Boxe: pourquoi Artur Beterbiev est le champion du monde le plus terrifiant

Il essore les combattants face à lui à l’entraînement. Jusqu’à pousser son coach canadien Marc Ramsay à faire éviter ce supplice à ses ouailles locales. "Artur a une puissance remarquable, alors Marc n'aime pas trop qu'il mette les gants avec ses boxeurs, expliquait Christian Mbilli, qui partage la même salle, en juin 2022 dans L’Equipe. Il avait essayé mais ça s'était mal passé pour eux. Marc préfère faire venir des sparring-partners de l'extérieur qu'il paie." Artur Beterbiev n’est pas un boxeur comme les autres. Le champion WBC-IBF-WBO des mi-lourds, qui défend ses ceintures ce samedi soir à Québec (Canada) face au Britannique ancien champion dans la catégorie inférieure Callum Smith, est une machine à détruire la concurrence.

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19 combats professionnels, 19 KO. Aucun autre champion du monde n’affiche un tel ratio – le Japonais Naoya Inoue n’en compte "que" 19 en 21 combats pour une couronne planétaire. Alors forcément, même à l’entraînement, le garçon fait mal. Très mal. "On a vu des sparring-partners compter littéralement les jours avant de pouvoir rentrer à la maison, racontait son coach assistant John 'Iceman' Scully en janvier 2023 pour ESPN. Ils voulaient l’argent mais n’avaient aucune envie d’absorber sa puissance. Quand on leur demande de la décrire, ils ne font que secouer la tête. On les prévient tous à l’avance: 'N’essaie pas de jouer au héros'. Ils disent qu’il vous donne l’impression de suffoquer. C’est comme s’il absorbait tout l’air de la pièce et que vous vous retrouviez sans oxygène."

"C'est sa nature d'être puissant, analyse Mbilli. Il l'était déjà en amateur. Il soulève autant poids lourd. Il a une condition physique exceptionnelle. Tous ses coups sont puissants, même sans faire exprès. Il abîme les mains des coaches quand ils lui donnent la leçon. (…) Avec lui, le moindre petit coup fait mal." Tête couronnée à la plus grande longévité dans la boxe actuelle (il détient le titre IBF depuis novembre 2017), plus vieux champion du monde en activité, le Russe naturalisé citoyen canadien – pays où il est basé avec sa famille depuis plus de dix ans – traumatise ses adversaires depuis longtemps. Né au Daghestan et d’origine tchétchène, ce fils d’une infirmière et d’un conducteur de bus débute la boxe à 8 ans. Bonne pioche.

Sa carrière amateur dessine un talent XXL: double champion d’Europe (2006 et 2010), champion du monde (2009 après l’argent en 2008), deux participations aux JO (2008 et 2012) dont une élimination en quarts à Londres face à… l’Ukrainien Oleksandr Usyk, ancien roi incontesté à quatre ceintures des lourds-légers et actuel champion WBA-IBF-WBO des lourds. "J’avais un plan pour chaque boxeur au monde, souligne John Dovi, consultant RMC Sport et ancien manager de l’équipe de France olympique. Mais je n’ai jamais réussi à en trouver un pour Beterbiev." L’équation reste pour l’instant insoluble chez les pros.

Recruté après Londres par Marc Ramsay, qui avait créé un système pour repérer les boxeurs olympiques non médailles qui avaient le potentiel pour devenir champions chez les professionnels (Jean Pascal ou Eleider Alvarez en autres exemples), Beterbiev s’installe en 2013 à Montréal avec son épouse et ses deux enfants – deux autres sont nés là-bas depuis – et entame sur le tard sa carrière rémunérée au Canada avec le promoteur Yvon Michel. Les victoires par KO s’enchaînent. Rejoint en 2016 par John Scully, ancien challenger mondial chez les mi-lourds ramené dans son camp par Ramsay à qui il avait demandé un assistant coach en renfort et qui va beaucoup lui faire travailler son jab et ses coups au corps (domaine plus négligé chez les amateurs), Beterbiev se transforme peu à peu en épouvantail pour sa catégorie.

Jusqu’au sacre mondial IBF en 2017 en mettant KO Enrico Koelling au dernier round. Qu’il ne reverra plus. Deux défenses de titre plus tard, le gros test se présente en octobre 2019: Oleksandr Gvozdyk, médaillé de bronze olympique en 2012 qui avait mis KO le très craint Adonis Stevenson pour remporter la couronne WBC. Pour le premier combat d’unification entre deux champions invaincus chez les mi-lourds. En tête sur deux cartes des trois juges, l’Ukrainien que Beterbiev avait déjà battu chez les amateurs va finir par tomber au dixième round après avoir été trois fois au sol dans cette reprise. La recette de coups cuisiné en face a fini par lui donner une indigestion. Ils seront plusieurs à ressentir la chose.

