Bourvil célébré à Lille: "au-delà de l'image du benêt, il y avait de la poésie"

André Raimbourg alias Bourvil en décembre 1969 - AFP
André Raimbourg alias Bourvil en décembre 1969 - AFP

C'est l'un des duo les plus drôles du cinéma. Depuis Le Corniaud et La Grande vadrouille de Gérard Oury, Louis de Funès et Bourvil restent à jamais indissociables dans l’imaginaire collectif. Le hasard veut qu’en cette année étrange le premier soit célébré à la Cinémathèque de Paris, tandis que le second fait l’objet d’une exposition sur sa carrière cinématographique au Palais Rihour à Lille.

Organisée dans le cadre du festival CinéComédies à l’occasion des 50 ans de la mort d’André Bourvil, cette rétrospective de la filmographie du comédien permet de découvrir près de 450 pièces. On y trouve pêle-mêle des affiches, des scénarios, des photos, la Coupe Volpi obtenue par Bourvil pour La Traversée de Paris au festival de Venise, une des chemises qu’il porte dans Les Grandes Gueules (1965), la casquette qu’il portait dans plusieurs films, ainsi que son bureau.

"Cette exposition est un voyage dans sa carrière depuis ses débuts en 1946 dans Pas si bête (son premier succès, 6,6 millions d’entrées!) jusqu’à 1970 et le tournage du Mur de l’Atlantique. Le but est de permettre aux gens de découvrir la progression de ses rôles, du naïf paysan à l’inspecteur du Cercle Rouge", résume Pascal Delmotte, commissaire de l’exposition et auteur de deux livres sur Bourvil.

"Tout le monde peut se retrouver dans un Bourvil"

Bourvil savait tout jouer et a en réalité toujours alterné comédies et drames. "Il a même pu interpréter des personnages odieux, comme dans Les Misérables (1958), mais c’était rare", précise le spécialiste. Bourvil s’était fait connaître à la fin des années quarante et au début des années cinquante grâce à plusieurs films d’André Berthomieu. Il y joue le rôle de Léon Ménard, paysan benêt qui finit toujours par s’en sortir et par prouver aux autres qu’il n’était pas aussi benêt qu’on le pensait.

"Ce personnage de comique paysan a eu une évolution formidable", commente Dominique Raimbourg, le fils de Bourvil. "Il va l’accompagner tout au long de sa carrière. Léon Ménard évolue ensuite pour devenir Martin dans La Traversée de Paris. Il a apporté à la comédie un rôle qu’il a su faire évoluer au fil du temps." La Grande vadrouille sera une autre étape de cette mue. Antoine Maréchal, le peintre en bâtiment, devient l’égal du chef d’orchestre Sébastien Lefort - sans qu’aucun des deux ne se renie.

"Au cinéma, tout le monde peut se retrouver dans un Bourvil", indique à son tour Pascal Delmotte. Il donne de l’espoir: "Quelqu’un a dit un jour que le monde était peuplé de Bourvils. Au moment de son décès, un journal avait aussi titré 'le cousin de tous les Français est mort'. C’est vraiment ça, Bourvil."

Et comme Louis de Funès, il est "le comique que l’on peut regarder en famille et qui fait toujours autant rire même si on connaît par cœur ses films." L’exposition est aussi l’occasion de découvrir des films plus méconnus de Bourvil comme Le Miroir à deux faces (1958) et Fortunat (1960). Deux œuvres qui comptaient parmi ses préférées.

"Il se préoccupait de la qualité du film"

Bourvil choisissait avec attention ses films et avait "un regard modeste" sur sa carrière: "Il ne voulait plus regarder les films de ses débuts. Il disait qu’ils étaient trop pauvres. Dans une interview, il disait qu’on se souviendrait toujours des grands peintres, mais pas des acteurs, qui seront rapidement oubliés", ajoute le commissaire de l’exposition. "Il se préoccupait de la qualité du film", renchérit Dominique Raimbourg, qui se souvient du "désappointement" de son père en découvrant un film "qu’il ne trouvait pas très bon lors de la première".

https://www.youtube.com/embed/YPrIr-5uwyY?rel=0

Comme ces acteurs devenus stars par hasard, il chérissait la "chance extraordinaire" de pouvoir gagner sa vie en jouant la comédie. "Il y avait une chanson d’Aznavour qui l’émouvait beaucoup, Je m'voyais déjà (1961). Il se projetait dans ce chanteur qui se voyait déjà en haut de l’affiche et qui n’y est jamais arrivé. Lui avait le sentiment d’avoir échappé à ça. Il avait beaucoup de compassion pour tous ses collègues artistes qui couraient des cachetons, qui n’arrivaient pas à décrocher des rôles."

