Cascade de séismes en Afghanistan : une séquence jamais vue ?
Depuis le 7 octobre 2023, plusieurs séismes de magnitude 6,3 ont frappé la région d’Hérat, troisième plus grande ville d’Afghanistan, non loin de la frontière iranienne. Cette séquence de séismes destructeurs a fait près de 1400 victimes. Quatre séismes majeurs ont frappé la région en 8 jours et les secousses liées à des séismes plus petits se font encore sentir aujourd’hui.
Ces quatre événements étant de magnitudes presque identiques, les scientifiques font face à une curiosité statistique, dont l’origine physique reste à expliciter. D’habitude, un séisme de forte magnitude est suivi d’une séquence de réplique de magnitudes inférieures (pour un séisme de magnitude 6, la réplique la plus forte attendue est de magnitude 5). Quatre séismes de forte magnitude à la suite, c’est très inhabituel, voire jamais vu. Un second mystère réside dans le fait qu’aucun événement avec une magnitude si élevée n’était recensé de mémoire humaine sur ces failles actives.
Sur le découpage de notre globe en plaques tectoniques, ces séismes ont frappé la large frontière sud de la plaque eurasienne en collision le long de la chaîne de montagnes alpino-himalayenne s’étendant des contreforts des Pyrénées au Myanmar. Au niveau de l’Afghanistan, les plaques Inde et Arabie sont en collision avec l’Eurasie, à des vitesses relatives de quelques centimètres par an. Ces mouvements relatifs peuvent être mesurés grâce à des stations GPS ou à des images satellites.
C’est à 11h11 le samedi 7 octobre que la terre a tremblé une première fois, puis cela s’est reproduit 30 min plus tard et à nouveau 4 et 8 jours après, les 11 et 15 octobre. À première vue, rien ne permettait d’anticiper cet enchaînement dramatique d’événements. Est-ce parce que cette région reculée n’a pas été scrutée aussi attentivement que d’autres régions, par exemple l’ouest des États-Unis bien connu pour la faille de San Andreas ? L’anticipation des séismes reste une question délicate, et c’est souvent au vu des événements passés que les sismologues peuvent (ou non) reconstituer l’enchaînement entre les causes et les conséquences, reliées par les lois de la Physique.
Des séismes d’une taille sans précédent dans la région
Des sources historiques remontant au IXe siècle attestent qu’Hérat, ville aux origines antiques située le long de la route de la soie, a été endommagée par des séismes par le passé, mais les magnitudes qu’on leur associe n’atteignent pas plus de 5,9. Si la différence avec les quatre séismes d’octobre de magnitude 6,3 peut paraître faible, c’est parce que l’échelle de magnitude de moment est une mesure logarithmique. Ces séismes sont en fait chacun 4 fois plus gros, que ce soit en termes d’énergie libérée ou de taille de la zone affectée.
Ainsi, cette région relativement stable, comparée à l’est de l’Iran ou les hauteurs himalayennes, n’éveillait pas de grandes suspicions. C’est dans les tracés des rivières et les dépôts sédimentaires que l’on retrouve le plus de signes d’une activité sismique récente à l’échelle des temps géologiques.
Les séismes correspondent au relâchement brutal de l’énergie accumulée depuis le dernier séisme dans la région, à la manière d’un élastique que l’on aurait étendu progressivement, qui aurait tenu jusque-là et se relâche tout à coup. La petite goutte de trop qui fait craquer l’élastique est soit une question de temps, soit la conséquence d’une perturbation, par un autre séisme par exemple. C’est pour cela qu’un séisme se produit rarement seul et les perturbations qu’il génère dans son environnement entraînent une cascade d’autres séismes. En général, ces événements, appelés répliques, sont de tailles décroissantes au cours du temps.
Néanmoins, dans la séquence sismique d’Herat, la désescalade ne fut pas immédiate. La cascade a mené à d’autres séismes aussi gros que le premier, et ceci par trois fois. Pourquoi ces ruptures ne se sont pas faites toutes d’un coup suite à la première rupture ? Quel est l’agencement géométrique des différentes ruptures ? Les premières observations géophysiques nous renseignent sur le sujet.
