CAN 2024: Les académies ivoiriennes, un vivier inépuisable pour l’Europe

A 45 minutes de route à l’ouest d’Abidjan, sur un terrain très bosselé d’Attinguié, sous un soleil matinal déjà très chaud, deux minibus arrivent à 9h30. Une trentaine de gamins de 15 ans vont s’affronter, à l’occasion d’un match entre la Wilfried Zaha Academy, créée par l’international Ivoirien de Galatasaray, et le Ivoire FC. Le résultat final importe peu en vérité, puisque ce matin-là par exemple, le Ivoire FC n’a pas de gardien et s’en fera prêté un par l’équipe adverse. Les championnats de jeunes ne sont pas organisés en Côte d’Ivoire. Ce qui est capital pour les apprentis footballeurs, c’est de taper dans l’œil de l’anglais au catogan blond au bord du terrain, vêtu d’un maillot du Venezia FC. Il est recruteur pour le club belge de la Gantoise.

"Notre objectif est de sortir les stars de demain"

Le Ivoire FC s’impose 3-0, sans trembler, avec une maîtrise technique nettement au-dessus. Le président est venu pour l’occasion, c’est monsieur Daniel Brou. Mais le score ne l’émeut pas particulièrement. "Nous sommes un club qui mise sur la formation des jeunes. Notre objectif premier est de sortir les stars de demain." Le président Brou accueille des jeunes de toute la Côte d’Ivoire, mais qui doivent avoir un proche à Yopougon, quartier d’Abidjan, car l’académie n’a pas les moyens de loger tout le monde. Seuls les plus prometteurs sont d’ailleurs rémunérés, à hauteur de quelques dizaines d’euros par mois.

AEK Athènes, Udinese, Slavia Prague comme destination

Et le schéma fonctionne très bien selon le président de Ivoire FC, seulement quatre ans d’existence. "On le fait pas mal car en une saison en district, on a déjà transféré trois joueurs: à l’AEK Athènes, à l’Udinese et au Slavia Prague. On fait notre petit bonhomme de chemin." L’académie d’en face, celle créée par Wilfried Zaha, n’a pas encore envoyé de futures pépites en Europe mais l’objectif reste le même. Le frère du footballeur, Carin Zaha, préside le club. "Mon petit frère a voulu aider la jeunesse ivoirienne. On recrute des jeunes de 10 à 17 ans. L’idée est qu’ils rejoignent un club pro en Europe." Cette académie n’a pas encore réussi à envoyer de jeunes en Europe et si elle souffre de la comparaison avec le Ivoire FC, c’est probablement à cause d’un homme: coach Tyson, référence absolue en Côte d’Ivoire.

Kessié, Bissouma, Doucouré : tous découverts par Coach Tyson

Coach Tyson le dit lui-même, il a "l'œil du tigre". "Il faut avoir l’œil et il faut aimer les enfants aussi. Il faut être humain, les aimer et les soutenir. Pour qu’on y arrive ensemble, la formation seule ne peut pas suffire." Un formateur parfois dur dans les mots au bord de la touche,"t’es zéro!" mais très protecteur en dehors. Coach Tyson a fait ses preuves. Il est à la base des carrières d’Yves Bissouma, Cheick Doucouré, Franck Kessié, Emmanuel Agbadou, El Bilal Touré, Moise Sahi Dion pour en citer quelques-uns. Et ce matin là sous le soleil d’Attinguié, un "petit" a impressionné. L’arrière gauche Dani, auteur notamment d’un grand pont débordement sur son côté avant un centre décisif parfait. "Il faut faire le travail avec coach Tyson, il aime le jeu, souvent il nous gronde mais il nous pousse." Dani sait qu’il faut en passer par là pour réaliser son rêve. "Par la grâce de dieu, je rêve de jouer en Europe comme tout le monde. Comme Youssouf Koné que le coach a eu (ex latéral de Lille et Lyon), je veux être pro. J’aime le FC Barcelone, pour le jeu!"

"Tous les clubs européens recherchent ici la puissance et la vitesse"

Pas de chance pour Dani, les Catalans n’ont pas envoyé d’émissaires ce jour-là dans la banlieue d’Abidjan. Mais il y a un Anglais qui observe les jeunes. C’est Harry Varley, chef scout de la Gantoise en Afrique. "C’est fantastique de travailler ici car on peut m’appeler un matin pour faire 5h de route, me retrouver dans un village et je peux découvrir la pépite cachée. En Europe, même chez les jeunes, tout est basé sur la data. Ici non, le diamant peut encore être caché." Le recruteur anglais a repéré Dani la latéral mais aussi un milieu box to box intéressant, malgré le terrain très compliqué. "Je regarde surtout le positionnement des joueurs, l’intelligence et pas vraiment le jeu car c’est difficile de développer du football. Et je m’attarde sur les qualités physiques aussi, la puissance, la vitesse. C’est ce que tous les clubs Européens viennent chercher ici en Afrique."

Jean-Marc Guillou, le père des académies en Afrique

Taper dans l’œil de Harry n’est que le début d’un long chemin. Le jeune ne peut pas officiellement signer en Europe avant leurs 18 ans. Mais après la demande de visa, ils peuvent faire des essais puis faire des allers retours en Europe pour commencer une post formation plus professionnelle. Les académies ne demandent d’ailleurs pas d’indemnités en général pour le départ des jeunes. Mais exigent un intéressement à la revente en cas de gros transfert ultérieur. C’est la technique développée par le père des académies en Afrique, Jean-Marc Guillou. Au tournant des années 90-2000, Guillou, en partenariat avec l’ASEC Mimosas, le plus grand club Ivoirien, a fait grandir les frères Yaya et Kolo Touré, Salomon Kalou, Bakari Koné ou encore Didier Zokora. Le revers de la médaille de ces success stories, c’est le niveau du championnat Ivoirien, qui ne peut pas profiter de ses jeunes talents, poussés à partir toujours plus tôt vers le Vieux Continent. Les académies sont désormais des dizaines et des dizaines sur le territoire, plus ou moins sérieuse et organisée.

Article original publié sur RMC Sport