En Chine, comment la fin du « zéro Covid » entraîne une explosion des cas

Des personnes font la queue pour acheter des médicaments dans une pharmacie au milieu de la pandémie de Covid-19 à Nanjing, dans la province chinoise du Jiangsu (est), le 20 décembre 2022. (Photo par AFP) / Chine OUT
STR / AFP Des personnes font la queue pour acheter des médicaments dans une pharmacie au milieu de la pandémie de Covid-19 à Nanjing, dans la province chinoise du Jiangsu (est), le 20 décembre 2022. (Photo par AFP) / Chine OUT

CHINE - « Les décès se compteront probablement par millions. Ce n’est que le début », a alerté ce lundi 19 décembre l’épidémiologiste américain Eric Feigl-Ding, sur son compte Twitter. De nombreux scientifiques partagent son inquiétude sur la situation sanitaire chinoise. La sortie abrupte et insuffisamment préparée d’une politique drastique du « zéro Covid » aura, d’après eux, des conséquences dramatiques.

Après trois ans de confinements stricts et de dépistages de masse, la Chine a abandonné cette stratégie au début du mois suite à des manifestations anti « zéro covid » qui ont explosé dans le pays. La volte-face est spectaculaire : aujourd’hui, même avec des symptômes du Covid, les malades sont autorisés à se rendre au travail.

Mais les experts alertent sur le fait que le pays n’est pas prêt à un changement de politique sanitaire aussi radical. Une projection réalisée début décembre par trois professeurs de l’université de Hong Kong révèle que dans les conditions actuelles, « une réouverture à l’échelle nationale pourrait entraîner jusqu’à 684 décès par million d’habitants », soit près d’1 million de décès sur une population totale d’1,4 milliard de personnes.

Une vaccination qui pèche

Si aucune nouvelle politique de restriction n’est établie en Chine, cette estimation d’un million de morts dans les prochains mois est bonne, selon Mircea Sofonea, maître de conférences en épidémiologie et évolution des maladies infectieuses contacté par Le HuffPost. D’après le scientifique, la faible immunité de la population face au virus explique en grande partie ce chiffre conséquent.

Le confinement de provinces entières et les quarantaines à répétition ont enfermé la Chine dans un vase clos permettant de limiter les infections au Covid-19. Ainsi, selon l’Organisation mondiale de la santé, seuls 10 millions de cas ont été recencés dans le pays depuis le début de la pandémie. Cela représente « une infime partie de ses 1,412 milliard d’habitants » qui a été contaminée, écrit François Balloux, épidémiologiste des maladies infectieuses à l’University College de Londres, dans le média scientifique The Conversation.

En outre, « l’immunité post-vaccinale » est aussi très faible en Chine, poursuit Mircea Sofonea. Si le taux de vaccination est presque similaire aux pays Occidentaux, très peu de personnes âgées sont vaccinées. Seuls 66 % des plus de 80 ans ont reçu deux doses de vaccin, et uniquement 20 % trois doses. Ce public fragile est ainsi encore plus vulnérable aux formes graves de la maladie, ce qui fait gonfler le nombre de patients admis en réanimation et celui des morts liés au Covid.

Un système de santé déjà submergé

Par ailleurs, la Chine plébiscitant ses propres vaccins et traitements, n’a encore approuvé aucun vaccin à ARN messager ou ciblant Omicron, note un article du Figaro publié fin novembre. Ce variant Omicron majoritaire dans le monde, est hautement contagieux mais moins létal que son prédécesseur Delta. « Attention au faux paradoxe, met en garde Mircea Sofonea. Lorsqu’un variant est légèrement moins létal mais beaucoup plus contagieux, le nombre de décès peut-être plus important », précise-t-il.

L’incertitude plane aussi sur la capacité du système hospitalier à faire face à une explosion des cas. « La levée simultanée des restrictions dans toutes les provinces entraînerait des demandes d’hospitalisation 1,5 à 2,5 fois supérieures à la capacité des hôpitaux de pointe », rapporte l’étude des professeurs hongkongais.

Les établissements de santé chinois sont déjà « complètement débordés », écrit l’épidémiologiste Eric Feigl-Ding sur son compte Twitter, illustrant ses propos par une vidéo, comme vous pouvez le voir ci-dessous, montrant des malades, des masques à oxygène sur le nez, serrés dans une salle de réanimation.

Dans le même temps, « on constate une explosion récente des services funéraires en raison de la forte augmentation du nombre de décès », écrit-il encore. «  Nous incinérons vingt corps par jour, principalement des personnes âgées, (...) car beaucoup de gens sont tombés malades récemment », a confié ce week-end un employé d’un crématorium à l’AFP.

Les quatre doses de vaccins plus que nécessaires

Ces crématoriums débordés, « cela vous semble familier ? C’est le printemps 2020 qui recommence, mais cette fois pour la Chine, qui adopte une approche plus occidentale de l’infection de masse », poursuit le scientifique américain Eric Feigl-Ding, pour qui le chiffre d’un million de morts pourrait être plus élevé « si le gouvernement ne fait rien ».

Extrêmement inquiète devant les images des hôpitaux débordés, la population chinoise se prépare déjà au pire et se procure en masse des médicaments contre le covid, la fièvre ou le rhume. À Pékin, les files d’attente s’allongent devant les pharmacies. Dans son édition du 14 décembre, Xin Jingbao, journal pékinois proche du pouvoir, mentionné par Courrier international, appelait les Chinois à ne pas se précipiter pour acheter des ventilateurs et des générateurs d’oxygène, leur reprochant même de « gaspiller ».

Le scénario catastrophe d’une hécatombe peut cependant encore être évité, notamment si Pékin accélère la campagne de rappels. « Avec une couverture vaccinale de 85 % pour la quatrième dose et une couverture antivirale de 60 %, le nombre de décès pourrait être réduit de 26 à 35 % », détaille l’étude citée plus haut dans cet article. « Il n’est jamais trop tard pour aplanir la courbe », a rappelé Xi Chen, économiste à l’université Yale de New Haven, qui étudie le système de santé publique chinois.

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