La Chine enlève ses propres citoyens sur le territoire de l'UE pour les forcer à rentrer en Chine

La Chine enlève ses propres citoyens sur le territoire de l'UE pour les forcer à rentrer en Chine

La Chine disposerait 120 bureaux de police illégaux dans 53 pays du monde, dont une cinquantaine dans l'UE, dans plus de 10 États membres. L'ONG Safeguards Defenders révélait il y a deux ans ces chiffres. Ces officines étaient chargées de surveiller les citoyens chinois, bien qu'officiellement, seule l'assistance administrative soit reconnue par les autorités chinoises.

Dans un nouveau document de 165 pages, Safeguard Defenders précise comment le régime chinois force ses citoyens à retourner en Chine. Pour l’ONG, Pékin enlève ses propres ressortissants.

"En effet, la méthodologie officielle implique l'enlèvement", explique à Euronews Laura Harth, membre de l'équipe de Safeguard Defenders et l'un des auteurs du rapport. Pékin "les persuadent de retourner là où se trouvent les membres de leur famille. Sinon, ils ont recours à des punitions collectives. Ils sont privés de leurs pensions, ils sont arrêtés".

Le rapport couvre les dix dernières années d'opérations de rapatriement chinoises, qui ont contourné la voie légale traditionnelle reconnue par la loi, à savoir la procédure d'extradition internationale. Il y a dix ans, la Chine a lancé l'une de ses campagnes les plus notoires à ce jour, l'opération Fox Hunt (2014), bientôt suivie par la vaste opération Sky Net (2015), une extension mondiale de la campagne anti-corruption de Xi Jinping.

"Nous voyons qu'il s'agit de la politique officielle de la République populaire de Chine, du Parti communiste chinois. Et je pense qu'il est très effrayant qu'ils pensent pouvoir pénétrer ouvertement sur le territoire européen et dans différentes régions du monde. Nous avons recensé près de 300 cas et près de 60 pays où cela s'est produit", s’inquiète Laura Harth.

10 États membres de l'UE, 27 cas

Les chiffres officiels chinois font état de 12 000 cas provenant de plus de 120 pays à la suite des deux principales campagnes de rapatriement. Il est difficile de savoir ce qui relève de la propagande et ce qui relève de données réelles. Pour indiquer l'ampleur du phénomène, la Chine a réussi, il y a quelques années, à persuader 230 000 personnes de rentrer au pays en seulement un an, dans le cadre d'une campagne spécifique. La menace d'une punition collective a été employée pour les persuader.

Les militants de Safeguard Defenders ont identifié 283 cas spécifiques dans le monde. Le rapport comprend un tableau détaillant les personnes renvoyées en Chine, la manière dont elles ont été renvoyées, ainsi que des rapports sur les tentatives infructueuses. Sur ces 283 cas, 27 concernent des État membre de l'UE, dont la Bulgarie (1 cas), Chypre (2), la République tchèque (1), la France (5), l'Allemagne (1), la Grèce (1), l'Italie (9), la Pologne (1), la Roumanie (1), l'Espagne (5).

"Cela se reproduit tous les jours, partout dans le monde. Malheureusement, j'ai l'impression que l'Europe n'a pas encore pris conscience de la menace à laquelle ces communautés sont confrontées chaque jour", souligne Laura Harth. Et même si "officiellement" les personnes concernées sont des criminels de droit commun, il arrive souvent que des dissidents, des critiques du régime chinois, soient pris pour cible et contraints d'entrer illégalement en Chine.

La police chinoise illégale aurait dû être un avertissement. À l'époque, les États membres ont cherché à agir dans le cadre de leurs compétences nationales, mais il n'y a pas eu de réponse commune de l'UE. Selon l'ONG, de nombreux gouvernements ont préféré s'en remettre aux communautés chinoises, ce qui, selon Laura Harth, est "une sorte de racisme", affirmant que ce qui se passe au sein des communautés chinoises ne regarde qu'elles, mais que "c'est clairement le message que le Parti communiste chinois veut envoyer".

Développements inquiétants en Hongrie

Selon Safeguards Defenders, c'est la raison pour laquelle, par exemple, le projet de faire patrouiller ensemble des policiers hongrois et chinois en Hongrie est une idée particulièrement inquiétante, comme c'est le cas en Croatie et comme c'était la pratique en Italie avant que les postes de police illégaux ne soient révélés.

"Si je suis pris pour cible et que je vois des policiers locaux interagir avec des collègues chinois, je ne me sentirai pas en sécurité et je ne signalerai pas ce qui m'arrive. Je ne parlerai pas du fait que je me sens menacé, que ma famille est harcelée. Et bien sûr, je ne critiquerai pas le Parti communiste chinois", explique Laura Harth.

Sans compter que la police chinoise se trouve ainsi à l'intérieur de l'espace Schengen. Pendant leurs jours de congé, ils peuvent se déplacer où ils le souhaitent dans la zone de libre circulation des personnes en Europe, sans aucun contrôle. "Qui sait quel mandat secret ils exécutent ?", s'interroge la militante.

La présence de la police chinoise a récemment été abordée au Parlement européen. Mathieu Michel, secrétaire d'Etat belge en charge de la Protection de la vie privée et dont le pays assure la présidence semestrielle du Conseil de l'UE, a expliqué que "la Chine pousse et déploie parfois avec succès des forces de police, elle encercle les ministères de l'Intérieur, mais il faut y mettre fin, il faut l'interdire, c'est une menace hybride, nous ne pouvons pas la tolérer".

Euronews a contacté l'ambassade de Chine auprès de l'UE concernant les rapatriements illégaux de Chinois, sans réponse pour le moment.