Cannes 2017 : rencontre avec les réalisatrices et la comédienne de La Fiancée du désert

AlloCiné : Pouvez-vous nous parler de cette tradition sud-américaine de la Difunta Correa dont il est question dans La Fiancée du désert ?

Cecilia Atán : C’est une sainte, Juanina, qui vient de la région de San Juan, au nord-est de l’Argentine, à 1000 km de Buenos Aires. C’est une sainte païenne, elle a traversé le désert à la recherche de son mari. Elle est partie avec son enfant et elle est morte de faim et de soif dans le désert, mais l’enfant a survécu car il s’est nourri de son sein. Ca a été le point de départ pour raconter l’histoire de Teresa, car ça raconte aussi le triomphe de la vie sur la mort. Durant cette pérégrination dans le désert, Teresa part d’un endroit qu’elle a connu pendant très longtemps et dans lequel elle s’est déconnectée d’elle-même. Ce voyage va lui permettre de trouver en elle cette force qu’elle avait sans le savoir et de revenir dans la vie. 

Derrière l’idée du désert, il y a surtout l’idée de l’introspection. Pourquoi se tourner vers ce sujet pour un premier long métrage ?

Valeria Pivato : La phrase qui nous a inspirées est la suivante : « Ce n’est qu’en traversant le désert que l’on peut se trouver soi-même. » On a utilisé le désert comme lieu physique, mais aussi comme métaphore. A partir de là, on a essayé de raconter la trajectoire que suit le personnage pour se retrouver. Le mythe de la Difunta Correa est également à la base de notre travail, car pour naître à nouveau, il faut d’abord mourir.

Paulina García : Ce qui m’a attiré dans ce personnage et qui était un défi, c’était le processus de transformation. Elle perd tout : sa maison, la famille dans laquelle elle vivait et qui était un repère, et sa valise qui contenait toutes ses affaires et les références à sa vie antérieure. C’est un peu comme si elle se dénudait petit à petit. Elle enlève tout le poids qu’elle a sur elle pour retourner à quelque chose d’essentiel et de fondamental, c'est aussi quelque chose de l’ordre de la recherche du bonheur.


L'équipe du film à Cannes avec au milieu, Cecilia Atan, Paulina Garcia et Valeria Pivato

Le fait que Teresa soit un personnage plus âgé que les protagonistes qu’on voit en majorité au cinéma était quelque chose d’essentiel pour vous ?

Cecilia Atán : Evidemment. Le monde d’aujourd’hui pense que si à un certain âge, on n’a pas vécu certaines choses comme l’amour, la réussite dans le travail ou les enfants, c’est perdu, on ne pourra plus le vivre. Cela arrive à l’homme, mais pour la femme, c’est de manière encore plus cruelle. Ce qui pour d’autres signifierait la fin de l’histoire, pour nous c’était le début. On voulait montrer, à un moment précis, la possibilité qu’on a de voir ce qu’il y a autour de soi. Mais en fin de compte, on s'aperçoit que l’âge chronologique n’a rien à voir avec l’âge émotionnel. 

Teresa est un personnage assez mutique, comment avez-vous travaillé sur les émotions, qui passent essentiellement par les regards ?

Paulina García : Le travail s’est fait au fil du temps, avec Cecilia et Valeria, en fonction des avancées du scénario. J’ai intégré tout ça en moi, j’ai traversé le même processus que Teresa pour donner ce dont elles avaient besoin pour le personnage. Teresa ne parle pas beaucoup, mais quand je ne parlais pas, je pensais à tout ce que j’aurais aimé pouvoir dire, mais que le personnage ne pouvait pas dire.

 

Vous tournez beaucoup en plans d’ensemble, avec une caméra presque immobile, pourquoi ce choix de mise en scène ? Abbas Kiarostami était une inspiration importante ?

Valeria Pivato : C’est une décision qui a été prise avant le début du tournage. Pour nous, le désert était un personnage. Avec le directeur de la photo, on a décidé du format qu’on allait utiliser et quand la caméra allait bouger, et surtout pourquoi elle allait bouger. L’important, c’était le point de vue de Teresa, dans cet acte de s’ouvrir au monde. Elle était le guide pour traverser cette histoire.

Cecilia Atán : Le deuxième point qui nous importait pour la mise en scène, c’est la petitesse du personnage par rapport à l’espace et au monde, c’est pourquoi on a choisi ce genre de plans. On voulait aller à l’essentiel, en étant dans l’économie. Bien sûr pour Kiarostami, même si on ne lui arrive pas à la cheville ! Nos références sont énormément dans le cinéma oriental. 

Le cinéma est un milieu d’hommes. On est ici face à un vrai film de femmes. Quel est votre point de vue sur le fait d’être une femme dans ce monde si masculin ?

Valeria Pivato : Ces dernières décennies, on a quand même noté une évolution, la femme a pu prendre petit à petit sa place, devant comme derrière la caméra et on sent qu’il y a une véritable intention de cinéma féminin, des protagonistes féminines apparaissent ainsi que le point de vue de femmes cinéastes.

Cecilia Atán : On voit bien, aussi au Festival de Cannes, que les femmes gagnent peu à peu leur espace. es Elles créent leur propre évolution et arrêtent de demander la permission d’être là où elles sont, elles suivent leur propre chemin sans se préoccuper du regard de l’autre et notamment du regard des hommes. Pour faire ce film, on n'a pas demandé la permission !