"Chaque jour, l'Ukraine manque": réfugiés en France, ils s'interrogent sur un éventuel retour

Khaled, 33 ans, a quitté l'Ukraine avec sa compagne Olena, 36 ans, au début de la guerre. "Chaque jour je pense au fait que j'ai tout laissé derrière moi", raconte-t-il. Comme lui, plus de 8 millions d'Ukrainiens ont fui les bombardements et les combats pour se réfugier en Europe, dont près de 119.000 en France, selon le décompte des Nations unies.

Un an après le début du conflit, beaucoup sont encore là, sans savoir quand ils pourront retourner dans leur pays.

Des départs précipités

À l'hiver 2022, Vladimir Poutine se faisant de plus en plus menaçant vis-à-vis de l'Ukraine, "j'ai senti que cela allait mal se passer", raconte à BFMTV.com Yana Bedun, Ukrainienne de 42 ans aujourd'hui réfugiée en France. Travaillant pour l'ONU, elle dit avoir été alertée par plusieurs signaux annonçant un conflit imminent. "Je me suis dit que si la guerre commençait, on ne pourrait pas quitter le pays ensuite", explique-t-elle.

Avec son fils de 19 ans, elle fuit donc Kiev le 17 février 2022, quelques jours avant le début de la guerre. Au départ "pour deux semaines". Un an plus tard, ils ne sont toujours pas rentrés. Après avoir un temps résidé chez sa mère, qui vit en France depuis de nombreuses années, Yana Bedun vit désormais avec son fils dans un village de l'Allier.

Khaled et Olena habitaient eux dans le district de Kamianets, dans l'ouest de l'Ukraine. Après le début de la guerre, la famille vit dans la peur constante de subir une frappe. "On ne savait pas quelles villes (les Russes) allaient bombarder", se souvient Khaled. Le couple quitte donc rapidement le pays et après une semaine en Pologne, arrive en France le 7 mars. Ils sont désormais installés à Vichy, dans l'Allier.

"C'était devenu trop dangereux"

Olga, 41 ans, son compagnon et leur fille de 5 ans ont eux attendu le mois de mai pour fuir. Quand les premiers bombardements frappent Kiev, ils se dirigent d'abord vers l'ouest du pays, une zone moins touchée. "Nous ne voulions pas partir, mais c'était devenu trop dangereux", explique la mère de famille.

Ils espèrent que la situation se calme pour rentrer dans la capitale. Mais "nous avons réalisé que cela n'allait pas s'arrêter", poursuit-elle. Olga raconte les marques laissées par ces premières semaines de conflit sur sa fille, qui a subi de plein fouet l'angoisse de la guerre.

"Encore aujourd'hui, dès qu'elle fait un dessin, il y a une bombe dessus", explique-t-elle.

Début mai, ils partent donc en France chez des amis ukrainiens. La famille loue aujourd'hui un logement dans le Val-de-Marne.

"Pour le moment, on reste"

Après plusieurs mois en France, Yana Bedun raconte avoir "pensé à repartir en Ukraine en octobre", alors que les troupes ukrainiennes avaient soudainement progressé dans le nord du pays. Certains ont sauté le pas: 10 à 15% des personnes accueillies dans l'Allier par l'association ANEF63 "sont reparties en Ukraine à la fin de l'année scolaire", indique ainsi Florence Denef, l'une des responsables.

"Il y avait l'impression que ça allait mieux et certains voulaient rejoindre leur famille", explique-t-elle. Florence Denef évoque l'exemple d'une femme dont le fils, le mari et le gendre étaient restés au pays, mobilisés pour combattre. "Cela devenait insupportable pour elle", elle les a donc rejoints.

Toutefois, parmi ceux qui sont rentrés, "certains veulent déjà revenir, car la vie sur place est trop difficile", déclare-t-elle.

Les envies de retour de Yana Bedun et son fils ont d'ailleurs été douchées par le retour des bombardements après les avancées ukrainiennes. Donc "pour le moment, on reste", explique-t-elle. Elle met également en avant la crainte, en cas de retour en Ukraine, que son fils soit mobilisé dans l'armée, ou qu'ils ne puissent ensuite plus faire marche arrière pour traverser à nouveau la frontière en cas de regain du conflit.

Même son de cloche pour Khaled et Olena qui ont, en plus, accueilli un bébé mi-février en France. "On va rester", déclare Khaled.

"Là-bas pour l'instant il n'y a rien, pas d'hôpital, des coupures d'électricité" et récemment les Russes "ont bombardé pas loin de notre ville", résume-t-il.

Pour la famille d'Olga, la ligne est aussi claire: "On ne rentrera pas avant la fin de la guerre", alors en attendant, "on essaye de se construire une vie ici". Son mari, d'origine turque, a pu trouver un travail et "l'école de (sa) fille est très bien".

"Ma tête est en Ukraine"

Mais "chaque jour, l'Ukraine manque", confie Khaled. "On était très bien, on ne pensait jamais qu'on allait devoir fuir, on ne pensait pas que (les Russes) allaient nous envahir." Lui qui était coiffeur travaille aujourd'hui pour l'ANEF63 comme agent technique et aide pour des déménagements et du bricolage.

Yana Bedun explique parfois réfléchir à un avenir dans l'Hexagone avec son diplôme de psychologie. "J'aime bien la France", confie-t-elle. "Si je sens que je suis utile ici, je peux rester." Mais "chaque fois qu'il y a un bombardement en Ukraine, je ne suis plus vraiment là, ma tête est en Ukraine", ajoute-t-elle. "C'est vraiment dur émotionnellement."

"Cela reste très difficile" psychologiquement, abonde Olga, même si elle précise que tout a été fait pour que sa famille soit prise en charge en France et que les gens qu'elle a pu rencontrer ont été bienveillants.

"Nous surveillons toutes les informations qui tombent, c'est très compliqué de vivre cela à distance", raconte-t-elle.

D'autant que certains de leurs proches sont encore sur place et qu'il est difficile de leur venir en aide à distance. Les mères d'Olga et d'Olena ont ainsi toutes les deux refusé de quitter le pays et sont toujours en Ukraine.

En attendant d'en savoir plus sur leur avenir, beaucoup vivent donc dans cet entre-deux, en essayant de se recréer une vie en France tout en guettant le signe qui les fera rentrer chez eux.

Quelques-uns, qui ont tout perdu et n'ont plus d'attache en Ukraine, "disent qu'ils vont refaire leur vie en France", déclare Florence Denef. Mais la plupart "nous disent 'on repartira, on ne sait pas quand, mais on repartira'".

Khaled et Olena font partie de ceux-là: "Bien sûr qu'on retournera en Ukraine", assure, confiant, le père de famille. Car tous deux veulent que leur fils voie un jour son pays.

Article original publié sur BFMTV.com