La chanteuse Pomme a écrit une lettre à l’ado qu’elle était

PARIS, FRANCE - SEPTEMBER 13:  Pomme performs at Olympia on September 13, 2021 in Paris, France.  (Photo by David Wolff - Patrick/Redferns)
David Wolff - Patrick / Redferns PARIS, FRANCE - SEPTEMBER 13: Pomme performs at Olympia on September 13, 2021 in Paris, France. (Photo by David Wolff - Patrick/Redferns)

LITTÉRATURE - « Si tu avais su qu’en 2022, à 25 ans, tu serais ici à Montréal souvent, sous la neige et dans les forêts, je crois que tu aurais été heureuse. » Ces paroles, ce ne sont pas celles d’un morceau inédit de Pomme, mais les mots qu’elle a écrits dans une lettre à l’ado qu’elle était.

Cette lettre, qu’elle signe de son vrai nom Claire Pommet, fait partie de la dizaine de textes recueillis dans un nouvel ouvrage épistolaire qui paraît, ce vendredi 4 novembre, aux éditions du Seuil. Il s’intitule CHER.E MOI.

Patrick Chamoiseau, mais aussi les écrivaines Sarah Chiche, Maria Pourchet et Valentine Goby (pour ne citer qu’elles) se sont, comme l’interprète de Nelly, prêtés au jeu dans le cadre d’ateliers d’écritures organisés par le Seuil jeunesse et le Labo des histoires, avant de demander, ensuite, à des adolescents d’en faire de même en s’adressant à l’adulte qu’ils deviendront.

L’idée ? Se rappeler que tout est mouvant, adulte ou adolescent, que derrière chaque adulte, il y a un adolescent, parfois fragile, parfois honteux, qui ne sait pas toujours où aller.

Doux, rassurant et réconfortant, le texte de Pomme permet à son autrice de revenir sur son rapport à la nourriture, ses années d’anorexie, celles aussi au cours desquelles elle a perdu confiance en elle, mais également sur ses rêves « qu’elle a pratiquement tous réalisés », ou encore « sur la chose la plus naturelle » qui lui soit arrivée : être tombée amoureuse, deux ans après le lycée, d’une fille. Le HuffPost vous propose de le découvrir ci-dessous en intégralité.

« Chère moi,

Je t’écris depuis l’an 2022, c’est la fin du mois de mars, je suis au Québec et le printemps tarde à venir nous dire bonjour. La neige fond, laissant découvrir la terre malmenée des cinq derniers mois, puis se redépose sur le sol, sur les arbres, sur les voitures, et j’ai l’impression qu’on ne sortira jamais de l’hiver, malgré les efforts de patience et de sagesse que tout le monde semble faire ici.

Si tu avais su qu’en 2022, à 25 ans, tu serais ici à Montréal souvent, sous la neige et dans les forêts, je crois que tu aurais été heureuse. Je suis bien ici au Québec où se côtoient toutes les choses que tu préférais : la nature, la musique douce, les champignons, la magie, le soleil, l’été, les chiens par milliers, et puis le calme.

Les artistes québécois que tu aimais en secret, que personne ne connaissait au lycée, dont tu parlais autour de toi sans trouver la petite flamme dans leurs yeux, tu les as rencontrés et certains sont même devenus tes amis. Tu as d’ailleurs rencontré tout un tas d’humains incroyables sur la route et écarté ceux et celles qui brisaient ton cœur, après moult remises en question. Les ami.e.s qui restent se comptent sur les doigts de la main, mais ils et elles sont l’un des fondements de ma joie et de ma foi en demain.

Beaucoup de choses incroyables sont arrivées dans les dix dernières années, tu as réalisé pratiquement tous tes rêves, si bien qu’aujourd’hui je m’applique à en trouver des nouveaux, aussi beaux, aussi merveilleux et doux que ceux tu avais alors. Je sais que les rêves étaient l’une de tes raisons de vivre, alors je ne veux surtout pas les perdre. Je me force, en fait non, je n’ai pas à me forcer beaucoup parce que je rêve toujours autant, si ce n’est plus qu’à ton époque.

Après le lycée, je sais maintenant avec le recul que tu as vécu une période difficile, de longues années de perte de confiance en toi, d’anorexie cachée, de questionnements et d’enfermement à l’intérieur de toi-même. J’ai découvert, il y a peu de temps, les conséquences de certains événements traumatisants que je range maintenant dans des tiroirs, tiroirs que j’ouvre et ferme quand j’en ressens le besoin.

