Le retour de l’affaire Bettencourt

Il paraît que le JDD est le journal préféré de Nicolas Sarkozy. Selon Franck Louvrier, son conseiller en communication : « A Neuilly hier, comme à l'Élysée aujourd'hui, il le lit de la première à la dernière ligne chaque dimanche matin depuis plus de trente ans. »

Ce week-end, le candidat de l'UMP a sans doute lu dans son journal préféré un article intitulé : « De Maistre écroué pour le financement de l'UMP ». Patrice de Maistre, souvenez-vous, c'est celui qui gérait la fortune de Liliane Bettencourt. En 2007, il a embauché la femme d'Eric Woerth. En 2008, Eric Woerth lui a remis la Légion d'Honneur. Résultat, en 2012, Eric Woerth a été mis en examen pour « trafic d'influence » par le juge bordelais Jean-Marie Gentil.

C'est le même juge qui a fait incarcérer Patrice de Maistre, mais selon le JDD, pas pour une histoire de médailles. L'affaire est plus embarrassante : « En clair, noir sur blanc dans son ordonnance demandant l'incarcération de Patrice de Maistre, le magistrat bordelais soupçonne qu'une partie des fonds en espèces récupérés par les Bettencourt a servi au financement de la campagne de 2007. »

Aïe ! Un mois avant le premier tour de la présidentielle 2012 , l'affaire Bettencourt est de retour.

Et si Ségolène avait raison ?

La semaine dernière, Ségolène affirmait que Nicolas Sarkozy a "peur" de perdre l'élection présidentielle parce qu'il a "absolument besoin d'être réélu pour être couvert par l'immunité présidentielle". En entendant ça, tout l'UMP s'est étranglé d'indignation. Des propos « abjects et diffamatoires » selon Nadine Morano, « ignobles et scandaleux » selon Henri Guaino.

Pourtant, dans l'ordonnance qu'il a rédigée pour demander l'incarcération de Patrice de Maistre, le juge Gentil cite nommément Nicolas Sarkozy : "Il convient de noter que des témoins attestent d'une visite du ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy au domicile des Bettencourt pendant la campagne électorale de 2007, que des investigations sont donc nécessaires s'agissant de ces premières remises de 2007." Les remises sont évidemment des remises d'argent liquide. Selon le témoignage de Claire Thibout, l'ancienne comptable de Liliane, c'était un usage bien installé chez les Bettencourt.

Bref, le juge Gentil pourrait avoir des questions à poser à Nicolas Sarkozy. Mais c'est impossible tant qu'il est Président de la République. D'ailleurs, Ségolène ne s'était pas gênée pour enfoncer le clou en évoquant le cas d'un prédécesseur de Sarkozy : « Regardez ce qui est arrivé à Jacques Chirac. Les emplois fictifs, c'était beaucoup moins grave, il a fallu attendre qu'il ne soit plus président pour que la justice puisse faire son travail. »

Banier défend Sarkozy

Dans ses carnets, l'ami intime de Liliane notait tout. Ainsi, à la date du 26 avril 2007, il a retranscrit une confidence que lui aurait faite Liliane : "De Maistre m'a dit que Sarkozy avait encore demandé de l'argent. J'ai dit oui". Mais lorsque les policiers l'ont interrogé en 2010 à ce propos, Banier a fait marche arrière : « Je ne cherche pas à protéger Sarkozy, par contre Liliane est du genre à confondre des noms. Elle aurait pu confondre avec Balladur ou un autre. (…) Très franchement, je vais vous dire, je ne vois absolument pas Sarkozy demander de l'argent à Liliane. »

Alors, comment savoir qui dit vrai dans cette affaire ?

La déontologie à la trappe

Au cours de l'été 2010, alors que l'affaire Woerth-Bettencourt s'étalait à la Une des journaux, le président Sarkozy a décidé de réagir. Il a donc commandé un rapport pour lutter contre les conflits d'intérêt dans la vie publique.

Le rapport publié en janvier 2011 a suscité des « grincements de dents à droite ». Un article du Monde cite la réaction de Gérard Longuet : « Attention à ne pas sombrer dans la République du soupçon généralisé et ensuite de la délation. »

Malgré cela, le président Sarkozy annonce début février 2011 qu'un projet de loi sur la déontologie de la vie publique sera présenté au Parlement dans l'année. François Baroin est en charge du projet. En juin 2011, le Ministère du Budget est fier d'annoncer que cette loi sera « un des derniers grands textes du quinquennat ». En réalité, le projet de loi censé lutter contre les conflits d'intérêt n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée Nationale. Tant pis pour la République irréprochable…