Les bikinis pour fillettes, "une sexualisation dès le plus jeune âge"?

Une fillette sur une plage d'Old Greenwich (États-Unis), le 18 mai 2017. - TIMOTHY A. CLARY / AFP
Une fillette sur une plage d'Old Greenwich (États-Unis), le 18 mai 2017. - TIMOTHY A. CLARY / AFP

À la plage, à la piscine et même dès les cours de bébés nageurs, il n'est pas rare de croiser des fillettes en bikini. Dans les magasins de vêtements, au rayon enfant, des maillots de bain deux pièces - y compris des hauts de maillot triangle - sont disponibles dès la taille 24 mois. Si l'on souhaite se tourner vers un maillot moins genré, comme un slip de bain, il faudra se rendre au rayon garçon.

"Le deux pièces pour petite fille est entré dans les mœurs", observe pour BFMTV.com Catherine Monnot-Berranger, chercheuse et auteure en anthropologie du genre.

"Dans les années 1980, un grand nombre de femmes et de petites filles étaient torse nu à la plage et cela ne posait de problème à personne", rappelle-t-elle. "Aujourd'hui, c'est quasiment inenvisageable."

"Absolument pas adapté"

Un incident illustre cette tendance: en 2014, au Canada, une fillette de 3 ans sans haut de maillot de bain avait été expulsée d'une pataugeoire, rappelle Radio Canada. Un phénomène que la chercheuse explique par le retour en force d'un certain conservatisme en parallèle d'une érotisation du corps féminin:

"Cela s'inscrit dans un mouvement global qui dicte aux filles comment s'habiller et ce n'est pas anodin."

Sur les réseaux sociaux, certains internautes s'en émeuvent. "Aux bébés nageurs, à partir de 6 mois, je voyais des petites filles avec des bikinis absolument pas adaptés à un corps de bébé", écrit par exemple une utilisatrice de Twitter. "Les parents passaient plus de temps à réajuster le haut du maillot qu'à profiter de la séance."

"On leur apprend à cacher leurs seins"

Pour d'autres internautes, le sujet ne fait pas débat. "C'est mignon", "ça fait petit bout de femme", "les filles jouent et imitent leurs mères", objectent-ils. Mais pour Elsa Labouret, porte-parole de l'association Osez le féminisme, affubler une enfant d'un bikini n'a rien de "mignon". Au contraire, le message latent est même particulièrement explicite.

"Dans un bikini il y a un soutien-gorge qui est censé soutenir la poitrine", déclare-t-elle à BFMTV.com. "Or, une petite fille prépubère n'a pas de poitrine. Son torse est le même que celui d'un garçon."

"On apprend donc aux petites filles à cacher leurs seins, même si elles n'en ont pas encore."

"Cela sous-entend qu'il faut soustraire au regard du monde une partie de leur corps", abonde Catherine Monnot-Berranger, également cheffe de projets à l'égalité femmes-hommes pour le Conseil départemental de la Haute-Garonne. "Et les pousse à se construire par ce regard social érotisant posé sur elles. C'est une forme de pression qui ne les encourage pas à se développer mais à plaire et à se soumettre à ce regard."

"Esthétisation" et "sexualisation"

Il y a dix ans, la sénatrice UMP Chantal Jouanno avait publié un rapport parlementaire sur l'hypersexualisation des enfants. "Beaucoup de parents voient comme un déguisement temporaire ce qui, en réalité, s'apparente à l'intégration d'une norme d'apparence, et ont tendance à trouver 'mignon' le comportement de leurs petites filles", déclarait-elle devant la délégation aux droits des femmes.

Qu'il s'agisse d'un haut de maillot triangle ou d'un maillot une pièce couvrant le torse, le problème est le même, considère Elsa Labouret, de l'association Osez le féminisme.

"Il y a quelque chose de plus pernicieux avec le maillot une pièce mais c'est la même logique: couvrir une partie du corps de la petite fille. Et en cachant, on sexualise. Dès le plus jeune âge, les petites filles sont ainsi enfermées dans une logique d'esthétisation et de sexualisation de leur corps."

"Un petit garçon ne se pose pas toutes ces questions"

En plus de participer à l'hypersexualisation des petites filles, elle estime que le maillot deux pièces contraint les petites filles dans leurs mouvements. "En portant un bikini, elles sont constamment dans la surveillance de leur corps, vérifier que le maillot ne glisse pas, cache ce qu'il faut cacher. Un petit garçon ne se pose pas toutes ces questions."

Des contraintes renforcées par certains motifs de ces maillots réservés aux fillettes: souvent très "girly", à grand renfort de rose, de froufrous et de paillettes.

"Il y a souvent des messages ou des images d'empowerment sur les maillots et les vêtements pour garçons", pointe encore Catherine Monnot-Berranger, auteure de Petites filles d'aujourd'hui: l'apprentissage de la féminité. "Comme des animaux puissants ou des slogans de conquête. Alors que pour les filles, il s'agit de faire joli. Le problème, c'est qu'elles finissent par intégrer ces normes."

Il y a quelques années, la marque Abercrombie avait même proposé un bikini rembourré pour petites filles, dès 7 ans. Face au tollé, le vêtement avait finalement été retiré de la vente.

Article original publié sur BFMTV.com