« Borgo » : le procès de l’affaire dont s’inspire le film s’ouvre, avec quelques différences par rapport à la fiction

Louis Memmi et 
Hafsia Herzi dans « Borgo » de Stéphane Demoustier.
Petit Film & France 3 cinéma Louis Memmi et Hafsia Herzi dans « Borgo » de Stéphane Demoustier.

JUSTICE - Cette fois, c’est pour de vrai. Seize personnes doivent être jugées à partir de ce lundi 6 mai devant la cour d’assises d’Aix-en-Provence, dans les Bouches-du-Rhône, pour le double assassinat de deux figures du grand banditisme corse à l’aéroport de Bastia Poretta le 5 décembre 2017. Une affaire retentissante qui a inspiré Borgo, sorti au cinéma il y a seulement deux semaines.

Le film de Stéphane Demoustier (réalisateur de La Fille au bracelet, sorti en 2019) raconte l’arrivée en Corse de Melissa, une jeune surveillante pénitentiaire venue s’installer sur l’île avec son mari et ses deux enfants pour prendre un nouveau départ. À la prison de Borgo, en Haute-Corse, elle tisse des liens avec des bandits et finit par se laisser entraîner dans une mécanique qui la mettra en danger.

Ce rôle, campé à l’écran par Hafsia Herzi (nommée aux César 2024 pour Le Ravissement), est inspiré de l’histoire (vraie) de Cathy Sénéchal, « matonne » à Borgo et accusée notamment de meurtre en bande organisée dans l’affaire jugée à partir de ce lundi. Elle est soupçonnée d’avoir donné « le baiser de la mort » à Jean-Luc Codaccioni, l’une des deux victimes de l’aéroport, en lui faisant la bise, ce jour de décembre 2017, dans le but de le désigner auprès du tireur, qui l’exécutera quelques instants plus tard – et tuera également Antoine Quilichini (dit « Tony »), venu accueillir le premier.

Des avocats dénoncent la sortie du film avant le procès

Les avocats de Cathy Sénéchal et de certains mis en examen n’ont pas attendu la diffusion du film, le 17 avril, pour dénoncer la concomitance entre cette date de sortie et le début du procès, à quinze jours d’écart. Il est « particulièrement regrettable qu’une œuvre de fiction s’empare, avant même l’ouverture du procès », d’un dossier qui « n’est pas un spectacle, ni un divertissement », regrettait auprès de l’AFP, dès la fin 2023, Me Julien Pinelli, conseil d’un mis en examen. « Je m’interroge notamment sur l’influence que pourrait avoir ce film sur les jurés et magistrats qui auront dans un avenir proche le devoir de juger nos clients », craignait-il encore dans les colonnes de Corse-Matin.

Une critique balayée par le réalisateur. « Le calendrier judiciaire ne correspond pas forcément avec les impératifs économiques liés à la programmation d’un film », rappelle Stéphane Demoustier à Corse-Matin, soulignant que « le film n’embrasse pas le point de vue des voyous et n’est pas hagiographique envers la surveillante de prison ».

Stéphane Demoustier, qui a eu l’idée de ce scénario en lisant un long article publié dans Le Monde en 2019, revendique au contraire d’avoir « essayé d’oublier ce fait divers » pour « embrasser la fiction » et plonger dans « le mystère de savoir comment on peut, en quelques mois, passer d’une vie ordinaire à un destin de criminel ». « Je n’ai pas fait d’enquête », insiste-t-il auprès de l’AFP.

Une « matonne » éloignée de celle de la réalité

Et cela se traduit par quelques différences entre le fait divers et la fiction. Contrairement à la vraie Cathy, 41 ans à l’époque des faits et mère de cinq enfants, la Melissa du film, âgée de dix ans de moins, est d’origine maghrébine et en couple avec un homme noir (interprété par Moussa Mansaly), victime du racisme d’un voisin corse. Une histoire dans l’histoire, imaginée pour Borgo, tout comme les scènes racontant ce couple qui tente de se retrouver dans sa nouvelle vie en Corse.

« Quand [Stéphane] Demoustier m’a proposé le scénario, il m’a dit “c’est inspiré d’un fait divers mais c’est très éloigné, ne regarde pas [d’informations à ce sujet]”, a raconté Hafsia Herzi sur le plateau de C l’hebdo. J’ai quand même regardé, mais il n’y avait pas beaucoup d’informations. J’ai essayé de me faire mon film. »

À l’écran, son personnage est donc bien éloigné de la vraie « matonne », comme l’a confirmé un surveillant de la prison de Borgo qui tient un rôle dans le film. « Il a connu [Cathy Sénéchal] et m’a dit qu’elle n’avait vraiment rien à voir avec le personnage que [je joue] », a encore confié Hafsia Herzi.

Autre liberté notable prise par le réalisateur : le double assassinat a lieu, dans la fiction, à l’aéroport d’Ajaccio, ville où la famille de Melissa a posé ses valises, alors que le vrai fait divers s’est joué à Bastia et ses environs.

« C’est rien, c’est pour un film ! »

Au-delà de ces écarts avec la réalité, Stéphane Demoustier a souhaité « filmer un territoire et ceux qui y vivent » en étant le plus juste possible. Et cela commençait par les acteurs choisis pour incarner les bandits de l’unité 2 de la prison de Borgo, tous corses et n’ayant, pour la plupart, jamais joué au cinéma. « Ils ont une manière de s’exprimer, de se tenir, qui leur appartient. On ne pouvait pas faire semblant », explique le réalisateur dans une interview au CNC.

Parmi ces comédiens, certains ont séjourné entre les murs de la prison corse. Une précieuse mine d’informations pour le cinéaste qui n’a pas eu l’autorisation de tourner à Borgo et a dû la reconstituer dans une prison désaffectée de Compiègne, dans les Hauts-de-France.

Hafsia Herzi dans « Borgo » de Stéphane Demoustier.
Petit Film & France 3 cinéma Hafsia Herzi dans « Borgo » de Stéphane Demoustier.

Le réalisateur s’est aussi appuyé sur Me Pascal-Pierre Garbarini, connu pour avoir défendu Yvan Colonna mais aussi Tariq Ramadan ou Alain Delon. En plus d’incarner à l’écran l’avocat de Melissa, il a directement participé à l’écriture du scénario de Borgo. « Outre mes origines corses, mon métier d’avocat me permet de connaître assez bien le monde du crime organisé », estime-t-il auprès du CNC.

Stéphane Demoustier a également tenu à conserver un détail significatif du règlement de comptes de 2017, qui résume à lui seul l’équilibre fragile entre cette affaire et la fiction. En quittant le parvis de l’aéroport de Bastia après les assassinats, un complice du tueur a lancé aux témoins, comme pour les rassurer : « C’est rien, c’est pour un film ! »

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