Demandez à l’Américain Marcus Browne, éteint au neuvième round en décembre 2021 après avoir été deux fois à terre malgré une bonne coupure au front – sa seule grosse en 30 ans de boxe – infligée à Beterbiev en début de combat. Une blessure qui donne lieu à une anecdote racontée par Scully et qui définit bien le bonhomme: "Les gars coupés comme ça reviennent dans le coin et demandent: ''C’est grave?'' Mais Artur n’a rien dit. Pas un mot. Pas une expression. Je n’avais jamais vu ça." Il s’est contenté d’aller terminer l’adversaire cinq rounds plus tard. Demandez aussi au camp du Britannique Anthony Yarde, sa dernière victime en date en janvier 2023, qui a décidé d’épargner son poulain en demandant à l’arbitre de mettre un terme aux hostilités dans la huitième reprise.

Quelques mois avant, il avait ajouté la couronne WBO à sa collection en détruisant l’Américain Joe Smith Jr en moins de deux rounds. "Ce n’était même pas une démolition, sourit Scully. C’était une dissection." On touche à la beauté pugilistique de Beterbiev. Comme un Naoya Inoue, il n’est pas juste un monstre de puissance. Il y a tout le reste. La technique, affinée face à tous les styles chez les amateurs. La patience quand il le faut. Et une pression permanente mise à l’adversaire, comme un serpent qui s’enroule autour de son cou, qui en fait sans doute le meilleur "pressure fighter" de la planète boxe. "C’est une strangulation lente qui passe pour une destruction", résume le journaliste (ESPN) Mark Kriegel.

"Comme vous ne pouvez pas concurrencer sa puissance, les gens pensent qu’il est juste un cogneur, détaille Scully. Mais c’est un technicien. Contre Joe Smith Jr, il a pris son temps. Il l’a laissé venir à lui. Puis il a commencé à l’attirer vers ses coups, à faire ces choses raffinés que les gens ne voient pas." Et l’ancien boxeur de conclure sur une comparaison qui fait mouche: "Artur coupe le ring mieux que n’importe qui dans la boxe aujourd’hui. Vous vous souvenez du jeu vidéo Pac-Man? Il est pareil. Il vous suit partout. Puis il s’arrête d’un coup et part à gauche car il sait où vous voulez aller. Et c’est vous qui vous arrêtez." Il ne termine pas mais on comprend: Beterbiev finit toujours par vous manger. "Je ne me concentre pas sur le KO, détaillait l’intéressé après avoir battu Gvozdyk. J’essaie juste de boxer et les KO arrivent."

Proche du sulfureux dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov (il est notamment membre de son Akhmat Fight Club et a souvent posé en photo avec lui), qui lui a offert une Mercedes et le titre de "citoyen honoraire de Grozny" en décembre 2021 et qui a organisé des parades en son honneur, celui qui a presque boxé toute sa carrière pro au Canada et aux Etats-Unis – un combat en Angleterre et un en Russie – aura 39 ans avant la fin du mois. Pas infaillible, déjà envoyé au sol dans sa carrière, le boxeur sur qui l'agence VADA a fait "une découverte atypique" dans un test antidopage (métabolites de testostérone et d'hormone de croissance mais à des taux qui n'en font pas un contrôle positif, le tout suivi de plusieurs tests négatifs, et donc sans conséquence sur la tenue du combat) pourrait finir par être rattrapé par le temps, surtout après tant d’années passées dans les rings. Mais tant que son déclin n’est pas concret, tout le monde aura peur de lui. A raison.

Son dernier adversaire? Yarde, challenger obligatoire pour la WBO. Le prochain? Smith, challenger obligatoire pour la WBC. "Personne sur la planète ne veut affronter Artur, s’en amusait Scully l’an dernier. Vous l’affrontez seulement si vous devez le faire." Sous contrat avec le promoteur américain Top Rank depuis 2019 après être parti du giron Yvon Michel dans une bataille judiciaire (il a fait un combat avec le promoteur anglais Matchroom Boxing entre les deux), Beterbiev a encore une mission à accomplir avant peut-être de raccrocher les gants: unifier toutes les ceintures majeures des mi-lourds. Callum Smith est le dernier obstacle sur la route du choc tant attendu avec un autre Russe invaincu, Dmitry Bivol, champion WBA de la catégorie.

L'Arabie saoudite a déjà annoncé sa volonté de les réunir dans le ring dans les mois à venir pour le deuxième combat d’unification entre deux champions invaincus chez les mi-lourds (après Beterbiev-Gvozdyk, donc) qui sacrera le champion incontesté de la catégorie dans l’ère à quatre ceintures et le premier tout court depuis Roy Jones Jr entre 1999 et 2002. Eddie Hearn, patron de Matchroom, a même précisé que Bivol avait déjà signé sa partie du contrat (Beterbiev doit battre Smith puis signer la sienne pour officialiser l'affaire) pour cette opposition de styles fascinante entre celui qui ne voit jamais les juges et celui qui les voit toujours ces derniers temps et bat les cogneurs à la décision (neuf de suite pour Bivol, série en cours). Certains se demandent, et ils n’ont sans doute pas tort, si Artur Beterbiev n’est pas le champion le plus sous-coté de la boxe pour le grand public par rapport à ce qu’il réalise dans le ring. S’il bat Smith puis Bivol, la machine à détruire aura peut-être enfin la lumière méritée.

Article original publié sur RMC Sport