Un soulèvement de 80 centimètres
Au-delà des destructions qu’elles engendrent, les ondes sismiques portent des informations sur l’origine et la nature du séisme jusqu’aux stations sismologiques à proximité ou à des milliers de kilomètres de là, et cela, en quelques dizaines de minutes.
C’est donc dans les heures qui suivent que les agences comme l’USGS (service géologique des États-Unis) ont pu déterminer que le premier séisme correspondait à un glissement essentiellement vertical vers le haut le long d’une faille inclinée à environ 30 degrés par rapport à l’horizontale et orientée est-ouest. Les trois autres séismes principaux qui ont suivi semblent avoir des géométries de rupture similaires.
Par ailleurs, l’imagerie satellitaire nous donne des informations sur ce qu’il se passe en surface dans cette région reculée. Ainsi, on peut cartographier l’étendue des destructions ou bien mesurer le déplacement du sol à proximité de la faille.
Des résultats préliminaires nous indiquent que le sol s’est élevé de quelques dizaines de centimètres sur une zone de 30 km par 10 km (une surface de l’ordre de celle occupée par la métropole de Lyon). Ce mouvement nécessite donc une énergie colossale, mais fidèle à ce qui est attendu pour une telle magnitude. Les séismes de la séquence semblent adjacents les uns aux autres avec une propagation vers l’est et un soulèvement maximal de 80 cm. C’est la méthode d’interférométrie radar par satellite, sur des images de la mission Sentinel-1 délivrées par l’Agence spatiale européenne (ESA), qui nous permet d’estimer ces chiffres au centimètre près et avec une haute résolution spatiale.
L’interférométrie se base sur la comparaison d’images du même endroit, prises depuis le même point de vue, afin de quantifier la déformation du sol accumulée entre les deux prises de vue. Attention, avec cette méthode, on ne voit que la déformation qui est permanente et non le mouvement du sol pendant le séisme du fait du passage des ondes ; cause de l’endommagement de nombreux bâtiments à des distances supérieures à notre rayon de 30 km.
Comment est-ce que cet instantané rare et catastrophique s’inscrit dans l’histoire géologique de la région ?
Un fragment de la longue histoire géologique
Ces premières observations semblent en accord avec le système de failles cartographié dans la région qui s’étend d’est en ouest sur 700 km, nommé Hari Rud. Ces failles prennent en charge un mouvement décrochant, décalage latéral sur l’horizontale (cf. article de juin 2022), entre la plaque eurasienne et le bloc afghan central. Ce mouvement est lent et ne dépasse pas quelques millimètres tous les ans, si bien que le bloc afghan central est souvent considéré solidaire avec l’Eurasie. En effet, la frontière de plaque tectonique la plus active (et la plus récente) séparant l’Inde et l’Arabie de l’Eurasie se trouve au sud, dans le golfe d’Oman.
Ce mouvement décrochant horizontal change d’orientation localement produisant des soulèvements et des affaissements et ceci particulièrement lorsque différentes failles se rejoignent et se coupent. Les séismes compressifs (mouvement de soulèvement dominant) comme ceux de cette séquence d’Herat créent du relief. Au fil des millions d’années, la topographie monte progressivement et des montagnes se forment, à la condition que l’érosion n’agisse pas plus vite. Il semble donc que ces séismes participent à la construction des montagnes.
Nos analyses ne font que commencer. Il s’agira de reconstituer les événements et forces en jeu, et d’essayer de déceler les signaux précurseurs, s’il y en a, qui auraient pu nous mettre sur la piste de cette séquence avant son initiation. Les scientifiques se retrouvent comme face à une scène de crime qu’il est question de décoder pour mieux comprendre pourquoi de tels événements se sont produits, pourquoi à cet endroit, pourquoi maintenant…
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.
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Bryan Raimbault a reçu des financements de l'ERC, de l'ENS-PSL et du Ministère français de lʼEnseignement supérieur, de la Recherche et de lʼInnovation (MESRI) pour la réalisation de son contrat doctoral.
Romain Jolivet est membre de l'Institut Universitaire de France et a reçu des financements de l'ERC, de l'ANR ainsi que du CNRS.