Brexit : pourquoi l'Irlande du Nord pose problème

La frontière entre l'Irlande et l'Irlande du Nord reste le principal point d'accroche sur le Brexit entre Boris Johnson et l'Union Européenne.
La frontière entre l'Irlande et l'Irlande du Nord reste le principal point d'accroche sur le Brexit entre Boris Johnson et l'Union Européenne.

Alors qu’une “possibilité d’accord” sur le Brexit serait dans les tuyaux, selon l’Elysée, un point reste problématique : le cas de l’Irlande du Nord.

Une “possibilité d’accord” sur le Brexit serait dans les tuyaux selon l’Elysée, à la suite d’un entretien entre Emmanuel Macron et Boris Johnson ce 15 octobre, alors qu’un sommet européen est prévu les 17 et 18 octobre prochain.

Après des mois de négociation, la frontière entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord est désormais la principale pierre d’achoppement du Brexit. Dès que le divorce sera consommé, la République d’Irlande restera membre de l’Union Européenne. L’Irlande du Nord, province britannique, en sortira en même temps que la Grande-Bretagne. Dès lors, une question se pose : quelle forme prendra la frontière qui séparera ces deux nations ?

Une problématique particulièrement difficile dans une région où la guerre civile a sévi jusqu’en 1998. En 30 ans de “troubles”, les violences en Irlande du Nord ont fait 3 500 morts, dans un conflit opposant les unionistes-loyalistes, fidèles à la Couronne britannique et à majorité protestantes d’un côté, aux nationalistes-républicains, partisans d’une union de toute l’Irlande, majoritairement catholiques de l’autre.

Que faire de la frontière ?

Les Européens et le Premier ministre britannique ne parviennent pas à s’accorder sur la forme que prendra la Brexit en Irlande du Nord. Les premiers souhaitent mettre en place le “Backstop” - décidé avec Theresa May, la prédécesseure de Boris Johnson - qui consiste à permettre à l’Irlande du Nord de rester alignée sur les normes européennes sanitaires et fiscales, afin que les biens puissent encore circuler librement.

En face, le Premier ministre britannique refuse cette possibilité, considérée par ses détracteurs comme une menace à l’intégrité constitutionnelle du Royaume-Uni, puisqu’elle implique une différence de traitement entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord.

Il est un point sur lesquels les deux partis s’accordent en tous cas : ils veulent éviter qu’une frontière physique ne vienne se réinstaller entre les deux Irlande. C’est pourtant ce qui pourrait arriver en cas de sortie sans accord, estime Christophe Gillissen, professeur d’études irlandaises à l’université de Caen-Normandie. “D’après les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce, les pays sont tenus de contrôler les marchandises qui entrent et sortent de leur territoire”, nous précise-t-il. Donc, très logiquement, “il y aura un contrôle obligatoire à la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord”.

“Ça pourrait dégénérer”

Le retour à une frontière physique avec la République d’Irlande risque d’être “mal vécu par les nationalistes et ça pourrait dégénérer”, craint Christophe Gillissen. “Il n’y aura peut-être pas de reprise du conflit, mais il peut y avoir un retour des tensions”.

“Certes, les paramilitaires dissidents peuvent commettre des attentats, mais ils n’ont plus le soutien d’avant au sein de la population” relativise de son côté Fabrice Mourlon, professeur de civilisation britannique et irlandaise à la Sorbonne nouvelle. “Ils n’ont plus la même implantation dans les quartiers et les dissidents républicains sont une centaine, grand maximum”, précise le spécialiste.

Un clivage au sein de la population

Pour autant, avant même d’être mis en place, le Brexit sème déjà la zizanie dans cette Irlande du Nord où la majorité (56%) a voté contre la sortie de l’Union Européenne. Depuis l’accord de paix du Vendredi saint, signé en 1998, “les nationalistes et les unionistes parviennent à coexister. La frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande est devenue invisible, faisant plaisir aux premier. Et en même temps, le territoire fait toujours partie du Royaume-Uni, comme le souhaitaient les seconds”, nous rappelle Christophe Gillissen. En créant “un clivage au sein de la population”, le Brexit vient fragiliser cet équilibre.

Politiquement, la situation est également loin d’être simple. Les accords du Vendredi saint prévoyaient la création d’une Assemblée locale en Irlande du Nord et le partage du pouvoir entre les nationalistes et les loyalistes. En raison de nombreux points de désaccord, l’Irlande du Nord ne dispose plus de gouvernement depuis plus de 2 ans. Le Brexit risque de ne pas améliorer la situation.

Les accords de paix de 1998 établissaient aussi la mise en place d’un conseil entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande d’un côté et entre l’Irlande du Nord et le Royaume-Uni de l’autre, rappelle Fabrice Mourlon qui estiment que “dans tous les cas, le Brexit posera un problème à ce niveau-là”. Et d’ajouter : “quand les Britanniques ont voté pour le Brexit, ils n’ont pas pensé à la question irlandaise”.

Une économie fragilisée ?

Outre les risques de tension et l’impasse politique en Irlande du Nord, le Brexit et la création d’une frontière risquent d’avoir des conséquences sur l’ensemble de l’économie Irlandaise. Car il y a une unité géographique et économique naturelle en Irlande. Les entreprises ont des clients et des fournisseurs de part et d’autre de la frontière. “Le patronat, les syndicats et les entreprises sont très inquiets”, rapporte Christophe Gillissen. Et pour cause, “il y a plus de commerce entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande qu’entre l’Irlande du Nord et le Royaume-Uni”, ajoute-t-il.

Autre inquiétude du côté des agriculteurs : une grande partie de leur revenu provient de la PAC (politique agricole commune). “Que se passera-t-il pour eux avec la sortie de l’Union européenne ?”, s’interroge le professeur d’études irlandaises. “Londres promet de prendre le relais, mais ça ne rassure pas tout le monde”.

Si un accord n’est pas trouvé d’ici la fin de semaine, le Brexit pourrait une nouvelle fois être reporté.

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