent y déposer leur parole et suivre un accompagnement personnalisé quand elles subissent des violences sexistes et sexuelles. « 80 % d’entre elles fuient des violences conjugales », précise Caroline Godard, la responsable du lieu, 31 ans.

Le projet était un engagement de la maire de Nantes, Johanna Rolland, lors de sa campagne de 2014. Le 22 novembre 2019, Citad’elles, 750 mètres carrés au septième étage d’un nouvel immeuble de la Ville est inauguré. Depuis, plus de 3 500 femmes y ont été accueillies. Tout a été pensé pour qu’elles s’y sentent bien. Odeur apaisante, murs insonorisés, coussins et ambiance matelassés, bulles de relaxation et même un espace de repos dans le noir, avec ciel étoilé.

La plupart des femmes qui arrivent ici sont en état de choc, elles ont besoin de se ressourcer avant un premier rendez-vous - Floriane, agente d’écoute et d’information.

« Beaucoup d’entre elles ont besoin de dormir, car le harcèlement arrive souvent la nuit », précise Floriane, responsable de l’accueil, talkie-walkie toujours en main, qui nous fait la visite. « La plupart des femmes qui arrivent ici sont en état de choc, elles ont besoin de se ressourcer avant un premier rendez-vous ». Le lieu est ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, avec un accueil pensé pour les enfants et trois appartements de mise à l’abri pour les situations d’urgence. Des demandes des quatre associations à l’origine du projet bâti avec la mairie. « Johanna Rolland a dit oui à tous ces critères, même la salle de ressourcement ce qui n’est pas vraiment la norme dans les collectivités », se félicite Mahaut Bertu, adjointe à la maire de Nantes en charge de l’Égalité. Les codes du spa sont revendiqués et une « architecte engagée » de l’agence Domus architecture a porté attention aux lumières et aux sons pour plus de discrétion.

Sage-femme, psychologue, avocat et policier présents sur place…

Un petit garçon qu’on remarque à peine est affalé sur un pouf de la salle de jeux fermée et aérée pendant que sa mère suit un rendez-vous avec l’une des onze « coordinatrices de parcours », chargée du suivi individuel de chaque femme et qui l’oriente vers les professionnels dont elle a besoin : juriste, avocat, psychologue, sage-femme, ostéopathe, policier ou gendarme… Chaque corps de métier assure des permanences sur place, entre une demi-journée et cinq par semaine, dans des bureaux modernes et spacieux.

On apprécie travailler de manière pluridisciplinaire et on s’aperçoit que les victimes aussi - Camille Dormegnies, directrice de l’association France victimes 44.

« On apprécie travailler de manière pluridisciplinaire et on s’aperçoit que les victimes aussi », confirme Camille Dormegnies, directrice de l’association France victimes 44, associée au projet qui propose des permanences juridique et psychologique, parfois les deux en même temps. « Cela offre un soutien émotionnel au juriste et permet au psychologue de ne pas être débordé par les questions juridiques ». « Je culpabilise un peu de travailler ici quand je vois l’état du corps soignant partout en France », confie la sage-femme à quelques mètres de là.

« Pardon, je vous ai envoyé plein de messages, j’avais peur d’être perdue. Je suis un peu stressée ». Lola*, la vingtaine, vient de se présenter pour un premier rendez-vous. Elle est reçue pendant une heure et demie par Claudia, coordinatrice de parcours qui prend des notes. « Je rentrerai tout ça dans un logiciel auquel ont accès les professionnels qui vont vous suivre, afin que vous ne répétiez pas votre histoire ». « Ah super ». Tout est pensé dans les moindres détails, du bouton pour quitter rapidement le site de Citad’elles à ce type de suivi spécifique aux situations post-traumatiques jusqu’à la table à langer des toilettes et des plateaux thé et café disponibles un peu partout…

Lola fait état de violences psychologiques et de menaces de la part de son ex-compagnon. Elle souhaite porter plainte. « Désolée, je ne voudrais pas prendre le rendez-vous d’une autre », s’excuse-t-elle. Des plaques rouges apparaissent sur son cou. « Vous avez toute la légitimité d’être là, voulez-vous un verre d’eau ? ». La coordinatrice de parcours lui propose un rendez-vous avec un juriste pour envisager le dépôt de plainte et un accompagnement avec un psychologue, en mars et en avril. « On aimerait faire plus vite, mais ça ne s’arrête jamais… », remarque la directrice depuis son bureau.

