"Du bricolage", "humiliant": le pacte enseignant ne suscite pas l'adhésion de ces professeurs

"Le pacte? Hors de question", tempête pour BFMTV.com une professeure de lettres modernes au lycée. Dans son établissement, une quarantaine d'enseignants ont d'ailleurs signé une lettre dans laquelle ils refusent d'adhérer au pacte enseignant annoncé par Emmanuel Macron au mois de mars dernier. Un dispositif, détaillé dans un prospectus distribué lors de la pré-rentrée de ce vendredi, que cette enseignante juge méprisant.

"Le pacte sous-entend que les enseignants ne travailleraient pas assez, qu'on pourrait nous ajouter des heures. Alors qu'en réalité, on est sous l'eau", s'indigne-t-elle encore. "Je me sens insultée, c'est une méconnaissance totale de notre métier."

Le pacte enseignant, qui doit entrer en vigueur à la rentrée de septembre, est une combinaison de missions supplémentaires sur la base du volontariat. Chaque mission, de dix-huit ou vingt-quatre heures, est rémunérée 1250 euros bruts par an avec la possibilité de cumuler jusqu'à trois missions - six en lycée professionnel.

Concrètement, les professeurs du premier degré pourront assurer l'heure de soutien ou d'approfondissement en mathématiques et en français qui devient obligatoire en 6e ou encore intervenir dans le cadre du dispositif "devoirs faits" qui se généralise à la rentrée, détaille la note de service du ministère de l'Éducation nationale.

Quant à ceux du second degré, il est prévu qu'ils puissent assurer des remplacements de courte durée, proposer des stages de réussite, coordonner des projets d'innovation pédagogique, encadrer la découverte de métiers ou encore prendre en charge des élèves à besoins particuliers.

"Les enseignants assez hostiles"

Mais le pacte semble faire l'unanimité contre lui. "Dans leur grande majorité, les enseignants y sont assez hostiles", confirme pour BFMTV.com Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN-Unsa, le syndicat des personnels de direction.

"Beaucoup ne veulent pas souscrire au pacte par principe."

Le ministère n'a pas encore communiqué de données sur le sujet mais les remontées des chefs d'établissements sont éloquentes. "Le sentiment général, c'est que ça n'a pas pris", observe encore Bruno Bobkiewicz, également proviseur de la cité scolaire Hector Berlioz à Vincennes (Val-de-Marne).

Si un chef d'établissement nous a confié qu'un tiers de ses professeurs s'est montré intéressé, dans le collège de Laurent Kaufmann situé à Montreuil (Seine-Saint-Denis), un seul de ses quarante enseignants s'est porté volontaire. Quant aux professeurs des écoles qui pourraient intervenir dans son établissement, seuls deux se sont manifestés. Largement insuffisant pour ses quatre classes de 6e. "C'est pas gagné", s'alarme pour BFMTV.com ce proviseur, par ailleurs secrétaire fédéral du Sgen-CFDT.

Pap Ndiaye, le précédent locataire de la rue de Grenelle, espérait pourtant fin juin une adhésion supérieure à l'objectif initial de 30%. Certains chefs d'établissement nous ont ainsi confié avoir subi des "pressions" de la part de l'institution afin de parvenir à des objectifs chiffrés. Or, le pacte repose bel et bien sur le volontariat.

"Quelque chose d'humiliant"

Pour les enseignants, le principal problème du pacte, c'est d'abord qu'il ne répond pas à leur demande de revalorisation des salaires alors que les hausses annoncées sont diverses et ne concernent pas tous les enseignants. "C'est une prime soumise à conditions qui, en plus, ne compte pas pour la retraite", dénonce pour BFMTV.com Sophie Vénétitay, professeure de sciences économiques et sociales et secrétaire générale du Snes-FSU.

"C'est tout simplement du 'travailler plus pour gagner plus'. On préférerait que notre travail soit reconnu à sa juste valeur."

Pour Sophie Vénétitay, "contrairement aux idées reçues, les enseignants travaillent déjà beaucoup". Elle considère ainsi qu'ils ne peuvent pas faire plus, "ou alors au détriment de ce qu'ils font déjà". Et dénonce même une forme de chantage alors qu'en vingt ans, les enseignants ont perdu entre 15 et 25% de leur rémunération, selon un rapport du Sénat.

C'est justement pour cette raison que Nathalie, professeure d'arts plastiques dans un collège privé sous contrat, a accepté de s'engager pour un pacte et demi. Mais à contrecœur. "Ce que j'aurais voulu, c'est une vraie revalorisation socle", regrette-t-elle pour BFMTV.com. "Mais malgré un bac+5, on est contraint de signer ces pactes pour payer nos factures."

C'est quand elle a découvert que certaines des missions qu'elle faisait déjà gratuitement - notamment l'organisation d'expositions ou de sorties scolaires - étaient proposées dans les pactes qu'elle a acceptés. "Mais on n'a pas attendu les pactes pour faire des projets innovants! Il y a quelque chose d'humiliant là-dedans. Comme s'il fallait qu'on nous dise ce qu'on doit faire avec nos élèves."

