Boris Johnson va quitter son poste mais n’a pas dit son dernier mot

Boris Johnson, ici le 31 août à Milton Keynes, devrait rester très présent après son départ du 10, Downing Street.
ANDREW BOYERS / AFP Boris Johnson, ici le 31 août à Milton Keynes, devrait rester très présent après son départ du 10, Downing Street.

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Boris Johnson, ici le 31 août à Milton Keynes, devrait rester très présent après son départ du 10, Downing Street.

ROYAUME-UNI - C’est l’une des dernières images que Boris Johnson laissera de son passage à Downing Street. Au milieu d’un champ vide, gilet orange sur le dos, debout devant une pelleteuse, le doigt pointé vers un trou béant visiblement fraîchement creusé dans la terre. C’était le 30 août, lors d’un déplacement dans une ferme du Dorset, dans le sud de l’Angleterre, pour assister à l’installation de câbles de fibre optique.

Curieuse image pour un Premier Ministre sur le départ, à quelques jours de passer la main à Liz Truss ou Rishi Sunak, ce lundi 5 septembre, après une démission fracassante en juillet. Faut-il y voir le signe de la fin de vie politique de Boris Johnson ?

Boris Johnson lors de sa visite dans le Dorset, le 30 août, l’un de ses derniers déplacements officiels avant son départ du 10, Downing Street.
BEN BIRCHALL / AFP Boris Johnson lors de sa visite dans le Dorset, le 30 août, l’un de ses derniers déplacements officiels avant son départ du 10, Downing Street.

BEN BIRCHALL / AFP

Boris Johnson lors de sa visite dans le Dorset, le 30 août, l’un de ses derniers déplacements officiels avant son départ du 10, Downing Street.

Nombre d’observateurs britanniques ont facilement cédé à cette tentation. Le principal intéressé, lui, refuse d’évoquer son avenir. Interrogé sur place par un journaliste de Sky News, il assure qu’il ne pense qu’à une chose : « le présent ». « Les gens sont bien plus intéressés par la qualité de leur haut débit (le sujet de sa visite, NDLR) que par le sort de tel ou tel homme politique », esquive-t-il.

Un « plan » pour revenir ?

En privé pourtant, Boris Johnson n’hésiterait pas à dire qu’il sera « de nouveau Premier Ministre dans moins d’un an », croit savoir le fondateur du blog ConservativeHome, proche des Tories. Rien d’étonnant pour Tim Bale, politologue à l’université Queen Mary de Londres : « Johnson a un ego aussi gros que la Terre, donc il est aisé d’imaginer qu’il pense pouvoir faire son retour, comme d’autres hommes politiques à l’ego aussi gros que la Terre, Silvio Berlusconi et Donald Trump », ironise-t-il auprès du HuffPost.

Alors même qu’il n’est pas encore officiellement parti, la presse britannique se fait même l’écho d’un « plan » organisé par Boris Johnson et ses alliés pour retrouver sa place de Premier Ministre. Pour cela, il faudrait d’abord que son ou sa successeur(e) - a priori l’actuelle ministre des Affaires étrangères Liz Truss, la mieux placée - ne parvienne pas à s’imposer dans l’opinion. Le camp Johnson n’a pas peur de faire ce pari, au vu de la situation explosive de l’économie britannique, avec une inflation à plus de 10 % et des grèves sans précédent.

« Elle va devoir affronter les mouvements sociaux, la question du prix de l’énergie, l’inflation, la totale. Les gens vont se dire : ’est-ce qu’il aurait vraiment fait pire ?’ », prédit une source au sein du parti conservateur citée par le Mirror. « Ça a l’air tiré par les cheveux mais je pense qu’il en est capable. Il estime avoir été traité de manière injuste et pense toujours qu’il a des choses à faire », ajoute-t-elle.

Pour Tim Bale, « il manque déjà à certains conservateurs - ceux qui l’adulent et pensent qu’on l’a ’poignardé dans le dos’ -, qui rêvent qu’il revienne. Les membres du parti les plus rationnels comprennent sans doute que ce serait une folie, mais ont trop peur pour le dire à voix haute. »

Mais l’hypothèse d’un « come-back » est balayée par John Curtice, politologue de l’université de Strathclyde, pour qui Boris Johnson « a perdu toute crédibilité ». « Sa carrière d’homme politique est finie, il a été prouvé qu’il a menti, et il ne pourra pas revenir en arrière », tranche-t-il auprès du HuffPost.

Le « partygate » et Chris Pincher, des affaires encombrantes

Boris Johnson n’a jamais eu de problème à mentir. C’est même pour cette raison qu’il avait été licencié du Times, où il officiait en tant que journaliste, en 1988. Et c’est aussi ce qui a poussé une cinquantaine de membres de son gouvernement à démissionner en juillet, lassés des scandales à répétition. Ils lui reprochent notamment l’affaire Chris Pincher, du nom de ce responsable du gouvernement visé en 2019 par des accusations à caractère sexuel. Boris Johnson avait-il été mis au courant avant de le nommer en février ? Il a d’abord nié - en demandant à ses ministres d’aller défendre cette position dans les médias - avant de reconnaître qu’il avait été prévenu mais qu’il avait « oublié ». La goutte de trop après le « partygate », ces fêtes organisées à Downing Street pendant le confinement.

