"C'est le doute premier": comment juger un meurtre quand le corps de la victime n'est pas retrouvé?

Le Chilien Nicolas Zepeda, avec ses avocates dans la salle d'audience du tribunal de Besançon, le 29 mars 2022 - PATRICK HERTZOG © 2019 AFP
Le Chilien Nicolas Zepeda, avec ses avocates dans la salle d'audience du tribunal de Besançon, le 29 mars 2022 - PATRICK HERTZOG © 2019 AFP

Une peine de prison a été prononcée, mais le corps de la victime n'a jamais été retrouvé. Alors que Nicolas Zepeda, jugé depuis le 29 mars à Besançon pour l'assassinat de Narumi Kurosaki, a écopé de 28 ans de prison ce mardi, les parties civiles n'ont pas obtenu toutes les réponses espérées.

En l'absence de dépouille, difficile de faire le deuil pour les proches de la jeune femme, disparue dans la nuit du 5 au 6 décembre 2016.

"Il y a une réelle souffrance liée à l'absence de dépouille. Si les parties civiles sont extrêmement taiseuses, c'est parce qu'elles souffrent", avançait à l'ouverture du procès, auprès de BFMTV.com, Me Randall Schwerdorffer. Il défendait le petit ami français de Narumi Kurosaki, avec qui celle-ci avait entamé une relation après sa séparation de Nicolas Zepeda.

À cette douleur s'ajoute l'inflexibilité de Nicolas Zepeda, ex-petit ami de Narumi Kurosaki et dernière personne à l'avoir vue: tout au long du procès, le Chilien de 31 ans a campé sur ses positions, niant être impliqué dans la disparition. Une position qui laisse un angle mort dans le dossier.

Les recherches pour retrouver l'étudiante n'ayant rien donné, de son côté, la défense, contactée par BFMTV.com, dénonçait à l'ouverture du procès un "dossier à trou", "qui pose plus de questions qu'il n'apporte de réponse".

"On patauge dans les suppositions"

Là réside la particularité de ces procès où le corps de la victime demeure introuvable après des mois de recherches. La personne disparue n'est-elle pas toujours en vie? Et sinon, quand et comment est-elle morte? Un point d'interrogation majeur qui a son importance lors des investigations, puis des audiences.

"C'est le doute premier, en quelque sorte. La victime a-t-elle été tuée? Pour qu'il y ait crime, il faut que la mort ait été donnée. Une affaire d'assises sans corps est tout à fait rare", analyse pour BFMTV.com Me Gilles-Jean Portejoie, avocat au barreau de Clermont-Ferrand.

Et pour cause: privés de certaines expertises au niveau de l'ADN et d'une connaissance précise de l'heure de la mort, les enquêteurs s'orientent à partir d'indices plus minces, moins scientifiques. Tâche ardue, puisque "le droit pénal exige des preuves", rappelle Me Georges Catala, interrogé par BFMTV.com.

L'avocat en sait quelque chose: il a pris, en 2009, la défense de Jacques Viguier, acquitté après avoir été accusé du meurtre de son épouse Suzanne Viguier, dont le corps n'a jamais été retrouvé. "Une telle absence pose mille problèmes. Celui du mobile, celui des circonstances de la mort... Lorsqu'on découvre un cadavre, on peut avoir des réponses à tout cela. Dans le cas contraire, on patauge dans les suppositions", commente-t-il.

Un élément à double tranchant pour l'accusé

Pourtant, lorsqu'un suspect avoue les faits, l'absence de corps peut se retourner contre lui. C'est ce dont fait part Me Gilles-Jean Portejoie, au sujet de l'affaire Fiona, du nom de cette petite fille tuée par ses parents en mai 2013, à Clermont-Ferrand. Si Cécile Bourgeon, que l'avocat a défendue, était passée aux aveux lors de l'instruction, elle n'est jamais parvenue à indiquer où la dépouille de sa fille avait été abandonnée.

"Comment expliquer qu'une mère ne sache pas dire précisément où se trouve le corps de son enfant? Ça a joué contre nous", estime a posteriori l'avocat, alors que Cécile Bourgeon a été condamnée à 20 ans de prison.

À l'inverse, dans les cas où l'accusé nie les faits, l'inexistence de cadavre constitue un argument tout trouvé pour la défense. "Très souvent, quand il n'y a pas de corps, l'enquête aboutit sur un non-lieu et il n'y a pas de procès", souligne Me Gilles-Jean Portejoie.

Dans ces cas particuliers, "l'intime conviction joue"

Malgré tout, d'autres éléments au dossier peuvent permettre à une affaire de se conclure devant la justice. Il faut alors, comme dans l'affaire Zepeda, qu'un "faisceau de preuves" suffisamment fort conduise à un suspect en particulier.

"Il n'est pas interdit de juger quelqu'un sans corps. On peut se substituer à cette absence grâce à d'autres éléments, comme des témoins, des déclarations du suspect lors des interrogatoires. À ce moment-là, lors du procès, c'est aussi l'intime conviction qui va jouer", abonde Me Georges Catala.

Très souvent évoquée ces derniers temps, l'affaire Jubillar présente les mêmes problématiques. Principal suspect dans le viseur des enquêteurs, Cédric Jubillar, le mari de l'infirmière disparue la nuit du 15 au 16 décembre 2020 dans le Tarn, a toujours nié son implication. Les juges refusent pourtant de le remettre en liberté alors qu'il est en détention provisoire, mis en examen depuis juin 2021. Les dispositifs de recherche déployés pour localiser le corps de la disparue n'ont pour l'heure rien donné.

Article original publié sur BFMTV.com