À quand la guerre civile en France ?

C'est Mélenchon qui en parlait l'autre jour sur le plateau de l'émission « Des paroles et des actes ». C'était le 12 janvier sur France 2. Le candidat du Front de Gauche venait de parler pendant trois heures et la France découvrait la puissance de son verbe. À la fin de l'émission, deux journalistes se sont retrouvés face à lui pour le débrief de sa prestation. Hervé Gattegno ("Le Point") avait bien écouté car il est revenu sur ce que Mélenchon a dit de plus intéressant, le coeur de son raisonnement.

En parlant du Front National, le candidat du Front de Gauche prédisait pendant l'émission : "De toute façon, à la fin, ça se terminera entre eux et nous". Gattegno lui a donc demandé d'expliciter son propos. Qu'est-ce qu'il entendait par là ?

Mélenchon a livré sa vision de l'Histoire en cours. Il a dit : "Ce système d'austérité imposé de manière autoritaire va déboucher sur un désastre. Cette politique d'austérité va retirer des milliards de l'économie, cela va conduire à une immense récession et alors il va y avoir un énorme tumulte !" Et pour bien faire comprendre que le mot « tumulte » était une litote, il a répété l'expression "un énÔÔÔrmeuh tumulte !" Dans ces moments-là, Mélenchon a un côté méridional qui fait penser à Pasqua.

Les extrêmes sont au centre

Et si Mélenchon avait raison ? En 2007, le troisème homme, c'était Bayrou. Cette fois, il est cinquième, derrière Le Pen et derrière Mélenchon. La « gauche de la gauche » et la « droite de la droite » occupent le centre de l'échiquier.

Avant le premier tour, François Hollande l'avait dit à Thomas Legrand ("France Inter") : "Si Mélenchon dépasse les 15%, je suis foutu." Finalement, Hollande s'en tire bien. Il est en tête au premier tour et son boulet n'a fait que 11%. Pour Sarko, c'est tout le contraire. D'une, il n'a pas réussi à virer en tête au premier tour. De deux, son boulet pèse aujourd'hui 18% des voix.

Dans un éditorial du "Monde", Gérard Courtois souligne que de nombreux Français jugent cet affrontement gauche/droite artificiel, réducteur et obsolète. Pourtant, au second tour, il faudra choisir (une fois de plus) entre les deux grands partis de gouvernement (UMP et PS). Le système est toujours en place, l'UMPS a rassemblé 55,8 % des suffrages exprimés (28,2 + 27,6) mais la colère monte …

Le match des populismes

C'était la Une du "Monde" le 8 février dernier : "Mélenchon-Le Pen, le match des populismes". Dans le camp Mélenchon, on a très mal pris ce titre. "Mediapart" estimait ainsi que "Le Monde" se déconsidérait complètement en « renvoyant dos-à-dos Mélenchon et la raciste et fasciste sarko-guéant-compatible Marine Le Pen. » Dans "Libé", Pierre Marcelle n'était pas très content non plus. "Il n'y a rien de commun entre ces deux personnalités, deux partis, deux programmes et deux classes que tout oppose en tout", écrivait-il.

Mais justement, ce qui réunit le FN et le FG, c'est ce qui les oppose (Yin et Yang). Ils sont liés l'un à l'autre comme deux adversaires réunis pour un match. Ce match, c'est Mélenchon lui-même qui l'a mis en scène en proclamant que son objectif était de battre le Front National. Trois jours avant le premier tour, Eric Coquerel (conseiller spécial de Mélenchon) appelait à la lutte « Front contre Front ».

Comme disait Mélenchon, « À la fin, ce sera nous contre eux ». Pour l'instant, on s'affronte par le biais des urnes, mais si survient un « énorme tumulte », le match se poursuivra peut-être derrière des barricades…

Le peuple contre le système

Ça fait un bout de temps que le peuple a envie de faire péter le système. En 2002, Le Pen avait atteint le second tour de la présidentielle. Mais aux législatives qui ont suivi, le FN n'a obtenu aucun député. En 2005, 54,68% des Français votent "Non" au référendum sur le Traité Constitutionnel européen. Mais trois ans plus tard, le Traité de Lisbonne sera ratifié par les députés et les sénateurs. En 2007, Bayrou a rassemblé plus de 18% des voix à la présidentielle. Mais aux législatives qui ont suivi, le Modem n'a obtenu que trois sièges de députés...

Nous voilà en 2012, et cette fois, le peuple est dans la rue. C'est Mélenchon qui a lancé la mode de ces démonstrations de force. Il s'en amusait lui-même lors de son meeting de Marseille : « Nous avons créé une mode suffisamment puissante pour que, par imitation, ils aient tous décidé de sortir des salles. Nous sommes contents de les voir prendre l'air ! »

Depuis, le ton a changé. En apprenant que Sarkozy organisait un grand rassemblement le 1er mai place du Trocadéro, Mélenchon n'était pas content du tout : « Ça donne un signal d'une tonalité d'affrontement avec les syndicats. On voit qu'on entre dans une période de radicalisation du combat. » Son conseiller spécial Eric Coquerel y a même vu « une déclaration de guerre aux travailleurs. »

Le 1er mai à Paris, il y aura donc trois grands rassemblement politiques, trois grosses démonstrations de force. Tant que chacun reste de son côté et se contente d'invectiver l'adversaire à la tribune, pas de problème. Mais si les cortèges se croisaient, qu'adviendrait-il ?

La Révolution

Marine Le Pen lance régulièrement des appels à la révolution. En novembre 2011, elle promettait "la révolution bleu marine". En décembre, c'était un appel à "une révolution patriotique, pacifique et démocratique". Et ce mois-ci, elle réclamait une "révolution bleu blanc rouge".

Évidemment, Jean-Luc Mélenchon n'est pas en reste. Lui aussi lance des appels à la révolution. Sur son blog, il lance même des appels à l'insurrection immédiate. Mais attention ! Ne lui faites pas dire ce qu'il n'a pas dit. L'insurrection dont il parle est "une insurrection civique", "une insurrection citoyenne, pacifique, calme et organisée".

Cela dit, il ajoute une citation extraite de la Constitution votée en 1793 : "Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs". Ça ouvre pas mal de perspectives…

La crise n'est pas finie

Selon Mélenchon, ce qui fait planer la menace d'un "énorme tumulte", c'est la perspective de la récession qui nous guette. Les deux favoris ont préféré ne pas son montrer trop pessimistes à ce sujet. L'un et l'autre ont bâti leur programme (ainsi que leur trajectoire de retour à l'équilibre des finances publiques) sur l'hypothèse d'une croissance à 1,7% en 2013, puis 2% minimum après 2014.

Il se trouve que le FMI n'est pas si optimiste. Selon le Fonds Monétaire International, en 2013, la croissance française resterait molle, à seulement 1%. Le Fonds en déduit que le déficit public de la France devrait être à 3,9% en 2013, loin de l'objectif de 3% fixé par le gouvernement. Au cas où vous seriez un peu perdu dans ces chiffres, ils signifient que le futur président (quel qu'il soit) devra rapidement adopter un nouveau tour de vis budgétaire après l'élection du 6 mai.

Selon le calendrier maya, la fin du monde serait prévue pour le 21 décembre 2012. Mais si on en réchappe, il faut peut-être se préparer à un énorme tumulte en 2013…