Un calendrier "délirant"

L'autre grief important, c'est la mise en place tardive et dans l'urgence du dispositif. Alors que les chefs d'établissement devaient en faire la promotion auprès de leurs personnels en fin d'année scolaire, les textes officiels n'étaient pas encore parus. La note de service, sorte de mode d'emploi du pacte enseignant, n'a en effet été publiée au Bulletin officiel que le 27 juillet, soit bien après la fin de l'année.

"La rentrée, on la prépare dès le mois de janvier, ça prend au moins six mois", explique Laurent Kaufmann, le proviseur d'un collège de Montreuil interrogé plus haut. "Là, le calendrier a été délirant." "Ça s'est mis en place dans le désordre et la désinformation", abonde pour BFMTV.com Jean-Rémi Girard, professeur de lettres modernes et président du Syndicat national des lycées et des collèges (Snalc).

"On demandait aux enseignants de s'engager sans savoir dans quoi ils s'engageaient."

Faute de cadrage national clair, les académies et établissements ont ainsi librement interprété les annonces du ministère. Quand certains ont cru qu'il fallait nécessairement adhérer au remplacement de courte durée pour pouvoir s'engager dans d'autres missions, d'autres ont compris l'inverse. Dans certains établissements privés, ce sont même les missions de professeur principal qui ont été intégrées au pacte.

"Cela va créer des inégalités d'un établissement à l'autre", s'inquiète encore Jean-Rémi Girard, du Snalc. "Une politique nationale va devenir complètement hors de contrôle, illisible avec du grand n'importe quoi."

Des "non-sens"

Si Bruno Bobkiewicz, du SNPDEN-Unsa, salue les moyens alloués - une revalorisation totale de 3 milliards d'euros à destination des enseignants - il déplore certains "non-sens" du pacte, comme le fait qu'un enseignant ne puisse pas se remplacer lui-même, c'est-à-dire assurer à un autre moment les heures de cours lors desquelles il serait absent.

"On empêche l'opération la plus simple qui permet de limiter la perte d'heures de cours."

Sans même parler de la délicate arithmétique qui consiste à faire coïncider l'emploi du temps d'une classe avec celui du professeur remplaçant, d'autres s'interrogent sur le bien-fondé du dispositif.

"Si je dois remplacer un collègue d'histoire-géographie, je ne vais pas faire de l'histoire-géographie mais de la technologie", détaille pour BFMTV.com Laurent Calmon, professeur de technologie et secrétaire général Sgen CFDT. "De la même manière, un professeur de français fera du français sur l'heure de mathématiques. D'accord, mais il va devoir improviser un cours tombé de nulle part, peut-être auprès d'élèves qui ne sont pas les siens et dont les cours de français sont déjà assurés."

"Est-ce que, pédagogiquement, ça a un intérêt? On voit bien que le but, c'est de mettre un adulte devant des élèves."

"On est déçu"

Bien que largement décrié par les enseignants, le remplacement de courte durée est pourtant jugé prioritaire par le ministère. À tel point que dans certains établissements, il accapare la quasi-totalité des briques - ou des missions. Dans le lycée de Laurent Le Drezen, à Hyères (Var), sur les 48 briques qu'il s'est vu allouer, quelque 46 sont réservées au remplacement de courte durée.

Ce proviseur, également commissaire paritaire national du Sgen-CFDT, dénonce un manque de préparation du dispositif. "Avant, quand un professeur était absent, on pouvait arriver à le remplacer, cela se faisait au sein des équipes. Et on pouvait, comme ça, couvrir des heures", note-t-il pour BFMTV.com.

"Le pacte vient tout balayer."

Dans le collège de Laurent Calmon, sur les 28 briques proposées, la moitié est consacrée au remplacement de courte durée. "Et seulement deux pour la coordination de projets pédagogiques alors que c'est là où il y a des besoins", dénonce cet enseignant. Des projets qui, dans son établissement, permettaient d'accompagner les élèves décrocheurs. "On est déçu."

"S'imaginer que le pacte va tout changer, c'est une erreur", pointe à nouveau Sophie Santraud qui remarque que le dispositif ne répond pas, par exemple, à la question du remplacement de longue durée. "C'est du bricolage."

"On va moins bien aider les élèves"

Autre inquiétude: certaines missions prévues par le pacte, comme "devoirs faits" ou l'heure supplémentaire en mathématiques et en français, sont obligatoires. "Mais l'engagement des enseignants étant facultatif. Comment on fait?" s'interroge pour BFMTV.com Sophie Santraud, professeure de sciences de la vie et de la Terre et secrétaire fédérale au Sgen-CFDT, qui craint que les établissements ne rencontrent de réelles difficultés de fonctionnement au détriment des élèves.

Un pessimisme que partage Laetitia Benoît, professeure de français en collège et membre du Snes. "Si on se retrouve à devoir faire du soutien en classe entière, légalement l'engagement sera tenu, mais concrètement, pour les jeunes, ce sera zéro", anticipe-t-elle pour BFMTV.com.

"On nous met des bâtons dans les roues du système de soutien qui était personnalisé. Et on va moins bien aider les élèves."

Article original publié sur BFMTV.com