Blocages des agriculteurs : les signes avant-coureurs de la gronde agricole que le gouvernement a négligés

Cette photographie prise le 7 décembre à Boissy Lamberville (Eure) montre un panneau retourné par des agriculteurs pour illustrer leur slogan « on marche sur la tête.
JOEL SAGET / AFP Cette photographie prise le 7 décembre à Boissy Lamberville (Eure) montre un panneau retourné par des agriculteurs pour illustrer leur slogan « on marche sur la tête.

AGRICULTEURS - Une blague nocturne devenue progressivement l’expression d’un mal-être collectif. Alors que la colère du monde agricole continue de s’exprimer avec force, le gouvernement de Gabriel Attal est attendu au tournant ce jeudi 25 janvier par toute une profession qui veut des réponses rapides aux nombreuses revendications formulées par les syndicats.

À Perpignan, on a suivi un blocage d’autoroute par des agriculteurs en colère

Mais ce début de bras de fer entre les agriculteurs français et le gouvernement pouvait-il être anticipé ? C’est la question qui se pose lorsque l’on regarde dans le rétroviseur. Car les signes avant-coureurs de cette colère généralisée ne datent pas d’hier et auraient dû alerter bien plus tôt les membres de l’exécutif.

Une plaisanterie (qui n’en était pas vraiment une)

Début novembre, plusieurs articles fleurissent dans la presse régionale pour rendre compte d’un drôle de phénomène : celui des panneaux à l’envers. Plus précisément les panneaux de signalisation indiquant les entrées et sorties de communes. Mais ces actions passent dans un premier temps pour une mauvaise farce réalisée par quelques plaisantins.

Pourtant, très vite, le phénomène s’étend à toute la France. Et les auteurs finissent par revendiquer leur coup. Deux syndicats agricoles sont à la manœuvre : la FNSEA (majoritaire dans la profession) et les Jeunes agriculteurs (JA).

Cette action conjointe est un moyen d’alerter l’opinion et les pouvoirs publics sur les nombreux facteurs qui pénalisent les agriculteurs français. Leur slogan -très entendu ces derniers jours- est d’ailleurs très clair : « On marche sur la tête ».

Le 17 novembre, des panneaux sont également retournés dans le Finistère. Pour les agriculteurs bretons, c’est un moyen d’attirer l’attention du ministre Marc Fesneau, alors en visite dans le département. Mais l’action reste discrète : « Nous ne voulions pas interférer avec des actions plus bruyantes, par respect pour les sinistrés de la tempête Ciaran. Nous voulons juste que le ministre revienne vers nous plus tard », expliquait à Ouest-France Yann Le Gac, secrétaire général des JA du Finistère.

Premiers blocages

Ces actions symboliques répertoriées dans pratiquement tous les départements français, comme en attestent les rédactions locales d’Actu.fr, finissent par se métamorphoser en mouvement de contestation plus global.

Ainsi, une première opération d’ampleur est organisée à Toulouse le 22 novembre. Des tracteurs de toute la région Occitanie convergent alors vers la Ville rose pour bloquer une partie du périphérique toulousain.

Quelques jours avant Toulouse, une manifestation similaire avait déjà eu lieu dans le Tarn. Les agriculteurs mobilisés avaient installé une bâche remplie d’eau devant la cité administrative d’Albi. Le but étant de sensibiliser sur les problèmes d’irrigations dus aux récentes sécheresses.

Dans Le Monde, le sociologue des mondes agricoles François Purseigle n’est d’ailleurs pas étonné que le mouvement ait trouvé son origine en Occitanie, où une « colère latente » date déjà de plusieurs « mois, voire années », à cause de « crises économiques et sanitaires à répétition » et d’un fort « sentiment de déclassement ».

L’exécutif regarde ailleurs

Les semaines suivantes, la contestation prend encore de l’ampleur au niveau national. Comme à Saint-Brieuc, Brest, Quimper et Morlaix, dans plusieurs villes du Pas-de-Calais, ou à Châteauroux. En Allemagne, la colère des agriculteurs commence elle aussi à grimper. Et dès le 8 janvier, des agriculteurs protestent contre la politique agricole du gouvernement allemand en bloquant des entrées d’autoroutes.

Du côté du gouvernement français, c’est toujours le silence radio. Il faut dire qu’il est déjà bien occupé avec la loi immigration, qui laissera ensuite sa place au casse-tête du remaniement ministériel, début janvier. Pendant ce temps, la colère des agriculteurs se propage au reste de l’Union européenne. Roumanie, Espagne, Pologne, Autriche, ou encore Pays-Bas sont désormais concernés par la colère agricole.

Il faudra finalement attendre mi-janvier et le premier Conseil des ministres du gouvernement Attal pour obtenir un premier écho politique. Devant ces ministres, le président français glisse une phrase lourde de sens après avoir été alerté par son ministre des Affaires étrangères concernant les mobilisations allemandes : « Il a demandé d’être attentifs à ce qui bruisse dans nos campagnes », rapporte à Politico une ministre présente le 17 janvier à l’Élysée.

Deux jours plus tard, Emmanuel Macron finit par imposer aux préfets qu’ils se rendent sur le terrain durant le week-end pour aller « à la rencontre des agriculteurs ». Une prise de conscience tardive, qui tranche aussi avec les premières alertes de l’opposition.

Le 30 novembre, la niche parlementaire de la France Insoumise posait sur la table l’établissement d’un « prix d’achat plancher des matières premières agricoles ». Signe que dans la classe politique, certaines questions cruciales pour les agriculteurs s’étaient déjà frayé un chemin depuis plusieurs mois sur les bancs de l’Assemblée nationale.

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