Private Practice : pourquoi la série dérivée de Grey’s Anatomy arrive aussi tard en France
C'est lundi que France 2 lancera la diffusion en France de Private Practice, la série dérivée de Grey's Anatomy. Ce démarrage au début de l'été est intéressant à plus d'un titre. Il arrive avec près de quatre ans de retard, et pas sur la chaîne à laquelle la série était initialement destinée. On aurait pu croire qu'une production issue d'une série aussi populaire serait programmée sans attendre, histoire de profiter du filon. Eh bien non ! Enquête sur une série au parcours atypique.
C'est en 2007, alors que Grey's Anatomy en est à sa troisième saison, que Shonda Rhimes, la créatrice de la série, pense à un spin-off (c'est à dire une série dérivée) basé sur le personnage hautement provocateur de Addison Montgomery (incarné par Kate Walsh). L'ex du docteur Mamour faisait sa première apparition, tonitruante, à la fin de la saison 1 de Grey's Anatomy. Le concept de la nouvelle série repose sur le fait de laisser Addison voler de ses propres ailes, loin de l'hôpital de Seattle, alors qu'elle rejoint une clinique privée de Santa Monica.
Est alors produit un double épisode de Grey's Anatomy (diffusé vers la fin de la saison 3) qui est ce que l'on appelle un « backdoor pilot » (ce que l'on peut traduire par un pilote « par l'entrée de service » !). À la différence des pilotes habituels, il est construit en tant qu'épisode d'une série déjà existante, avec donc tous les acteurs réguliers, mais se focalise sur les personnages du nouveau projet. Ce procédé a l'avantage de ne pas dépenser de budget spécifique pour un pilote classique, qui ne sera peut-être jamais diffusé. Ce processus a notamment été utilisé pour tester Les Experts Miami et NCIS Los Angeles.
Le double épisode en question montre donc le départ d'Addison, et son nouveau job en tant que gynécologue, à Oceanside Wellness. L'idée ayant été accueillie avec un enthousiasme modéré, Private Practice démarre aux États-Unis la rentrée suivante avec plusieurs changements. Addison va travailler avec de nouveaux collègues : Naomi, son mari Sam, Cooper, Violet et Pete. Très vite, on retrouve le style Grey's Anatomy : un mélange de situations mélodramatiques avec les patients et de aventures amoureuses entre les médecins.
En France, c'est tout naturellement TF1, qui diffuse déjà Grey's Anatomy, qui se voit proposer la série et en fait l'acquisition : même studio de production, même accord de base. Il paraît logique que la série dérivée de Grey's Anatomy soit sur la même chaîne. TF1 annoncera d'ailleurs son acquisition et enverra même des DVD de visionnage à la presse.
Mais pendant ce temps, Private Practice a quelques difficultés. Trop ennuyeuse, trop claustrophobique… Les histoires bien calmes de ces médecins qui travaillent dans une clinique où chaque chambre a son canapé et où de gros oreillers trônent sur les lits, ennuient les téléspectateurs. Le casting a beau être classieux (Tim Daly, Taye Diggs, Amy Brenneman, Paul Adelstein…), le succès est mitigé.
La grève des scénaristes vient mettre fin prématurément à la première saison : il n'y a que neuf épisodes en boîte. Retour à la rentrée 2008, le temps pour l'équipe de reformater une fois encore la série. On la rend plus glamour et moins « clinique de riches » : les docteurs sirotent des smoothies tout en discutant de leurs patients, en plein Santa Monica, sous de grosses lunettes noires !
Pour TF1, la situation semble se compliquer : non seulement la série paraît avoir moins de potentiel que sa grande sœur, mais elle est clairement destinée à un public plus « mûr », pour ne pas dire autre chose. La chaîne tarde à diffuser le moindre épisode. Aux États-Unis, la série poursuit sa route, d'année en année…
À chaque saison ou presque, Shonda Rhimes produit des cross-over, c'est-à-dire des épisodes dont l'histoire traverse ses deux séries. Le temps d'une soirée spéciale, Addison retrouve ainsi quelques personnages de Grey's Anatomy, et vice-versa. La bonne occasion pour TF1 de tester Private Practice : la chaîne en diffusera ainsi un seul épisode, en liaison avec celui de Grey's Anatomy. L'audience n'est ni catastrophique ni spectaculaire.
Pendant ce temps, France 2 doit préparer l'après Cold Case et l'après FBI Portés disparus. Manquant d'accord privilégiés avec des majors américaines, elle va donc profiter de cette période de questionnement concernant Private Practice. Si TF1 n'en veut plus, serait-elle plus à sa place sur France 2 ? On peut en effet analyser que le choix de TF1 de se défaire de Private Practice (et aussi de la série Castle) pourrait venir avant tout des limitations de ces séries en terme de public : tranche d'âge concernée, type de profils touchés… Selon mon point de vue, tout cela a pu paraître insuffisant pour TF1 qui doit « ratisser large » : hommes et femmes, parents et grands-parents, les enfants, etc…
Et voilà que TF1 cède donc non seulement Private Practice mais aussi Castle, avec le succès que l'on sait pour France 2. Des années après son lancement aux États-Unis, la série médicale cossue et à l'ambiance feutrée démarre donc en France. En été, sans grande pression d'audience.
Et si au bout du compte, France 2 aussi n'y croyait pas trop ?
Alain Carrazé, directeur de 8 Art City
Crédit photo : ABC Studios