Bouhafs, Coquerel, Quatennens... LFI cherche sa ligne contre les violences faites aux femmes

Bouhafs, Coquerel, Quatennens... LFI cherche sa ligne contre les violences faites aux femmes

"On donne l'impression qu'on fait du deux poids deux mesures, on ne peut pas continuer comme ça", soupire un collaborateur du groupe de La France insoumise en résumant l'ambiance au sein du parti, en "état de sidération" depuis qu'Adrien Quatennens a reconnu dimanche dernier avoir giflé son épouse.

Confronté à plusieurs accusations dans ses rangs ces derniers mois, le mouvement semble tiraillé entre la prise en compte de la parole des femmes et la fidélité à ses lieutenants.

Bouhafs écarté, Coquerel maintenu, Quatennens "en retrait"

En mai dernier, c'est le journaliste militant Taha Bouhafs qui renonce à la course aux législatives dans le Rhône, officiellement en se disant victime de harcèlement raciste.

Quelques semaines plus tard, on découvre que le comité de suivi interne de LFI avait en réalité reçu "des témoignages circonstanciés d’agressions sexuelles graves", comme l'avance Clémentine Autain. Le parti lui a demandé de retirer sa candidature, "en raison de la gravité des faits supposés, par principe de précaution", explique alors le mouvement auprès de BFMTV.

Fin juin, à peine élu président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, Éric Coquerel est visé par des accusations de Sophie Tissier. L'ancienne gilet jaune dénonce son "comportement outrancier, offensant, harcelant" - ce que nie le député LFI, visé par une enquête du parquet de Paris pour "harcèlement et agression sexuels".

Le député n'a pas fait l'objet de sanction interne au sein du mouvement.

"Eric Coquerel n’est coupable de rien du tout", balaye Jean-Luc Mélenchon auprès de Libération. "Il fait l’objet d’une rumeur et d’une opération politique."

Dernière affaire en date: Adrien Quatennens. Après avoir évoqué le dépôt d'une main courante de son épouse, avec laquelle il est en instance de divorce, le député reconnaît dans un communiqué de presse l'avoir giflée et annonce son retrait de son poste de coordinateur de LFI.

Deux jours plus tard, Danièle Obono annonce également son "retrait du travail parlementaire" tandis que le parquet de Lille confirme l'ouverture d'une enquête. La démission de son mandat de député n'est pas sur la table, assure cependant Mathilde Panot, la présidente du groupe LFI à l'Assemblée nationale.

"Croire la parole des femmes est un choix arbitraire"

Sur les bancs des adversaires de La France insoumise, plusieurs figures se sont plu à souligner les contradictions du parti. Au Rassemblement national, Marine Le Pen dénonce ainsi "les difficultés" de LFI sur le sujet quand Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance à l'Assemblée, évoque une "indignation à géométrie variable".

L'attitude de Jean-Luc Mélenchon est particulièrement critiquée. D'autant plus qu'il tweete sa "confiance" et son "affection" à Adrien Quatennens quand la ligne de son parti sur la question des violences sexuelles et sexistes est - sur le papier - maximaliste.

"Décider de croire la parole des femmes est un choix arbitraire mais nous l’assumons", expliquait-il d'ailleurs dans les colonnes de Libération en juillet dernier.

Une procédure précise, des résultats variables

Mais au sein du parti, on ne nie pas les difficultés à gérer ces affaires en interne par le biais de la cellule contre les violences sexuelles et sexistes lancée en 2018 par Danièle Simonnet, une proche d'Éric Coquerel.

Chaque victime présumée, qu'elle soit élue ou militante, peut alerter ce comité de suivi et déposer son témoignage sur un e-mail dédié. Composé de sept membres, toutes des femmes bénévoles, il rencontre ensuite la victime présumée pour recueillir son témoignage. L'objectif est de monter un dossier avec son récit, d'autres témoignages s'ils existent et des éléments matériels comme des textos.

L'ensemble de ces pièces est ensuite transmis à un autre organe: le comité de respect des principes de LFI. C'est lui qui doit interroger la personne visée par les accusations et décider d'éventuelles sanctions comme la suspension ou l'exclusion du parti.

Dans le cas de Taha Bouhafs, le comité de suivi avait reçu plusieurs signalements contre lui début mai, alors qu'il était candidat pour les élections législatives. Le journaliste militant avait alors retiré sa candidature avant la fin de l'instruction de son dossier - la procédure a donc été arrêtée.

Dans le cas d'Éric Coquerel, Sophie Tissier s'est rapprochée du comité après avoir dénoncé publiquement les faits dont elle aurait été victime, avant de porter plainte. Auprès de Mediapart, elle expliquait n'avoir pas d'abord souhaité saisir la cellule de LFI, jugeant les faits présumés "pas suffisamment graves".

Dans le cas d'Adrien Quatennens, la cellule n'a pas été contactée par son épouse, qui n'est ni militante ni élue. Le comité ne peut pas, par ailleurs, s'auto-saisir.

