Boucq publie un livre sur le procès de Janvier 2015: "Vous avez accès à la cruauté, à la violence, à la veulerie"

Détail de la couverture de
Détail de la couverture de

Proche de Cabu, le dessinateur François Boucq a couvert avec le romancier Yannick Haenel pour Charlie Hebdo le procès des attentats de 2015, qui s'est déroulé entre septembre et décembre 2020.

Chaque jour, l'auteur de BD a tenté de retranscrire les moments forts de cet événement historique, tandis que l'écrivain écrivait le compte-rendu de la séance. Leur travail est désormais réuni dans un livre, Janvier 2015 - Le procès, qui sort ce jeudi 21 janvier aux éditions Les Échappés, et propose des dessins inédits, dont les portraits jamais vus jusqu'à présent des cadavres des frères Kouachi et d'Amedy Coulibaly.

Étant donné son caractère historique, et la proximité de Boucq avec une des victimes des attentats, ce livre est-il le plus important de sa carrière? "Je n’irai pas jusqu’à dire ça", répond-t-il, "mais c’est un livre important, bien sûr, parce qu’il est totalement atypique. Tous les livres que vous faites sont importants, parce que c’est une part de votre vie. Là, c’est un peu différent dans la mesure où je me suis mis au service de la mémoire des gens que je connaissais et d’un propos affectif et politique."

"Eviter tout pathos"

Un mois après la fin du procès, Boucq, qui a dessiné sans interruption pendant trois mois et demi d'affilée, souffle enfin. Il a le souvenir d’un "foisonnement", et d’avoir pu assister à "un éventail complet de ce que l’humanité est capable de faire": "Vous avez accès à la cruauté, à la violence, à la veulerie, au mensonge, à la vérité. Des gens viennent à la barre et se transforment devant vous. Vous passez de moments bouleversants à des moments presque grotesques."

De ces trois mois et demi, il garde en mémoire la violence de certaines dépositions: "Elles disaient crûment la souffrance [des victimes], leurs désespoirs, leurs espérances. D’un coup, vous voyez arriver quelqu’un à la barre. Vous ne vous attendez pas à ce qui va être dit - je crois que la personne elle-même ne savait pas ce qu’elle allait dire et ce qu’elle allait déclencher dans l’auditoire. C’était tellement bouleversant que ça laisse des traces."

Et ce malgré les visages masqués, pandémie de Covid-19 oblige. "Malgré l’incapacité de pouvoir voir la totalité d’un visage, j’ai quand même réussi à faire en sorte qu'on reconnaisse les gens. J’en ai été le premier étonné", indique Boucq. La nécessité de porter des masques a mis en évidence ce qui permet de reconnaître une personne: son attitude, plus que les traits de son visage. "Il fallait rendre l'indicible par des formes", commente le dessinateur. L'indicible, c'est aussi l'enjeu des albums de Catherine Meurisse (La Légèreté, Les Grands espaces) et de Luz (Catharsis, Indélébiles) depuis l’attentat.

La couverture de Janvier 2015 - Le procès donne l'impression au lecteur d’être à la barre. On y voit le président du tribunal se recueillir. Derrière lui, un écran diffuse l'image des frères Kouachi armés de leur Kalachnikov dans les locaux de Charlie Hebdo. Boucq n'a pas voulu représenter sur ce dessin Simon Fieschi, grièvement blessé lors de l'attentat, et la dessinatrice Coco, qui se trouvent sur la photo d'origine. "Je ne voulais pas les faire apparaître sur l’image. Je voulais qu'il n’y ait que les frères Kouachi, pour éviter tout pathos."

"Ça fait du bien de savoir que ces gens sont morts"

C'est aussi avec les frères Kouachi que l'album se termine. Une annexe présente leur parcours, ainsi que celui de Amedy Coulibaly. Le lecteur y verra aussi trois images terribles, d'une grande violence, impossible à oublier: le visage des trois hommes à leur mort. Des images jusqu'à présent jamais vues, que Boucq a retranscrit dans toute leur violence: "C’est une sollicitation de Riss [le directeur de publication de Charlie, NDLR]", explique-t-il, avant de raconter le défi de dessiner de telles images:

"J’ai eu accès aux photos du dossier. Je dois dire que ces images sont particulièrement pénibles à dessiner. Quand vous dessinez quelque chose comme ça, vous êtes obligés d’être attentif à tout ce qu’il y a sur la photo. Ils ont ces espèces de rictus... surtout Saïd Kouachi, qui à travers la mort est encore en train de sourire. Ce sont des choses assez pénibles à faire. Je les ai faites, bien sûr, parce que c’était nécessaire pour Riss. Riss m’a dit qu’il fallait qu’il y ait ces images. Je pense que ça leur faisait du bien. Ça fait du bien de savoir que ces gens sont morts."

Ces dessins sont assortis d'une image tout aussi terrible, celle d'un enfant des frères Kouachi en train de sucer un pistolet. "C’est presque une abomination de voir le môme en train de sucer un flingue que lui a sans doute donné son père ou son oncle. Il y a quelque chose là-dedans qui dit qu’il peut y avoir un héritage et qu’il faut se méfier. Ce n’est pas une image anodine", commente Boucq. "Si ces images ont un rôle à jouer, c’est celui de dire de faire attention, qu’on n’est pas à l’abri, qu’il y a des choses en devenir, qu’il faut essayer d’interrompre ce futur en agissant maintenant."

La suite de l'année devrait être plus réjouissante pour le dessinateur. Boucq multiplie comme à son habitude les projets, et en prépare un de particulièrement alléchant pour septembre: une BD "au ton désinvolte" sur la prise du Gouvernement Général d'Alger le 13 mai 1958, qui a permis le retour au pouvoir du général de Gaulle. Toujours la grande Histoire, mais cette fois-ci vue d'un point de vue humoristique.

Janvier 2015 - Le procès de Yannick Haenel (texte) et François Boucq (dessin), Les Echappés, 216 pages, 22 euros.

Article original publié sur BFMTV.com