De "Black Panther 2" à "Ant-Man 3", pourquoi la recette Marvel s'essouffle

Kathryn Newton et Paul Rudd dans
Kathryn Newton et Paul Rudd dans

Le règne sans partage de l'univers cinématographique de Marvel (MCU) touche-t-il à sa fin? Après avoir enchaîné les cartons depuis 2008, et atteint son apogée en 2019 avec Avengers: Endgame, devenu le deuxième plus gros succès de tous les temps, la saga multiplie les déconvenues.

Si le MCU fait toujours salle comble, Black Widow, Shang-Chi et Les Éternels n'ont pas dépassé les 500 millions de dollars de recettes mondiales - une première depuis Captain America il y a douze ans. D'un point de vue scénaristique, les nouveaux films de la phase 4 ont déçu - même Black Panther: Wakanda Forever. La phase 5, qui vient de débuter avec Ant-Man et la Guêpe: Quantumania, doit relever le niveau.

"La phase 5 sera apparemment moins chiante que la phase 4", espérait en janvier le site Écran Large. "Marvel n'a plus le droit à l’erreur", affirmait en décembre Le Journal du Geek. "Quelque chose s'est effectivement perdu, la qualité a sensiblement baissé", acquiesce de son côté Arno Kikoo, rédacteur en chef du site spécialisé Comicsblog.

"Dans les premières phases, il y avait un contrôle qualité plus rigoureux", complète Patrice, fan éclairé de l'univers Marvel et lecteur assidu de comics depuis 1978. "Le succès du MCU reste massif, mais les films qui étaient un phénomène global, et étaient connus de tous, sont désormais plus orientés vers les fans. Ses choix ont éloigné une partie du public. Il doit revenir vite aux films à grand spectacle."

Aucun point de mire

Après la Saga de l'Infini (phases 1 à 3), consacré à l'avènement de Thanos, la Saga du Multivers (Phases 4 à 6) doit mettre en scène un super-villain encore plus puissant, Kang le conquérant. Si la menace de Thanos était présente tout au long des premiers films du MCU, et s'intensifiait au fil des scènes post-générique, celle de Kang n'est pas encore pleinement exploitée, déplore Arno Kikoo:

"Pendant dix ans, Marvel nous a vendu Thanos comme étant l'ultime menace. Et même si certains films n’étaient pas excellents, il y avait toujours une mention des pierres d'infinité et la récompense finale avec Infinity War a été incroyable. Malgré l'annonce de deux Avengers, la phase 5 n'offre aucun point de mire."

"C'était peut-être mal choisi d'utiliser Ant-Man 3 pour introduire l'histoire de Kang", s'interroge Patrice. "Le public ne va pas forcément saisir son importance." D'autant que Kang, à l'inverse de Thanos, est un personnage assez complexe, avec de multiples subtilités ajoutées au fil des années. "Marvel propose en un film ce qu'ils avaient fait avec Thanos pendant une décennie. Ils essayent de bâtir une attente qui n'existe pas."

Pire, les sept films et neuf séries qui constituent la phase 4, pourtant reliés les uns aux autres, ne racontent aucune histoire globale. Et paradoxalement, la dizaine de nouveaux personnages - Shang-Chi, les Éternels, She Hulk, Ironheart, Moon Knight, Ms. Marvel - n'a pas apporté de cohésion à l'ensemble du MCU. On ignore d'ailleurs sous quelles formes ces personnages revivront de nouvelles aventures.

"Les films sont moches"

Kevin Feige, le grand manitou du MCU, a récemment promis "une histoire plus précise" pour la phase 5. Mardi, il a annoncé dans Entertainment Weekly qu'il allait réduire les séries Marvel - et que "le pilier" du MCU serait le futur film Les Quatre Fantastiques, prévu en 2025. Un peu tard pour faire comprendre ses intentions. Mais avec seulement six films et cinq séries, la phase 5 sera moins chargée que la 4.

L'heure du changement a sonné chez Marvel, qui semble avoir pris la mesure de l'impossibilité de mener de front cinéma et série. Contrairement à une blague méta de la minie-série She Hulk, Kevin Feige n'est pas un robot omnipotent et omniscient capable de gérer à lui seul un planning d'une dizaine de films et de séries. Le report de The Marvels, de juillet à novembre, en est la preuve.

Prisonnier de sa propre surproduction, le MCU doit "se poser, ralentir le rythme", préconise Patrice. "Ça faisait des agendas de production dantesques, avec deux voire trois ou quatre projets à sortir au même moment", indique Arno Kikoo. "Ça a forcément un impact sur le temps et le soin qu'ils peuvent apporter à leur produit."

