"Cartes de visite à rallonge" ou "parlementaires hors-sol": le débat sur le cumul des mandats de retour au Sénat

Une écharpe de maire. - LUDOVIC MARIN
Une écharpe de maire. - LUDOVIC MARIN

Strictement limité en 2014, le cumul des mandats va-t-il faire un retour par la petite porte? Une proposition de loi organique du sénateur Hervé Marseille, président du groupe Union centriste, arrive en séance à la Chambre haute ce mardi.

Déposé en juillet, le texte vise à favoriser "l'implantation locale des parlementaires" en supprimant l'incompatibilité stricte entre le mandat de député ou de sénateur avec celui de maire ou adjoint dans les communes jusqu'à 10.000 habitants. Ce qui représente 97% des communes françaises. Le cumul des indemnités demeure interdit dans cette première mouture.

Une proposition de loi très politique, alors que le texte portant interdiction des cumuls avait été voté par la majorité socialiste en 2014 et était entré en vigueur en 2017 pour les parlementaires.

"Contrepoids parlementaire"

"Ça n'a pas marché", fustigeait ce mardi sur Europe 1 Hervé Marseille, élu des Hauts-de-Seine. "Il faut que les parlementaires aient des racines", poursuit l'ancien maire de Meudon de 1999 à 2017, qui estime qu'il s'agit d'une expérience "irremplaçable".

"À l'époque où il y avait des sénateurs-maires de Marseille, des sénateurs-maires à Lyon, des députés-maires à Paris ou à Lille, il y avait un contrepoids parlementaire", argue le centriste, jugeant qu'il y a aujourd'hui "un exécutif tout-puissant, un Parlement dégradé".

"À l’Assemblée nationale, vous avez beaucoup de jeunes parlementaires qui n’ont jamais occupé de mandats locaux donc évidemment il y a une méconnaissance et un désintérêt pour les affaires locales", estimait en juillet Hervé Marseille auprès de Public Sénat lors du dépôt du texte.

"Risque d'être hors-sol"

En 2014, la loi organique sur le non-cumul avait suscité des remous, notamment à droite des hémicycles. Le Sénat, dominé par LR, pourrait adopter ce texte à l'issue de son examen. Selon un rapport de l'organe de contrôle parlementaire Projet Arcadie, publié en juillet dernier après les régionales et départementales, les parlementaires LR sont d'ailleurs les plus nombreux à cumuler leur mandat national avec un mandat électif local.

À l'orée de l'été dernier, après la déroute des régionales et départementales pour la majorité, le président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand avait lui-même évoqué une réflexion "sans tabou" sur ce point, comme le rapportait L'Opinion.

"Nous voyons bien que le fait d'avoir progressivement coupé ce lien maire-parlementaire fait courir un risque d'être hors-sol, d'être hors proximité, hors quotidien des gens", a jugé Gérard Larcher ce mardi sur franceinfo.

"Dans la défiance actuelle vis-à-vis du pouvoir politique, on voit bien que la première des demandes, c'est une demande de proximité", a ajouté le puissant président du Sénat, pour qui Emmanuel Macron avait semblé "ouvert pour qu'on puisse entamer ce débat".

"Lois déconnectées de la réalité"

Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR du Nord et ancien maire de Lambersart, défend ardemment la proposition de loi d'Hervé Marseille auprès de BFMTV.com.

"J'ai été 25 ans député, 28 ans maire, et j'ai pu constater l'importance d'avoir, quand vous êtes parlementaire, un ancrage territorial", fait valoir l'ancien ministre de Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac.

S'il pointe un "risque constitutionnel" de rupture d'égalité en raison du seuil fixé aux villes de 10.000 habitants, l'élu nordiste estime que le non-cumul est "une bombe à fragmentation".

"Ça fait élire de fait, comme en 2017, des parlementaires hors-sol, qui n'ont aucune notion de comment ça fonctionne sur le terrain, et ça aboutit à des lois qui sont totalement déconnectées de la réalité assez souvent, et par ailleurs, ça aboutit à un effet pervers car au lieu d'avoir un cumul vertical, il y a un cumul horizontal", pointe-t-il, évoquant les présidences de syndicats mixtes et autres structures locales.

"Dans la tête des gens, ce n'est pas le problème du cumul de mandats, c'est le problème du cumul des indemnités", pense-t-il, estimant que la proposition de loi "sera votée par toute la majorité parlementaire et même au-delà".

Opinions mitigées

"Si c'est pour se faire des cartes de visite à rallonge, ça n'a pas beaucoup d'intérêt, c'est ce qui se passait un petit peu avant. Les maires de grandes villes aimaient bien être sénateurs", considère auprès de BFMTV.com le sénateur socialiste du Puy-de-Dôme Jacques-Bernard Magner.

Édile jusqu'en 2017 d'une commune rurale, l'élu socialiste avait voté en 2014 la loi organique. Il maintient aujourd'hui "qu'il faut effectivement rester dans un non-cumul des mandats", tout en nuançant sa position.

"Quand on est maire ou président de Conseil départemental et en même temps parlementaire, on apporte parfois un éclairage sur certains dossiers, qu'on ne peut pas avoir quand on est simple conseiller municipal ou général", pondère le socialiste, devenu conseiller municipal de sa commune de Charbonnière-les-Vieilles en 2017.

À titre personnel, l'élu puydômois n'aurait pas été opposé à un texte amendé en 2014. "On était quelques-uns à l'époque à dire qu'il fallait un peu assouplir cette loi", explique Jacques-Bernard Magner, qui entrevoit aujourd'hui "certains avantages" ainsi que "quelques inconvénients" dans la législation en vigueur.

"Occuper le terrain"

Au diapason, c'est une loi "contre laquelle nous allons voter", tranche François Patriat auprès de BFMTV.com. Le sénateur de Côte-d'Or, président du groupe LaREM au Sénat, rebaptisé Rassemblement démocrate, progressiste et indépendant (RDPI), marche toutefois sur un fil, en étant d'avis que députés et sénateurs "ont du mal à occuper le terrain car ils n'ont pas de mandats locaux" et qu'"il faut trouver un moyen pour que les parlementaires s'implantent mieux localement", plaidant pour "une réflexion globale".

"Plutôt que de s'embarquer dans une loi qui est partielle, on votera contre (...) même si je suis tenté de dire qu'on est allé trop loin sur le cumul des mandats", module le marcheur, réputé proche d'Emmanuel Macron. Il analyse de surcroît le seuil de 10.000 habitants comme étant un critère "pas tenable" devant le Conseil constitutionnel.

Avant de déposer son projet de loi, l'Union centriste avait exploré le terrain. Un sondage publié le 9 juillet et réalisé par l'Ifop pour le compte du groupe sénatorial pointait que 57% des Français seraient favorables à un possible cumul d'un mandat national avec un mandat de maire d'une commune de moins de 10.000 habitants, sans toutefois cumuler les indemnités. Après le Sénat, la proposition de loi pourrait arriver au Palais-Bourbon avant la fin de l'année.

Article original publié sur BFMTV.com