« Tellement de Britanniques ont encore en tête les sacrifices qu’ils ont dû faire pendant la pandémie, les décisions difficiles qu’ils ont dû prendre, alors qu’il se passait cela à Downing Street. Si on ne peut pas lui faire confiance là-dessus, comment lui faire confiance pour la suite ? », s’interroge John Curtice.

Les électeurs conservateurs, eux, seraient-ils prêts à parier de nouveau sur lui ? Une partie du moins, selon un sondage YouGov publié par le Times début août. Si Boris Johnson affrontait les deux candidats à sa succession, 40 % des membres du parti voteraient pour lui, contre 28 % pour Liz Truss et 23 % pour Rishi Sunak. « Ce sondage en dit plus sur les deux candidats à sa succession que sur Boris Johnson lui-même », tempère John Curtice. En clair, « BoJo » a acquis une grande popularité, notamment quand il était maire de Londres, que n’ont pas ses prétendants successeurs. « Mais en tant que Premier Ministre, il a beaucoup divisé », souligne le politologue. « Au moment de sa démission, c’était l’un des Premiers ministres les moins populaires et avec le moins de confiance de la part des Britanniques », insiste Tim Bale.

Autre difficulté, et pas des moindres : « Les membres du Parlement ont décidé qu’il ne pouvait pas rester à son poste, et cela est important », insiste Tony Travers, professeur à la London School of Economics (LSE), joint par Le HuffPost. Car le Premier Ministre britannique est aussi désigné chef de son parti politique. « Vous devez donc avoir la confiance de la majorité de vos membres », un défi de taille pour Johnson.

« Les médias ont besoin de stars, et c’est une star »

Une autre musique fait les titres de la presse britannique. D’après le Telegraph, le futur ancien Premier Ministre pourrait être poussé par ses soutiens vers le poste de secrétaire général de l’Otan, après le départ prévu du Norvégien Jens Stoltenberg ce mois-ci.

« Très improbable », répondent de concert John Curtice et Tony Travers. « Il a effectivement eu un rôle important dans la guerre en Ukraine, mais l’international ne fait pas partie de ses sujets de prédilection », analyse le second, qui précise que cette décision doit être prise par « tous les membres de l’Otan ».

Pour l’heure, beaucoup voient Boris Johnson revenir à ses premières amours, le journalisme. Pour une question financière, d’abord. « Il semblerait qu’il n’a pas des revenus adaptés à son train de vie », note John Curtice. Le Guardian rappelle qu’il sort tout juste d’un divorce coûteux avec sa première femme et doit subvenir aux besoins de ses sept enfants. Toujours selon le journal, il aurait été approché par le Daily Mail pour y écrire une chronique régulière après son départ du 10, Downing Street. Il collaborait déjà avec le Daily Telegraph lorsqu’il était membre du Parlement... pour une rémunération de 275 000 livres par an (environ 318 000 euros) à raison d’une chronique par semaine. Nul doute, donc, que ce travail lui permettra de maintenir un train de vie confortable.

« C’est un bon rédacteur, il sait écrire rapidement et il fait preuve de beaucoup d’humour. Il est aussi bon à la télé. Les médias ont besoin de stars, et c’est une star », imagine déjà Tony Travers. Et pourquoi pas des conférences à travers l’Europe et les États-Unis ? « Il serait très populaire, car même s’il est avant tout un phénomène politique britannique, il représente aussi une forme de leadership de centre droit », analyse le professeur. Boris Johnson s’était par ailleurs engagé en 2015, alors qu’il était maire de Londres, à écrire une biographie de William Shakespeare qu’il n’a jamais eu le temps de finir. Le contrat s’élevait à 500 000 livres (environ 578 000 euros) selon le Guardian.

Qu’il soit au Parlement, à l’Otan ou dans les médias, Boris Johnson devra de toute façon faire face à un obstacle majeur cet automne : l’enquête parlementaire sur le « partygate », censée déterminer s’il a trompé la Chambre des communes en affirmant ne pas avoir enfreint les règles sanitaires. Si cette dernière conclut à une faute, il risque une suspension de la Chambre et la perspective d’une nouvelle élection dans sa circonscription du nord-ouest de Londres, dont il reste théoriquement député jusqu’aux prochaines élections en 2024. « C’est un déshonneur pour un homme politique d’être exclu pour avoir menti. Son avenir dépendra beaucoup de ce dernier chapitre », prévient le politologue John Curtice.

À voir également sur Le HuffPost : Boris Johnson se la joue « Terminator » pour son dernier show à la Chambre

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