Cannes 2023 : trois points de vue, une vérité ? Le superbe Monster marche sur les traces d'un maître du cinéma japonais
ÇA PARLE DE QUOI ?
Le comportement du jeune Minato est de plus en plus préoccupant. Sa mère, qui l’élève seule depuis la mort de son époux, décide de confronter l’équipe éducative de l’école de son fils. Tout semble désigner le professeur de Minato comme responsable des problèmes rencontrés par le jeune garçon.
Mais au fur et à mesure que l’histoire se déroule à travers les yeux de la mère, du professeur et de l’enfant, la vérité se révèle bien plus complexe et nuancée que ce que chacun avait anticipé au départ…
ÉMOTION MONSTRE
Rashômon. Lorsqu'il a présenté le nouveau long métrage d'Hirokazu Kore-Eda, pendant la conférence de presse d'annonce de la sélection du 76ème Festival de Cannes, Thierry Frémaux a lâché l'une des références les plus parlantes pour les cinéphiles. De celles qui se passent d'explication et ont même donné naissance à une expression.
Sorti en 1952 dans les salles françaises, Rashômon d'Akira Kurosawa nous donne à voir un même événement sous différents points de vues, à la fois complémentaires et contradictoires, laissant au spectateur le soin de chercher lui-même ce qui lui semble être la vérité. Un chef-d'œuvre en même temps que l'avènement de "l'effet Rashômon", dont Le Dernier duel de Ridley Scott est l'un des derniers utilisateurs en date.
Avant ce Monster, grâce auquel le Japonais Hirokazu Kore-Eda, en lice pour une seconde Palme d'Or cinq ans après celle d'Une affaire de famille, marche sur les traces de son compatriote Akira Kurosawa. Car le récit, en trois actes, passe successivement d'un point de vue à l'autre, pour tenter de comprendre le pourquoi du comment d'un drame et examiner ses conséquences.
Alors qu'on voyait en lui le fils spirituel de Yasujirô Ozu (pour sa manière de mettre en scène la famille et le passage du temps), le réalisateur se rapproche d'un autre maître japonais. Et il est bien conscient de la montagne à laquelle il s'attaque avec une narration comme celle de Monster : "C'est une référence incontournable. Un chef-d'œuvre", nous dit-il à quelques heures de la séance officielle.
"A partir du moment où nous avons un tel film, on ne peut pas faire comme s'il n'existait pas. Mais l'idée était surtout d'aller plus loin : avoir vu le film, l'assimiler et voir ce que l'on peut en faire pour renouveler cet exercice, en sachant que la structure en trois chapitres va forcément être comparée avec ce qui a été fait dans Rashômon. Il fallait voir comment nous pouvions lui donner un nouveau souffle."
A partir du moment où nous avons un tel film, on ne peut pas faire comme s'il n'existait pas
"La différence entre Rashômon et Monster, c'est que nous n'avons pas forcément voulu filmer et raconter les mêmes choses. Dans notre cas, ce qui était important, c'est qu'au fil des chapitres, le spectateur soit impliqué, d'une part, et découvre au fur et à mesure de l'histoire - au même titre que les personnages - ce qui se cache derrière le monstre ou la monstruosité."
"Au départ, chacun a des préjugés, des croyances. Mais on se rend compte qu'il s'agissait peut-être de fausses pistes. Cette quête est autant pour les personnages que les spectateurs. On pourrait presque dire que le film est en quatre parties : la quatrième serait celle du spectateur, la manière dont il s'est approprié tout cela et ce qu'il peut en restituer. Cette structure était vraiment faite pour l'emporter et lui donner une part active dans le récit."
Contrairement à Rashômon, qui nous montre plusieurs fois les mêmes événement sous des angles différents, chaque point de vue à l'œuvre dans Monster s'applique à dévoiler le hors-champ du précédent. Le récit se nuance et se réécrit donc à intervalles réguliers, jusqu'à ce que la troisième partie ne fasse exploses nos certitudes.
A ce moment, certaines scènes nous sont montrées différemment, et l'on peut craindre que la surexplication ne prenne le pas dans un scénario ou les non-dits ont une place importante. C'est certes un peu le cas, mais très légèrement et ce segment achève la mutation du long métrage, drame familial devenu thriller avant, finalement, de dévoiler un cœur battant qui n'est pas sans rappeler Close de Lukas Dhont, Grand Prix de l'édition 2022.
Un destin similaire attend-il Hirokazu Kore-Eda, que l'on s'attend à voir repartir, au minimum, avec un Prix du Scénario (écrit par Yuji Sakamoto et pas le cinéaste) ? A moins que le metteur en scène ne décroche sa deuxième Palme d'Or, avec une nouvelle histoire où l'enfance occupe une place centrale, et où l'émotion nous étreint alors résonne les notes de la sublime bande-originale du regretté Ryuichi Sakamoto, décédé en mars dernier.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 17 mai 2023
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