"Choisir entre la douche et les toilettes": à Mayotte, le quotidien chaotique des habitants privés d'eau

À Mayotte, il ne suffit plus d'ouvrir son robinet pour espérer trouver un peau d'eau potable. Depuis fin août, les habitants de l'archipel sont forcés de s'organiser en fonction des "tours d'eau": des coupures planifiées mises en place par les autorités en fonction des zones géographiques. Un véritable casse-tête pour ceux qui reçoivent l'eau sur leurs horaires de travail, comme c'est le cas d'Aurélie, qui vit à Grand Mamoudzou, le chef-lieu de cet île de l'océan Indien.

Ainsi tous les lundis matin depuis quelques semaines, cette psychologue de 32 ans n'a d'autre choix que de se lever très tôt avant de partir au travail pour remplir d'eau ses deux grosses bassines et quelques bouteilles qui lui permettront de tenir la semaine. La jeune femme en profite aussi pour cuisiner tous ses repas de la semaine, "au cas où", car elle sait bien qu'elle ne peut pas compter sur les plannings de coupures d'eau qui sont rarement respectés par les autorités locales.

L'eau stagnante, véritable nid à bactéries

"Sur le plan sanitaire, c'est catastrophique: l'eau qu'on récupère est trouble, et l'eau que l'on stocke pendant des jours et des jours est un vrai nid à bactéries", témoigne la jeune femme, qui se soigne depuis quelques jours pour une infection cutanée qu'elle a attrapé à cause de l'eau stagnante avec laquelle elle se lave. "Pour me débarasser de mes excréments, je dois me servir d'un jerricane d'eau", ajoute-t-elle.

Depuis lundi, l'eau potable n'est rendue accessible qu'un jour sur trois dans l'archipel de Mayotte, afin de ménager les ressources en eau avant la prochaine saison des pluies qui n'arrivera pas avant novembre. Et pour cause, le département le plus pauvre de France fait face à sa plus importante sécheresse depuis 1997, et ce alors que son approvisionnement en eau dépend essentiellement des pluies.

"Ça demande beaucoup d'anticipation", témoigne aussi Nicolas Andreoli, qui vit en collocation avec trois autres personnes et fait état lui-aussi de coupures d'eau journalières imprévues. "Après 48H sans eau, vous pouvez imaginer la puanteur des toilettes!", s'indigne-t-il. "Je n'ose pas imaginer ce que ça doit être pour les personnes plus vulnérables comme les enfants ou les personnes âgées".

Une rentrée scolaire perturbée

La situation est telle qu'elle a perturbé la rentrée scolaire. Ces derniers jours, plusieurs établissements scolaires ont même été contraints de fermer et de renvoyer les élèves chez eux, comme ça a été le cas au lycée Younoussa-Bamana de Mamoudzou. Selon le Journal de Mayotte, la mairie de Koungou a également pris un arrêté de fermeture temporaire des écoles calqué sur le calendrier des coupures d'eau.

"On accueille les élèves dans des conditions qui sont en deça du minimum", déplore Nicolas Andreoli, professeur contractuel dans un établissement secondaire de l'île qui n'a jusqu'alors pas été fermée. "On est dans un environnement tropical et les jeunes n'ont même pas accès à une ressource aussi essentielle que l'eau".

Le jeune professeur explique qu'une jeune fille a récemment eu "un accident de règles" pendant un de ses cours, et qu'"elle n'a même pas pu se changer dans des conditions décentes" puisque les toilettes de son établissement étaient fermées, comme c'est le cas la plupart du temps. Pas plus tard que la semaine dernière, lui et ses élèves ont même dû se partager un fond de bouteille d'eau minérale qu'il avait acheté lui-même, faute de mieux.

Et pour cause, l'eau du robinet est désormais impropre à la consommation. Et les packs d'eau minérale ont atteint des prix astronomiques à Mayotte ces derniers mois. Selon plusieurs habitants interrogés, le prix de la bouteille d'1.5L a atteint 1.25 euros, soit 7.5 euros le pack. Trois fois plus cher qu'en France métropolitaine, alors que 77% de la population de l'île vit sous le seuil de pauvreté.

Des coupures d'eau particulièrement imprévisibles

Pour les habitants situés dans des logements en hauteur, la situation est plus dramatique encore, car l'eau n'arrive pas du tout jusqu'à eux. C'est le cas d'Alicia et de ses deux collocataires, qui vivent au premier étage d'un immeuble situé sur l'île de Petite-Terre. "Les plannings, on les a reçus, mais c'est loin d'être respecté. Nous on a pas d'eau du tout depuis deux semaines!", râle cette habitante. "Le pire, c'est que quand on appelle la SMAE (Société mahoraise des eaux), personne n'a l'air inquiet. On nous répond que 'c'est comme ça', qu'ils ne peuvent rien y faire".

Pour l'instant, Alicia et ses collocataires ont la chance de pouvoir aller remplir quelques bouteilles d'eau chez des amis qui acceptent encore de les dépanner. "On ne sait pas combien de temps ça va durer mais en attendant on a aucune autre solution", s'indigne-t-elle. "Le choix cornélien qu'on a à faire chaque jour, c'est 'est-ce qu'on privilégie la vaisselle, la douche ou les toilettes?'", raconte la jeune femme.

"La situation est très perturbante. On essaie de rester positifs mais évidemment tout le monde est tendu et anxieux à cause de ça. Les 'tours d'eau' sont tellement imprévisibles que c'est extrêmement dur à gérer, on ne peut pas du tout s'organiser".

Un manque criant d'informations claires

La trentenaire décrit une situation particulièrement "anxiogène" liée au manque d'information et au manque de fiabilité des annonces qui sont faites par la préfecture ou encore le rectorat. Selon Alicia, Mayotte fait face à "un manque criant d'informations parce que les autorités prennent peu la parole. On n'a pas de discours clair auquel se fier donc on reste un peu à l'aveugle... Et à force les gens n'ont plus confiance".

"On n'a aucune vision à long-terme de comment ça va se passer, sans parler des bruits de couloirs... Sur le manque de moyens à l'hôpital, les possibles fermetures de services publics, des écoles, des entreprises... Il y a constamment des rumeurs qui courent et on ne sait plus ce que l'on doit croire ou pas".

Depuis plusieurs mois, l'eau est distribuée au compte-goutte aux 300.000 habitants (selon l'Insee, sans compter les personnes sans papiers). Ces derniers jours, les oppositions ont ainsi fustigé "le manque d'anticipation" et la gestion "indigne" de la crise, poussant le ministre chargé des Outre-mer Philippe Vigier à dévoiler samedi un plan d'attaque gouvernemental, avec notamment des distributions de bouteilles d'eau pour les plus vulnérables et des aides aux entreprises.

Article original publié sur BFMTV.com