Tu verras, boire de l’alcool te fera rire quelques mois et te dégoûtera rapidement.

Si je pouvais, je voudrais un instant, un tout petit instant, pour serrer dans mes bras ton corps minuscule et brisé de l’année 2014-2015, parce que tu t’en rends pas compte, toi, mais tu es complètement brisée et tu fais croire que tu peux affronter ça seule, tu comprends même pas ce qui cloche. Tu veux toujours croire que tu n’as besoin de personne.

Bon, ça, malheureusement, ça n’a pas trop changé.

Mais maintenant, j’apprends à me respecter, à accepter les limites de ce que mon corps et ma tête peuvent faire, j’essaie en tout cas. Le perfectionnisme qui te détruisait habite encore quelque part dans mon ventre, mais je sais lui dire de se calmer, de fermer sa grande bouche et de dormir quand j’en ai marre.

Je mentirais si je te disais que mon rapport à la nourriture est complètement sain maintenant, mais je peux te dire que j’aime manger, plus que jamais, et que je me trouve belle. Ça fait pas longtemps, c’est fragile. Et puis ça dépend toujours des périodes, mais je me trouve belle à l’intérieur et ça, c’est la première étape, je crois.

J’ai toujours à cœur de prendre soin de la planète du mieux que je peux, je sais que ça t’importait, alors sache que je fais imprimer tous mes albums sur du papier recyclé depuis 2019, quand j’ai sorti le deuxième, Les Failles. Grâce à ma détermination, mon label, Universal, a décidé que le papier recyclé serait obligatoire pour imprimer tous les albums des artistes de la maison.

Je suis vraiment très fière de ça et j’espère que tu le serais aussi.

J’ai aussi fait construire un potager dans la cour intérieure du label, un grand potager qui regorge de tomates, aromates, courgettes, courges. On l’a inauguré en 2021 avec une école d’horticulture. J’ai planté moi-même tout un tas de choses, et maintenant, plein de gens du label s’en occupent. J’y suis allée tout l’été, les lundis soir. Tu l’as eu ton potager géant. En janvier, on a planté des pommiers de 300 ans qui seront encore là pour les adolescent.e.s de l’an 2300 si tout va bien, et ça me rassure. Bref, peut-être que tu te fiches de tous ces détails, mais je réalise en t’écrivant que ce ne sont pas des victoires que je partage sur Instagram ou Facebook et ça me fait du bien de te les dire à toi.

Il y a tellement d’autres choses contre lesquelles j’essaie de me battre : le sexisme, le racisme, les inégalités et la discrimination, mais pour être totalement transparente avec toi, je me sens dépassée par tout ce qui va mal en 2022.

Depuis le lycée Saint-Exupéry, on a assisté (collectivement) à beaucoup de choses très laides dans le monde, comme des attentats, des guerres, des catastrophes naturelles, une pandémie, et d’autres choses terribles qui te feraient de la peine. Alors, parfois, c’est dur d’être sur tous les fronts, mais j’essaie de faire de mon mieux.

Je te rassure, il y a aussi eu de belles choses tout au long du chemin.

Tu sais, cette sensation que tu vas d’être complètement anormale, que personne ne te comprenait, ben, j’en ai fait une force. J’en ai fait des chansons, des albums entiers qui m’ont, je crois, sauvé la peau.

Les albums en eux-mêmes n’ont pas sauvé ma vie, mais le fait de mettre toutes les choses de moi que tu détestais dedans : l’anxiété, la peur de la mort, du regard des autres, ça, ça m’a sauvée.

Je dois aussi te dire une chose importante : je suis tombée amoureuse, peu de temps après le lycée, deux ans après. D’une fille. Oui, voilà, peut-être que ça te choque. Mais en fait, c’était la chose la plus naturelle qui me soit arrivée, la plus belle et douce, la plus merveilleuse. J’aurais aimé pouvoir te chuchoter ça à l’oreille au lycée : ’Tu as le droit d’aimer les filles, tu as le droit et c’est normal.’ Ça t’aurait évité pas mal de douleur dans la poitrine, de chagrin, de tristesse et j’en passe.

Au final, j’ai tellement aimé les années que j’ai vécues dans ton corps que je ne changerais rien, à part peut-être un petit câlin de temps en temps et un secret sur la suite qui pourrait t’aider à te regarder avec plus de douceur.

Dans tous les cas, je crois que je suis celle que tu voulais devenir, peut-être même en un peu mieux.

Et puis c’est pas fini,

À bientôt,

Claire.
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Chère moi, Pomme
Seuil Chère moi, Pomme

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