Casimir, cocotiers... L'obstruction parlementaire ne date pas de la réforme des retraites

Des ramettes de papier déposés sur le bureau du président de l'Assemblée nationale Jean-Louis Debré pour symboliser les dizaines de milliers d'amendements déposés sur le projet de loi de fusion GDF-Suez, le 5 septembre 2006. - AFP
Des ramettes de papier déposés sur le bureau du président de l'Assemblée nationale Jean-Louis Debré pour symboliser les dizaines de milliers d'amendements déposés sur le projet de loi de fusion GDF-Suez, le 5 septembre 2006. - AFP

À gauche comme à droite, les techniques d'obstruction parlementaires pour ralentir les débats sont un grand classique de la vie politique et n'ont pas attendu la réforme des retraites pour agacer l'exécutif en place.

"Bordélisation" de l'Assemblée nationale, stratégie du pourrissement... L'exécutif n'a eu de cesse de dénoncer l'attitude de la Nupes depuis le début de l'examen de la réforme des retraites dans l'hémicycle.

La majorité l'accuse de vouloir ralentir les débats pour empêcher l'examen de l'ensemble du projet de loi, notamment l'article 7 sur le recul de l'âge de départ à la retraite, d'ici à l'arrêt des débats, programmé ce vendredi soir à minuit. Plus de 20.000 amendements ont en effet été déposés sur le texte et il en reste, ce vendredi en milieu de matinée, plus de 8000 à examiner dans l'hémicycle.

Inédit? Pas du tout: l'obstruction est une vieille pratique du Palais-Bourbon. La preuve en 4 exemples.

• En 1981, Jacques Toubon et "les cocotiers" contre la retraite à 60 ans

Un an après l'élection de François Mitterrand à l'Élysée, la gauche décide de légiférer pour avancer l'âge légal de départ à la retraite 60 ans, l'une des principales promesses de campagne du candidat socialiste. La droite qui y est farouchement opposée dépose de très nombreux amendements pour ralentir les discussions, faisant de ce débat l'un des plus longs de la Ve République.

Avec un symbole: l'amendement "cocotier" de Jacques Toubon, un pilier du RPR (l'ancêtre des Républicains, NDLR). L'élu parisien, alors très proche de Jacques Chirac, dépose un amendement demandant au gouvernement de "planter dans chaque commune des cocotiers en nombre proportionnel à la population âgée de 60 ans et plus et rendre obligatoire, une fois par an au moins, l’escalade de ces arbres par l’ensemble de la population majeure".

De quoi illustrer pour lui "la bataille du temps de vivre", l'un des mantras de campagne de François Mitterrand.

• En 1998, Christine Boutin et son discours de plus de 5h contre le Pacs

Le Premier ministre Lionel Jospin défend en 1998 le pacte civil de solidarité (Pacs) qui permet à des couples hétérosexuels ou de même sexe de former une union civile devant la loi. Face à une gauche divisée, la droite unit ses forces pour contrer la réforme.

Pourtant en minorité, elle parvient d'abord à faire à voter une motion d'irrecevabilité contre le texte, très aidée par le fort absentéisme des députés de gauche. De quoi contraindre le gouvernement à revoir entièrement sa copie et à représenter son projet de loi un mois plus tard.

C'est alors Christine Boutin qui prend la parole pour la droite et marque les esprits en présentant pendant 5h30 ses arguments contre l'ancêtre du mariage pour tous. Elle garde le micro jusqu'à 4 heures du matin, sous les ovations d'une partie de ses collègues. Le gouvernement Jospin fait ensuite limiter à 30 minutes les discours avant l'examen des articles.

• En 2006, près de 140.000 amendements pour ralentir les débats sur GDF

Près de 140.000 amendements sont déposés en 2006 lors du projet de loi pour la privatisation de GDF et Suez - un record absolu sous la Ve République. Excédé, le président de l’Assemblée nationale Jean-Louis Debré fait photographier son micro au Perchoir, encerclé de piles d’amendements. En réalité, il s'agissait de feuilles de papier vierges, destinées à donner l'illusion.

Pour atteindre ces chiffres astronomiques, la gauche a usé de tous les moyens possibles: dix amendements identiques peuvent ainsi être successivement défendus par dix députés différents

L'épisode laisse un très mauvais souvenir à Nicolas Sarkozy qui, une fois à l'Élysée, fait adopter une révision constitutionnelle permettant une meilleure organisation des débats.

• En 2009, Casimir et Saturnin pendant les débats sur l'audiovisuel public

En 2009, les députés examinent un projet de loi sur l'audiovisuel public, qui veut notamment mettre fin à la publicité après 20 heures sur les antennes de France Télévisions. Deux députés socialistes s'illustrent alors par elurs prises de parole. Patrick Bloche évoque ainsi au micro de l'Assemblée nationale "les figures légendaires de la télévision Nicolas, Pimprenelle et Zébulon, ainsi que Casimir", avant d'évoquer le petit canard "Saturnin", stars de programmes de télévision pour enfants.

Son collègue Marcel Rogemont disserte, lui, sur le "temps de cuisson du homard". Une fois la parole obtenue, rien n'oblige en effet le député à évoquer le sujet des débats. L'UMP ne goûte guère la manœuvre et fait réaliser un clip vidéo pour dénoncer l'obstruction parlementaire du PS. En réponse, les socialistes postent, eux aussi, une vidéo: "Notre droit d’amendement, c’est votre liberté d’expression."

Article original publié sur BFMTV.com

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