Ce fut le cas de Louis de Funès, avant qu'il ne devienne une star grâce au Corniaud (1965), à cinquante ans passés. Les deux hommes avaient appris auparavant à s’apprivoiser en jouant dans Poisson d’avril (1954), Les Hussards (1955), puis dans La Traversée de Paris et évidemment Le Corniaud. "Il ne faut pas oublier Oury! C’est le trio qui fait le succès", précise Dominique Raimbourg. Très complices à l’écran, Bourvil et de Funès ne se côtoyaient pas hors des plateaux. Bourvil comme de Funès séparait sa vie privée de sa vie professionnelle.

"Mocky lui faisait tourner des rôles plus intellectuels"

La rencontre de Bourvil avec Jean-Pierre Mocky reste une des plus belles de sa carrière. Avec le cinéaste gouailleur, Bourvil tourne quelques-uns de ses films les plus atypiques, dans lesquels il tient des rôles très différents de ceux qui lui collent à la peau.

"Mocky lui faisait tourner des rôles plus intellectuels", note Pascal Delmotte. "Dans Un drôle de paroissien (1963), il est un grand bourgeois ruiné. Il est ensuite inspecteur dans La Cité de l’indicible peur (1964), prof de latin dans La Grande Lessive (1968) et un vétérinaire dans L’Etalon (1970)." Malgré des caractères complètement opposés, les deux hommes s’appréciaient. Bourvil appréciait la fougue et les provocations du jeune réalisateur.

https://www.youtube.com/embed/-6SkIXl0VVw?rel=0

"Il était séduit par l’originalité de Mocky", confirme Dominique Raimbourg. "On ne s’attend pas à les retrouver ensemble, mais à mon avis, il apporte beaucoup à Mocky. Il y a deux films qui tranchent: Un drôle de paroissien et La Cité de l’indicible peur. Dans l’univers très noir de Mocky, les personnages qu’incarne mon père amènent une espèce de touche de fraîcheur. Il tire l’univers de Mocky, dont la vision de l’humanité est très grinçante, vers quelque chose de féerique, de poétique."

"Il a voulu travailler jusqu’au bout"

Autre rencontre importante dans la carrière de Bourvil: Jean-Pierre Melville. Avec lui, il tourne Le Cercle Rouge, qui sera son avant-dernier film. Il y incarne le solitaire inspecteur Matteï. Alors qu’il se sait condamné par la maladie, le comédien livre une de ses prestations les plus bouleversantes. Dominique Raimbourg n’était pas présent sur le tournage du Cercle Rouge, mais il a pu assister à celui du Mur de l’Atlantique. "Il avait du mal à conduire et donc à plusieurs reprises j’ai fait le chauffeur", se souvient-il. "C’était un calvaire pour lui. Il souffrait. Le cancer avait des métastases osseuses. C’était extrêment douloureux. Le moindre cahot dans la voiture lui tirait des gémissements de douleur."

A l’écran, la maladie ne se voit pas. "C’était un homme courageux, et il s'est servi de son métier pour faire face à la maladie. Le travail lui permettait de retrouver de l’optimisme. S’il était capable de travail, c’est qu’il allait s’en sortir. Il n’était pas obligé, mais il a voulu travailler jusqu’au bout. Il a trouvé des gens qui voulaient l’aider. Les professionnels du cinéma ont pris des risques énormes. Les assurances ne voulaient plus assurer un acteur malade." Bourvil s’est éteint le 23 septembre 1970, à peine un mois avant la sortie du Cercle Rouge.

https://www.youtube.com/embed/94bpcioFMZY?rel=0

Cinquante ans après sa disparition, Bourvil reste associé à quelques répliques immortelles ("Ah bah maintenant, elle va marcher beaucoup moins bien forcément!", "C'est là qu'est l'os!"). Immortel, Bourvil l’est. Plus que de son vivant où il était souvent confondu avec un autre géant du cinéma français, se souvient son fils: "Des personnes dans la rue allaient le voir et lui disaient, 'On vous a vu dans La Vache et le prisonnier. Et il disait, 'Ah bah non, c’était Fernandel! Moi, je faisais la vache!'" C’était ça Bourvil: au-delà de l’image du benêt, il y avait de la poésie.

Exposition "Le Cinéma de Bourvil", au festival CineComedies de Lille, du 12 septembre au 4 octobre, Palais Rihour (Place Rihour, Lille). De 10h à 18h, dernière visite à 17h30. Entrée libre.

Article original publié sur BFMTV.com