La chute de Damien Abad, remercié du gouvernement moins de deux mois après sa nomination

La chute de Damien Abad, remercié du gouvernement moins de deux mois après sa nomination

Sortie de piste pour Damien Abad. À l'issue du remaniement de ce lundi, le ministre des Solidarités et de l'Autonomie est remplacé par le patron de la Croix-Rouge, Jean-Christophe Combe. Le 20 mai dernier, le député était pourtant présenté comme une prise de guerre par la macronie car il était jusque là le patron du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale.

Mais son arrivée au sein de l'exécutif n'aura été que de courte durée. Depuis sa nomination avenue Duquesne, le transfuge LR de la macronie est en effet visé par une enquête pour tentative de viol. Quatre femmes l'accusent de viols, de tentative de viol ou d'agression sexuelle. Un nouveau témoignage, recueilli par BFMTV, a été dévoilé ce lundi quelques heures avant l'annonce de son éviction.

Une "trahison" très médiatique

En mai dernier, le député de l'Ain avait éprouvé par son ambigüité les nerfs de son parti d'origine. Quelques jours avant l'annonce du gouvernement, il soufflait le chaud et le froid en tardant à annoncer son départ des Républicains pour le gouvernement. Christian Jacob à la tête du QG de Vaugirard avait fini par l'évincer lui-même en déclarant jeudi 19 mai dans un communiqué:

"On ne peut pas attendre le bon vouloir de Monsieur Macron de le prendre ou de ne pas le prendre au gouvernement."

Dès l'annonce de sa nomination au ministère des Solidarités, de l'Autonomie et des Personnes handicapées, le parti de droite a crié à la trahison. Le 22 mai, le compte Twitter des Républicains s'est payé son ex-recrue dans un message ironique et moqueur.

"En exclusivité, Damien Abad réagit à sa propre trahison: 'Je regrette qu'à l'infidélité s'ajoute l'inélégance de ce départ. C'est de l'opportunisme politique et électoral'", a tweeté la formation politique reprenant les mots prononcés en février dernier par Damien Abad, lors du départ d'Eric Woerth pour Ensemble (ex-LaREM), à deux mois à peine du premier tour de la présidentielle.

Ce cadeau de départ incisif a immédiatement été repartagé par certains ténors de la droite tel qu'Eric Ciotti qui ajoute "Mieux que quiconque Damien Abad analyse avec brio sa propre trahison…"

Réjouissances éclair

En macronie, on se félicite de cette prise qui fait grand bruit. Après être devenu le plus jeune président de groupe à l'Assemblée nationale, l'élu de l'Ain incarne à 42 ans, une "droite sociale" utile à Emmanuel Macron.

Celui qui souffre d'arthrogrypose, une maladie congénitale qui handicape ses quatre membres, jubile: le soir de son arrivée avenue de Duquesne, il confie que l'ancien président Nicolas Sarkozy l'a appelé pour le féliciter, d'après des informations de TF1.

Mais très rapidement, le ministre-député rodé aux médias quitte la scène. En quelques semaines, il multiplie les déplacements, visite des crèches, inaugure des Ephad, rend des hommages, le tout sur les thèmes de l'inclusivité et de l'handicap, mais son ministériat reste invisible. La communication autour de son action se limite à son compte Twitter.

De multiples témoignages

Car l'ancien LR n'aura eu qu'à peine 24h pour savourer son succès. Dès le lendemain de sa nomination, deux témoignages qui l'accusent de viol sont publiés sur Mediapart, plongeant le ministre et l'exécutif dans la tourmente. L'article évoque un signalement adressé à LaREM et LR par l'Observatoire des violences sexistes et sexuels en politique quelques jours avant l'annonce de son arrivée, sans avoir été pris en compte.

Une ancienne militante centriste affirme avoir eu, un soir de janvier 2011, une relation sexuelle avec Damien Abad marquée "d'irrespect, d'injonction et d'insistance". Elle assure à Mediapart avoir tenté de le stopper avec des "sous-entendus" et évoque une pénétration anale imposée, malgré des refus répétés.

