Beyoncé, Taylor Swift, Miley Cyrus: leur engagement politique influence-t-il les fans?

Miley Cyrus, Beyoncé et Taylor Swift, trois ferventes opposantes de Donald Trump - AFP
Miley Cyrus, Beyoncé et Taylor Swift, trois ferventes opposantes de Donald Trump - AFP

Juin 2020. Taylor Swift, jadis très discrète sur ses convictions politiques, affiche un militantisme plus appuyé que jamais. En pleine résurgence du mouvement Black Lives Matter, la chanteuse américaine multiplie les tweets anti-Trump - à qui elle assure qu'il sera "viré par le vote en novembre" -, plaide pour que les statues de personnalités associées à l'esclavage soient déboulonnées, et s'engage à utiliser ses privilèges pour "s'élever en faveur de ce qui est juste". Chacun de ces messages est envoyé à 86 millions d'abonnés sur Twitter.

En affichant ses sensibilités progressistes depuis 2018, après des années d'un silence obstiné, l'ancienne enfant chérie de l'Amérique rurale a rejoint une longue tradition très états-unienne: celle de la rencontre entre politique et show-business. Qu'il s'agisse d'une Miley Cyrus qui fait du porte-à-porte pour soutenir Hillary Clinton en 2016, d'une Kim Kardashian qui rencontre Donald Trump pour parler réforme carcérale en 2018, d'un Robert De Niro qui vilipende le président lors de la cérémonie des Tony Awards 2019 ou d'un Kanye West qui se déclare candidat à la présidence des États-Unis en 2020, chacun a son mot à dire sur ce qui se passe à la Maison-Blanche, et le dit face à un auditoire qui se compte en dizaines de millions.

Ces dernières semaines ont été particulièrement propices à l'engagement: les quatre années de mandat de Donald Trump, marquées notamment par des politiques migratoires pointées du doigt, touchent à leur fin. Se posera, à l'automne, la question de son successeur (ou de sa réelection). À cela s'ajoutent les nombreuses manifestations anti-racistes qui agitent les États-Unis depuis l'affaire George Floyd, un Afro-américain mort aux mains de la police de Minneapolis en mai dernier. Des défilés auxquels de très nombreuses célébrités ont pris part, ne manquant jamais de relayer leurs efforts militants sur les réseaux sociaux.

Le partage d'idées, une tradition WASP

"En France, on ne parle pas d'argent ni de politique", compare Nicole Bacharan, politologue spécialiste de la société américaine. "Aux États-Unis, dans la tradition protestante, on est fier de l'argent qu'on gagne. Quand on réussit, il y a la responsabilité de rendre quelque chose à la communauté. D'où la tradition de la philanthropie. Il y a quelque chose qui résiste."

Cette résistance s'est particulièrement observée ces douze dernières années avec le plébiscite de Barack Obama, puis d'Hillary Clinton, par la quasi-totalité du monde du divertissement. Leurs campagnes électorales ont été émaillées de photos prises aux côtés de Jennifer Lopez, Leonardo DiCaprio ou George Clooney. Lorsque le premier président noir des États-Unis est élu, en 2008, Will.I.Am des Black Eyed Peas lui dédie une chanson. Quand son deuxième mandat est assuré, Beyoncé en personne interprète l'hymne national durant la cérémonie d'investiture.

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Pour Nicole Bacharan, l'émergence de cet engagement des stars remonte aux années 1960, avec la campagne de John Fitzgerald Kennedy. Durant la même décennie, lorsque Martin Luther King prononce son discours I Have a Dream à Washington, Paul Newman et Marlon Brando font partie des 250.000 militants pour les droits civiques venus l'écouter:

"À partir de ce moment-là, on sent que les stars de cinéma et de la chanson sont plus libres, et qu'elles font des choix politiques et moraux qu'elles affichent", décrypte la spécialiste. "Auparavant, il me semble que les stars de cinéma n'étaient pas nécessairement considérées comme des personnes qui pensaient. Elles pouvaient aussi être tenues par les studios; si elles tenaient des propos déplaisants, elles pouvaient perdre leur place."