Une situation "difficile sur le plan humain"

Pour expliquer les différences de traitement entre les trois affaires, Mathilde Viot, cofondatrice de l'Observatoire des violences sexuelles et sexistes en politique, avance plusieurs explications.

"Il y a un mécanisme clanique de défendre ses proches, des gens qu'on apprécie", analyse d'abord cette ancienne collaboratrice de LFI.

C'est que le parcours de Taha Bouhafs, une figure du mouvement contre les violences policières assez éloigné des instances dirigeantes, est très différent de celui d'Éric Coquerel ou Adrien Quatennens, deux hommes au cœur de la machine insoumise. Dans le cas du député du Nord, numéro 2 du parti, Clémentine Autain a d'ailleurs évoqué une situation "très difficile sur le plan humain", ce mardi sur BFMTV.

"Imaginez si ça vous arrive là (sur votre lieu de travail). Vous avez le choc, l'émotion que cela peut susciter (...) Nous sommes des élus mais nous sommes aussi un collectif humain", a encore expliqué l'élue de Seine-Saint-Denis.

A contrario, "Taha Bouhafs n'avait pas beaucoup de connexion avec des gens qui pèsent vraiment en interne", résume un élu local. "On l'avait repéré dans les luttes sociales mais il n'a jamais fait vraiment partie de la machine. Je ne crois pas que grand-monde se soit précipité pour le défendre."

Le militant ne détenait pas non plus de mandat électoral, contrairement à Éric Coquerel et Adrien Quatennens, tous deux députés, compliquerait également la donne en termes de procédures.

"Ce n'est pas la même chose de retirer l'investiture de quelqu'un à une élection et de demander à un élu qui nous représente devant la République que de quitter le parti, voire de démissionner de la mission confié par les électeurs", analyse encore un insoumis.

"J'ignore ce dont on m'accuse"

Taha Bouhafs lui-même a d'ailleurs pointé du doigt la procédure suivie par le parti dans son cas. Deux mois après son retrait de l'investiture des législatives, il publie une lettre de six pages à ses "camarades insoumis", disant "ignorer ce dont on (l')accuse" et regrettant n'avoir "jamais été confronté aux dites accusations".

"Après une longue période de silence public et après plusieurs relances internes, je reviens vers vous par cette lettre pour vous demander une procédure juste et équitable dans laquelle je pourrais savoir ce que l’on me reproche exactement", écrit-il encore.

En guise de réponse, LFI explique que, sauf si accord de la plaignante, le mode de fonctionnement de la cellule ne permet de communiquer l'identité de la victime présumée, le lieu et la date des faits supposés.

Le mouvement s'est d'ailleurs justifié dans un communiqué de presse: "Nos modalités de fonctionnement pour répondre aux nouveaux défis nés de ce besoin d’écoute et de sanctions, alors que la justice peine tant à faire son travail, (...) sont évidemment perfectibles tant elles répondent à des défis nouveaux", avançait le parti en juillet dernier.

"Si la société fonctionnait parfaitement pour faire reculer ces violences, nous ne serions pas obligés de prendre nous-mêmes de telles mesures internes", développait encore le parti dans ce communiqué de presse.

Pourquoi pas l'article 40?

Le parti pourrait cependant avoir recours à un autre dispositif: l'article 40. Ce texte de la procédure pénale consiste à informer le procureur de la République de la connaissance d'un délit ou d'un crime.

"Les affaires de violences conjugales ou de harcèlement ne se règlent pas en interne", a ainsi expliqué Aurore Bergé, la patronne des députés macronistes (Renaissance possède tout de même une cellule de lutte contre les violences sexuelles, NDLR). "Si j'étais sollicitée, ou le groupe, nous ferions immédiatement un signalement article 40."

LFI n'a pas retenu cette option, jugeant que la volonté de la victime présumée n'était pas forcément respectée dans ce cas. "Si la victime ne souhaite pas saisir la justice, elle n'a plus son mot à dire puisque le procureur se saisit automatiquement du dossier", décrypte Mathilde Viot, cofondatrice de l'Observatoire des violences sexuelles et sexistes en politique. "Et la personne reste en place en attendant une éventuelle sanction judiciaire, pouvant encore commettre d'autres délits dans son poste."

D'autres pointent également du doigt la différence entre le temps politique et le temps judiciaire, justifiant une action interne aux partis. Georges Tron, ancien secrétaire d'État, a ainsi été accusé en 2011 de viols et d'agressions sexuelles. Il a été définitivement condamné en 2021. Dix ans plus tard.

"Il est resté membre du conseil municipal de sa ville toutes les années de son procès et même après sa condamnation. Quel est le signal envoyé aux victimes, à ses administrés?", se demande Fiona Texeire, l'une des initiatrices du #Metoopolitique à l'automne dernier.

Pour éviter une gestion en interne de ces affaires, la députée écologiste Sandrine Rousseau a souhaité lundi dernier sur France 5 le lancement d'une autorité indépendante, "à la façon de la haute autorité pour la transparence de la vie publique". Le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes souhaitait, dès 2019, la création de cette instance.

Article original publié sur BFMTV.com