"J'ai porté plainte au commissariat un an après les faits, mais je n'ai pas réussi à signer et aller jusqu'au bout. Si j'ai réussi à le faire six ans plus tard, c'est parce que Damien Abad était omniprésent dans les médias et que je ne pouvais plus supporter de le voir, d'en souffrir et que lui ne soit inquiété en rien", explique-t-elle à France Info.

Ces deux plaintes, l'une déposée en 2012, l'autre en 2017, seront classées sans suite.

Une enquête finalement ouverte

Une seconde femme relate un épisode qui aurait eu lieu à l'automne 2010. Après avoir accepté un soir de boire un verre avec Damien Abad, elle dit s'être réveillée avec lui dans une chambre d'hôtel "en sous-vêtements", "courbaturée", "dégoûtée" et "groggy". Le parquet de Paris fait alors le choix de ne pas ouvrir d'enquête à la suite de ces témoignages relayés par la presse.

Deux semaines plus tard, une troisième victime présumée vient allonger la liste des accusations. Laetitia, présidente de la fédération des Jeunes Centristes de son département au moment des faits, affirme que Damien Abad a tenté de la droguer puis de la violer en 2010. Et que seul l'arrivée d'un invité aurait empêché le crime d'être commis.

Le 27 juin, elle décide de porter plainte. Entre-temps, le ministre-député a été réélu à la tête de 5e circonscription de l'Ain. Le 28 juin, une enquête est finalement ouverte par le Parquet de Paris.

Un quatrième témoignage ce lundi

Quelques heures avant le remaniement, une quatrième femme accuse Damien Abad. Julie, une militante des Jeunes Populaires, le mouvement de jeunesse de l'UMP, témoigne pour BFMTV d'agissements remontant à 2013. Le mode opératoire ressemble à celui relaté par d'autres victimes présumées: elle affirme avoir progressivement perdu le contrôle après un dîner avec Damien Abad.

"Au bout d'un moment, j'ai commencé à perdre mes moyens", relate-t-elle. "J'avais des vertiges, je commençais à voir trouble."

Le lendemain, elle se réveille dans son hôtel, "complètement dévêtue". "J'avais du mal à me souvenir de ce qui s'était passée la veille au soir, puis j'ai eu des flashs: il était dans la chambre la nuit, il était dans le lit. C'est sûr et certain", assure-t-elle.

Quand Julie témoigne, le sort du ministre est déjà quasiment scellé. De moins en moins de marcheurs soutiennent le maintien de l'ex-LR au gouvernement. Certains le jugent "trop dangereux" pour la stabilité d'une majorité relative déjà fragilisée par le résultat des législatives.

"Se concentrer sur sa défense"

Le transfuge de la droite a nié en bloc toutes ces accusations et a annoncé qu'il allait déposer plainte pour dénonciation calomnieuse après le témoignage de Laetitia. Pour sauver son poste, Damien Abad aurait pu compter sur la jurisprudence tacite de l'Élysée, à savoir qu'un ministre accusé conserve ses fonctions s'il n'est pas condamné. Mais ce remaniement aura été l'occasion pour la majorité de l'évincer.

"Il faut que l'ancien ministre se concentre pleinement à sa défense (...) Il faut que la justice se fasse avec sérénité", a expliqué ce lundi sur notre antenne la député des Hauts-de-Seine et porte-parole de Renaissance, Prisca Thévenot, à l'issue de ce remaniement.

"C'est le résultat d'une analyse lucide de la situation: Damien Abad n'était plus en position de se défendre lui ainsi que son poste ministériel", a-t-elle ajouté.

Lors de sa passation de pouvoir au ministère des Solidarités qu'il quitte "avec regret", Damien Abad a dénoncé en fin de matinée des "calomnies ignobles orchestrées dans un calendrier bien choisi".

L'ex-ministre a remercié le président de la République "pour sa confiance" jusqu'au bout expliquant que son départ a eu lieu après une "longue conversation" avec le chef de l'État.

Dans cette prise de parole aux allures de tribunes, il assure qu'il continuera à se défendre "sans relâche" jusqu'à ce que son innocence "soit prouvée", "sans entraver l'action du gouvernement".

Article original publié sur BFMTV.com