"Pour on contre Trump": l'époque de la division

Naturellement, les réseaux sociaux ont rebattu les cartes. La possibilité d'adresser un message à un auditoire immense, souvent jeune, confère une influence qui était inenvisageable il y a quelques années. Mais il reste difficile de quantifier l'impact de cette influence au fil des années. D'autant que les études, toutes très prudentes sur leurs résultats, semblent se contredire. Selon un sondage de 2007 relayé par la BBC, les jeunes électeurs sont plus influencés par leurs familles que par les célébrités qu'ils suivent sur les réseaux sociaux. "Aux États-Unis, on se transmet l'appartenance politique de père en fils", abonde Nicole Bacharan. Mais elle admet que les États-Unis sont dans une période particulière, où l'on est "pour ou contre Trump. Entre parents et enfants, j'ai observé de vraies ruptures."

Une autre étude publiée en 2018 dans le Journal of Political Marketing tendait à prouver que les célébrités peuvent bel et bien influencer le public, si ce dernier a une image positive de la célébrité en question. En un mot; le poids politique de Kim Kardashian, qui peine malgré tous ses efforts à se défaire de son image de femme-objet, n'est sans doute pas le même que celui de la charismatique Beyoncé, dont le talent et l'engagement en faveur de la communauté afro-américaine ne sont plus à prouver. Cette étude, menée dans l'Ohio, estime même que le soutien d'une célébrité mésestimée pourrait porter atteinte à un candidat. Sans compter que frayer avec les stars peut aussi être mal vu;

"Hollywood, d’une manière générale, est classée à gauche. Pour les candidats ce sont des choses à manier avec finesse. Ça fait glamour, jeune, populaire, mais il ne faut pas non plus que ça fasse trop déconnecté des préoccupations de l’Américain moyen."

Et, toujours, la possibilité de ne réussir à convaincre que les convaincus. Surtout pour les célébrités plus âgées, tout aussi engagées mais suivies par un public qu'on devine moins influençable: "Quand vous avez Meryl Streep ou Robert de Niro qui dénigrent Donald Trump durant une remise de prix, on est dans l’entre-soi. Je ne dis pas qu’ils ont tort de le faire, ils ont des opinions et l’heure est très grave aux États-Unis. Mais je ne pense pas que ça va faire bouger quiconque. "

Impact limité

Influence ou pas, force est de constater que les résultats des votes ne vont pas toujours dans le sens des célébrités: si le soutien des people a réussi à Barack Obama, il n'a pas suffi à sauver Hillary Clinton. Taylor Swift a eu beau soutenir deux candidats démocrates lors des élections de mi-mandat dans le Tennessee, c'est leur adversaire républicaine qui l'a emportée. Oprah Winfrey, Eva Longoria, Zoe Saldana: toutes ont soutenu des candidats qui se sont inclinés lors de ce scrutin.

"Quand les stars défendent des points de vue, des idées, comme le féminisme, le mouvement Black Lives Matter ou le climat, elles ont une influence sûrement plus forte qu'en soutenant un candidat donné. Peut-être aussi parce que parmi la jeunesse, qui constitue leur auditoire, beaucoup sont dégoûtés de la politique. Ils veulent manifester, mais le côté patient et laborieux d’aller voter localement, puis nationalement, leur paraît souvent décourageant. Les jeunes sont le groupe électoral le moins fiable."

S'ils n'envahissent pas les urnes, ils trouvent des moyens détournés de se faire entendre. La semaine dernière, des fans de K-Pop ont affirmé avoir saboté un meeting de Donald Trump en réservant des places dans l'optique de ne pas s'y rendre, et de laisser des rangées entières de sièges vides.

Et si 2020 était l'année où tout allait changer? En novembre prochain, losqu'il s'agira d'élire un nouveau président des États-Unis, une toute nouvelle génération d'électeurs se rendra aux urnes; celle qui a grandi avec Taylor Swift, Beyoncé, Ariana Grande et leurs prises de paroles en faveur des minorités ethniques et sexuelles. Peut-être que la prochaine élection présidentielle américaine sera celle où l'influence des stars sera devenue indéniable. D'autant qu'elle sera marquée par un enjeu particulier: "Ce qui peut le plus mobiliser les jeunes à aller voter, c’est le rejet de Donald Trump, et la capacité qu’ont toutes ces stars qu’ils admirent de les encourager en ce sens, de les encourager à aller voter."

Article original publié sur BFMTV.com