De "Blackwater" à "Katie", des livres aux couvertures hypnotisantes

Des exemplaires du roman "Katie" de l'auteur américain Michael McDowell, édités par la maison d'édition Toussaint Louverture, exposés à la librairie Mollat le jour de sa parution officielle, le 19 avril 2024 à Bordeaux (Philippe LOPEZ)
Des exemplaires du roman "Katie" de l'auteur américain Michael McDowell, édités par la maison d'édition Toussaint Louverture, exposés à la librairie Mollat le jour de sa parution officielle, le 19 avril 2024 à Bordeaux (Philippe LOPEZ)

Avec leurs allures de grimoires de poche, lumineuses et en relief, les couvertures emblématiques de la saga littéraire à succès "Blackwater" renferment le travail d'orfèvre d'une maison d'édition indépendante près de Bordeaux, qui symbolise un engouement pour les livres-objets.

Pour réussir la publication posthume des six tomes du best-seller "Blackwater" de Michael McDowell (1950-1999), à raison d'un livre tous les 15 jours au printemps 2022, Dominique Bordes, patron de la maison d'édition Monsieur Toussaint Louverture, voulait "créer quelque chose d'unique".

"Pour que les lecteurs achètent six fois, il faut apporter une justification en matière de prix, de couverture et de périodicité", glisse-t-il.

Alors pour la publication vendredi de "Katie", autre roman de l'auteur américain --connu pour avoir écrit le scénario du film "Beetlejuice" de Tim Burton-- la petite maison d'édition girondine a employé une recette identique: des éléments visuels et un jeu de dorures sur la couverture gaufrée qui la rendent immédiatement reconnaissable.

"Ça crée une identité globale, tout en différenciant. On n'avait jamais vu ça pour du livre de poche", confie Marie Stonestreet, responsable du rayon Poches/adolescents/Science-fiction de la grande librairie bordelaise Mollat.

- "Boîtiers de cartes" -

Dominique Bordes a d'abord cherché un illustrateur capable de "faire des couvertures de livres comme des boîtiers de cartes à jouer, des +decks+". "Il n'y avait que Pedro (Oyarbide) qui correspondait, avec le côté doré, sophistiqué, mais aussi rock-and-roll, bling-bling, tatouages", précise l'éditeur quadragénaire.

"Dominique m'a laissé beaucoup de liberté pour interpréter +Blackwater+ et le représenter", apprécie l'illustrateur espagnol, ravi d'avoir pu inclure "des serpents, des crânes, la mort, la peur" pour retranscrire "l'atmosphère gothique" du roman.

La fabrication de la couverture, avec ses dorures noires et or, puis le gaufrage apportant du relief, est un autre défi qui prend "au moins 13 ou 14 jours" sur une machine spéciale, souligne M. Bordes. "La dorure c'est de l'encre solide, il faut de la pression et de la chaleur pour la déposer sur la couverture. Il y a tout un travail à la main pour équilibrer les pressions."

"La machine n'était pas exploitée à plein régime jusque-là, elle a été amortie" grâce à la commande de l'éditeur, reconnaît de son côté Mélanie Franca, responsable fabrication, édition, communication de l'imprimerie Print System à Bègles, près de Bordeaux.

Le texte est ensuite imprimé et injecté dans les couvertures dans une autre imprimerie, dans l'Eure.

- "Pur produit livre" -

Au final, "on paie la couverture près de dix fois plus cher", indique l'éditeur. "On gagne beaucoup moins par livre, donc pour garder un prix de format poche, il fallait un très gros volume, avec un premier tirage de 150.000 exemplaires".

Et derrière, un gros travail de "marketing, presse, auprès des libraires et lecteurs", couronné de succès puisque la saga a largement dépassé le million d'exemplaires vendus.

"En poche, les énormes succès, en dehors des reports d'ouvrages primés ou de succès en grand format, sont rares. +Blackwater+ sort de nulle part, d'autant que c'est un pur produit livre, sans lien avec une série ou un film", note la libraire Marie Stonestreet.

Même les coffrets vides pour ranger la saga s'arrachent: les 1.500 vendus en ligne par l'éditeur sont tous partis.

"Contrairement à ce qu'on nous a dit sur la mort du livre papier, sur la dématérialisation, on a vu depuis une quinzaine d'années un intérêt croissant pour des livres bien faits", soulignait en décembre Cédric Biagini, fondateur des éditions L'Echappée, dans le podcast Les Voix du Livre.

"Des éditeurs indépendants, comme Monsieur Toussaint Louverture, Marchialy, Le Tripode, ont eu cette envie de faire un objet livre singulier pour se différencier", abondait Jacques Braunstein, rédacteur en chef délégué de Livre hebdo.

"Ces manières de faire vont influencer les plus gros éditeurs inévitablement", estime M. Biagini. "Quand on va dans une librairie aujourd'hui, on voit que ce soin particulier a dépassé le seul domaine de l'édition indépendante, exigeante".

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