Caroline Godard, responsable de Citad’elles, dans son bureau le 20 février 2023
Caroline Godard, responsable de Citad’elles, dans son bureau le 20 février 2023

La mère du petit garçon vient le récupérer. Elle a le visage marqué. Après ce rendez-vous de suivi, elle sourit : « C’est tellement bien ce qu’ils font… Je n’ai pas de mots. Elles sont super gentilles, elles prennent soin de nous. Si on a des questions, on appelle ; si ça ne va pas, on vient les voir ». À 38 ans, Sarah* vient de déposer plainte pour « violences ». Dans sa ville d’origine, à des centaines de kilomètres de là, on lui a recommandé Citad’elles. Elle est aidée dans ses démarches, notamment avec la CAF, pour trouver un logement. En attendant, elle est hébergée chez une amie. « Ils devraient en faire partout des Citad’elles », sourit-elle en attrapant la main de son fils.

Des petits ? Citad’elles en fait malgré elle. La structure a reçu la visite des villes de Nancy, Blois ou Tours, pas toujours avec les mêmes moyens. « Il faut rappeler que ce n’est pas dans nos compétences… », remarque Mahaut Bertu, « c’est surtout celle de l’État qu’on attend ». Avec un budget de 2 millions d’euros par an - 1 million de la Ville de Nantes et le reste du département, de la métropole et 200 000 euros de l’État pour deux ans - la structure reste un « sacrifice » pour des collectivités en manque de moyens.

Lola conclut son rendez-vous en souriant, mais s’arrête sur la mosaïque de vidéosurveillance. « Et toutes ces caméras, c’est pour voir si des hommes viennent chercher leurs femmes pour les taper ?  ». « Oui, enfin cela n’arrive pas souvent », murmure Claudia en la raccompagnant. Pendant ce temps-là, un autre petit garçon patiente dans la salle d’attente avec sa mère. Il saisit une figurine de Taz : « Pourquoi il est méchant le Monsieur, maman ? »

2,1 millions d’euros par an de budget

« On va changer ce canapé pour donner une ambiance plus cocooning », prévient Caroline Godard, quand elle nous fait visiter l’un des trois appartements aux adresses secrètes, pour les situations les plus critiques. Un T3 de 70 mètres carrés propre, qui sent bon, et qui offre plusieurs lits, une cuisine et une salle de bains.

Les femmes restent en moyenne trois à six nuitées, parfois plus quand il n’y a pas d’autres solutions. Le manque d’hébergements d’urgence, ces professionnelles le constatent tous les jours. « C’est ça le plus frustrant, nous, on bosse mais derrière les services de l’État ne suivent pas », abonde une jeune coordinatrice de parcours, prise par l’émotion. Vous est-il arrivé de refuser des femmes en danger ? « Ah non ». Caroline Godard répond fermement. « Si on n’a plus de place dans les appartements, on paie des nuits d’hôtel. On se débrouille ensuite pour ajuster nos budgets ». Y a-t-il eu des féminicides parmi les personnes que vous suivez ? « Je n’ai pas eu connaissance de féminicides, mais on en a certainement évité, notamment grâce à ces mises en sécurité », soutient cette ancienne directrice pénitentiaire d’insertion et de probation qui fait état de « suicides » chez certaines femmes qui avaient « un état dépressif certainement accentué par les violences subies ».

Elle vient de trouver une maison disponible dans une ville voisine, avant sa destruction prévue par la mairie dans cinq ans. « Ça nous fait trois places en plus et eux, ça leur évite les squats ! ». Des petits bras, des heures sup’ et un peu de légèreté pour tenir. En refermant la porte d’entrée, elle lance dans un sourire : « Un jour, un conjoint violent est venu ici, il a défoncé la porte et apporté un bouquet de fleurs. C’est typique ».

*Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressées.

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