"C'est la pire chose à faire": comment les enquêteurs annoncent la mort de proches aux familles

Celui qui annonce un décès à une famille "possède le pouvoir de déclencher une tristesse normale ou un traumatisme en supplément", résume le neuropsychiatre Boris Cyrulnik dans un rapport publié en 2019 par la Délégation interministérielle à l’aide aux victimes (DIAV). Dans le cadre d’une enquête judiciaire, cette lourde tâche incombe aux policiers ou aux gendarmes en charge des investigations.

Ainsi, vendredi 18 novembre les gendarmes de Tonneins, dans le Lot-et-Garonne, ont dû annoncer aux parents de Vanesa que l’adolescente de 14 ans avait été retrouvée morte étranglée quelques heures après le signalement de sa disparition. Un intérimaire de 31 ans, déjà condamné pour agression sexuelle sur mineur quand il avait 15 ans, a reconnu les faits et a été mis en examen pour enlèvement et séquestration, viol et meurtre sur mineure.

Choisir les bons mots

Sous le choc, la mère de la victime a été brièvement hospitalisée sur les recommandations d’Annie Gougue, présidente de l’association La Mouette, dont la présence au moment de la terrible annonce a été requise par le parquet d’Agen et la gendarmerie.

"On a fait venir les pompiers qui ont transporté les parents à l’hôpital parce qu’on voyait que la maman n’allait pas bien", explique Annie Gougue dont l’association est désignée administrateur ad hoc pour l’enfance maltraitée par le ministère de la Justice.

Comment formuler un tel drame sans ajouter de traumatisme au deuil? "Il est important de prendre conscience que la manière de dire peut aggraver ou adoucir la rudesse de l’énoncé", explique le Dr Cyrulnik.

"C'est la mission que j'appréhende le plus, c'est vraiment la pire des choses à faire", confie un policier du Val-de-Marne à BFMTV.com. "Je garde en mémoire tous les avis de décès que j'ai dû faire, la peine des gens marque à vie..."

Renforcer la formation des agents

Pour mieux appréhender ces situations extrêmement délicates, gendarmes et policiers reçoivent une formation spécifique. Ne pas infantiliser, ne pas nier la douleur ou dénigrer les familles de victimes par un comportement inadapté… Cela fait l’objet d’un module de deux heures pour les gendarmes, selon le rapport de la Délégation interministérielle à l’aide aux victimes.

Au sein de la police nationale, l’avis à la famille est étudié dans la formation initiale des gardiens de la paix sur un module de trois heures animé par un policier formateur et un psychologue. Les officiers de police ont quant à eux un cours spécifique de six heures avec des mises en situation.

"Ces séances doivent leur permettre d'adopter une posture professionnelle d’écoute, de discrétion et d’orientation rapide (....) notamment vers les personnels de soutien en commissariat comme les assistants sociaux et les psychologues afin de soutenir les parents durant cette période d'attente particulièrement angoissante", explique la Direction générale de la police nationale à BFMTV.com.

Toutefois, "il n’existe aucune directive interne à la police et à la gendarmerie sur les conditions de réalisations de la mission d’annonce des décès par les personnels", regrette la DIAV qui recommande de renforcer leurs formations afin que ces annonces ne reposent pas uniquement sur "l’intelligence du coeur et la sensibilité individuelle" des agents.

"Être le plus sobre possible"

Cette question préoccupe jusqu'au plus haut sommet de l'État. A ce titre, le ministère de la Justice et la Délégation interministérielle à l’aide aux victimes organisent le 2 décembre prochain un colloque réunissant policiers, gendarmes, pompiers et associations afin de réfléchir aux moyens d'améliorer ces annonces.

Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti sera présent et prononcera un discours en ouverture de cette journée, nous informe la Chancellerie. Et des annonces de sa part sont attendues. Car sur le terrain, ce "manque de formation" se fait parfois ressentir, nous affirme le policier du Val-de-Marne en poste depuis 2007.

"J'ai vu des avis se faire par téléphone, ce n'est pas possible..." déplore-t-il.

Alors ce chef de brigade a mis au point sa "méthode" qu'il répète à chaque fois que cette lourde tâche lui revient. "Quand je dois annoncer une mort, j'avise les pompiers pour ne pas être seul face à la famille et pour qu'ils puissent intervenir si un parent fait un malaise. J'essaie d'être le plus sobre possible dans mes mots, d'absorber leur misère. Certains ont besoin d'être consolés, d'autres préfèrent qu'on parte vite et qu'on les laisse seuls".

"Un suivi au long cours"

Une fois le décès annoncé, les associations d'aide aux victimes prennent le relais.

"Un suivi au long cours est organisé puisque, évidemment, un parent ne se remet pas de la mort d’un enfant. L’idée c’est de l’accompagner pour lui apprendre à réinvestir sa vie au quotidien, le moins douloureusement possible", détaille Farida Amiour, psychologue clinicienne.

Le réseau France victimes compte 130 associations sur l’ensemble du territoire, à même d’accompagner les familles de victimes après une mort brutale. Quand un cadavre est découvert, l’autorité judiciaire saisit l’antenne locale de la fédération qui prend attache avec la famille de la victime.

"Sans être intrusifs, nous leur faisons savoir que nous sommes là pour eux, sur les plans psychologique, juridique, ou même administratif et social", nous explique Olivia Mons, porte-parole de France victimes.

Droit à l'oubli

Concrètement, des psychologues sont à l’écoute des familles endeuillées, des juristes les aident à comprendre les étapes de la procédure judiciaire tandis que d’autres les accompagnent pour organiser les obsèques de la victime ou encore pour demander un arrêt de travail le temps du deuil.

"Nous réitérons nos offres de services tout au long de l’enquête, du procès et même au-delà. Au moment de la date anniversaire de la mort qui peut faire ressurgir le traumatisme de la famille par exemple", poursuit Olivia Mons.

La porte-parole de France victimes souligne que les parents ont "évidemment un droit à l’oubli. Certains nous font savoir qu’ils n’ont pas besoin d’accompagnement ou qu’ils souhaitent y mettre un terme et tourner définitivement la page sur le drame qui les a frappés."

Article original publié sur BFMTV.com