Des artistes spécialistes des effets spéciaux ont ainsi dénoncé l'année dernière les conditions de travail sur les films du MCU. "Les films sont moches", confirme Arno Kikoo. "Quantumania, ce n'est vraiment pas beau. On atteint des nouveaux sommets de laideur alors qu'on pensait les avoir déjà atteints avec Love and Thunder."

"Pas des choix à l'innovation"

Depuis Endgame, Marvel Studios n'a pourtant pas ménagé ses efforts pour séduire son public et l'élargir. Les héroïnes se sont multipliées et les films ont adopté des titres pittoresques, comme Multiverse of Madness, Love and Thunder ou Quantumania. Mais Marvel se heurte à un défi de plus en plus impossible à relever: faire coexister à l'écran un nombre de personnages de plus en plus importants.

"A moins d'augmenter la cadence de production, ils ne peuvent pas tous les faire vivre", précise Arno Kikoo. "Comme ils n'ont pas les sous pour tous les mettre en avant, ils font des choix, mais des choix à l'économie. Ils ne font pas des choix à l’envie ou à l'innovation."

Sans compter que tous les nouveaux personnages n'ont pas tenu leurs promesses. "Ils n'ont pas trouvé de figure phare qui ancre l'ensemble du MCU comme Robert Downey Jr. ou Chris Evans", décrypte Patrice. Même Jonathan Majors, un des comédiens les plus prometteurs de sa génération, n'est pas parvenu à convaincre en Kang.

"On est habitué dans le MCU à ce que les méchants soient beaucoup moins impressionnants que le potentiel qu’ils ont dans les comics", rappelle Arno Kikoo. "Mais Thanos dégageait quand même quelque chose. Kang est plus interchangeable." La faute à la méthode Marvel: "Je suis informé de manière fragmentée", a récemment dit Jonathan Majors. "Mais on m'a promis que le personnage avait beaucoup de potentiel."

"Un outil marketing ultra puissant"

Pour relancer la machine, le MCU a aussi exploré une variété de genres (sitcom, horreur, teen movie, kung fu). Et a dégainé en 2021 le concept du multivers dans la série Loki avant de l'exploiter dans No Way Home et Doctor Strange 2. "C'est un outil génial et en même temps la plus grosse disquette de facilité, la solution de pure fainéantise pour faire revenir des personnages ou débloquer des situations", résume Arno Kikoo.

"Les studios ont bien compris la puissance du multivers appliqué à la nostalgie, comme dans No Way Home avec ses caméos d'anciennes stars", poursuit-il. "C'est un outil marketing ultra puissant qui peut donner naissance aux plus grosses daubes quand c’est mal utilisé. À mon sens, ça n'a pas été utilisé pour raconter de bonnes histoires. Le danger, c'est d'obéir plus aux fans qu'aux équipes créatives."

Pour cette raison, le MCU est à un moment charnière de son histoire. Le rachat par Disney de la 20th Century Fox, qui détenait les droits de X-Men au cinéma, a créé chez les fans des attentes impossibles à satisfaire. Tom Holland, de son côté, ne pourra pas enchaîner éternellement les Spider-Man. "Il est en garde conjointe avec Sony", précise Patrice. "Ils ne peuvent pas l'exploiter complètement. C'est une force d'appoint."

DC Comics en embuscade

Difficile de savoir ce que réserve l'avenir pour le MCU, même si le récent retour, en catastrophe, de Bob Iger - un des artisans du succès de Disney - à la tête du groupe est un signe encourageant. Annoncé comme le dernier volet de la saga cosmique, Les Gardiens de la Galaxie Vol. 3 devrait rencontrer un immense succès en mai prochain. Mais la phase 5 contient son lot de prises de risque, avec notamment The Marvels.

"Le public ne connaît pas ces personnages, mais la réalisatrice est talentueuse, elle a fait Candyman", s'enthousiasme Patrice. "Captain America 4 peut être une bonne surprise si Marvel revient au côté thriller de Winter Soldier. Mais est-ce que Anthony Mackie [le nouveau Captain America] a les épaules pour tenir le film?"

Sans oublier DC Comics, dont l'univers cinématographique est en ce moment remanié par James Gunn. "Pour la première fois depuis dix ans, DC va pouvoir tirer une nouvelle épingle du jeu. Il va peut-être y avoir un retournement", s'exclame Arno Kikoo. "Entre 2015 et 2018, on a beaucoup parlé de la lassitude du public envers les films de super-héros. On n'en était pas encore là, car les films continuaient de cartonner. Je ne suis plus sûr qu'on en soit toujours à ce stade en 2023."

Article original publié sur BFMTV.com