Changement climatique: la CEDH rend des décisions très attendues

L'eurodéputé Damien Carême à Villepinte, au nord-ouest de Paris, le 16 mars 2024 (Bertrand GUAY)
L'eurodéputé Damien Carême à Villepinte, au nord-ouest de Paris, le 16 mars 2024 (Bertrand GUAY)

Les Etats en font-ils assez face au changement climatique ? La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) se prononce mardi dans des décisions très attendues car susceptibles de contraindre les Etats à redoubler d'efforts.

Plusieurs heures avant ces arrêts à 10H30 (08H30 GMT), des dizaines de personnes étaient rassemblées sous le ciel gris de Strasbourg devant la Cour, dont la jeune militante écologiste suédoise Greta Thunberg.

"La justice climatique est un droit de l'Homme", proclame en anglais une banderole bleue tenue par des dames aux cheveux blancs, membres de l'organisation suisse des "Aînées pour la protection du climat".

"J'ai 82 ans et je ne verrai pas les effets des décisions rendues aujourd'hui. Il faut que les politiques changent et ça prendra du temps", déclare Bruna Molinari, membre de l'association helvétique.

Sollicitée par des particuliers reprochant à des pays dont la France, la Suisse et le Portugal, leur manque d'action contre l'urgence climatique, la Cour doit s'exprimer dans trois affaires distinctes.

La première est portée par les "Aînées pour la protection du climat" (2.500 femmes âgées de 73 ans en moyenne) et quatre de ses membres qui ont développé en plus des requêtes individuelles. Elles dénoncent des "manquements des autorités suisses pour atténuer les effets du changement climatique" qui, selon elles, ont des conséquences négatives sur leurs conditions de vie et leur santé.

Un second dossier est à l'initiative de l'eurodéputé français (ex-EELV) Damien Carême. Cet ancien maire de Grande-Synthe (Nord), attaque les "carences" de l'Etat français, estimant notamment qu'elles font peser sur la ville, littorale de la mer du Nord, un risque de submersion.

- "Tous touchés" -

En 2019, il avait déjà, en son nom propre et en tant que maire, saisi le Conseil d'Etat pour "inaction climatique". La plus haute juridiction administrative avait donné raison à la commune, mais avait rejeté sa demande individuelle, l'amenant donc à saisir la CEDH.

"Voir ma ville submergée dans 30 ans est insupportable", justifie Damien Carême, expliquant vouloir "en finir avec la léthargie" et "le refus d'agir de l'État".

La troisième affaire est soutenue par un collectif de six Portugais âgés de 12 à 24 ans, mobilisés après les terribles incendies qui ont ravagé leur pays en 2017.

Leur requête est dirigée non seulement contre leur pays, mais également contre tous les Etats de l'UE, ainsi que la Norvège, la Suisse, la Turquie, le Royaume-Uni et la Russie, soit 32 pays au total.

"Ces trois affaires, intentées par des personnes âgées de 12 ans à plus de 80 ans, montrent que nous sommes tous touchés par la crise climatique", souligne la Portugaise Catarina dos Santos Mota, 23 ans.

Les décisions attendues sont inédites: la CEDH ne s'est jamais prononcée sur la responsabilité des Etats en matière d'action contre le changement climatique.

- "Un tournant" -

La position de la cour "peut marquer un tournant dans la lutte pour un avenir vivable", assure l'avocat Gerry Liston, de l'ONG Global Legal Action Network (GLAN). "Une victoire dans l'une des trois affaires pourrait constituer pour l'Europe l'évolution juridique la plus significative sur le changement climatique depuis la signature de l'Accord de Paris en 2015".

Les signataires s'étaient alors engagés à limiter le réchauffement de la planète "bien en deçà" de 2 degrés depuis l'époque préindustrielle (1850-1900), et de 1,5 degré si possible.

Avec un nouveau record de températures en mars, les 12 derniers mois ont été les plus chauds jamais enregistrés dans le monde, 1,58 degré de plus que dans le climat de la planète au XIXe siècle, a justement annoncé mardi l'observatoire européen Copernicus.

La CEDH devra dire si les Etats visés ont enfreint la Convention européenne des droits de l'Homme, en particulier le "droit à la vie" (article 2) et le "droit au respect de la vie privée et familiale" (article 8), en ne luttant pas suffisamment contre le réchauffement climatique.

La Cour ne statuera sur le fond de ces affaires qu'à la condition d'avoir d'abord jugé qu'elles respectent les conditions de recevabilité, dont l'épuisement de tous les recours au niveau national. Une démarche non suivie par les Portugais, qui ont invoqué l'urgence climatique pour saisir directement la juridiction européenne.

pau-bdx/bar/dch