Quand Berlusconi lançait La Cinq à la télé française, avec Patrick Sébastien et des pubs au milieu des films

Photo datée du 10 Avril 1991 du logo de la chaine de télévision la Cinq créée par Silvio Berlusconi
Photo datée du 10 Avril 1991 du logo de la chaine de télévision la Cinq créée par Silvio Berlusconi

MÉDIAS - Les dessins animés cultes, les journaux de Jean-Claude Bourret et les danseuses dénudées de Stéphane Collaro : voilà ce que les téléspectateurs français pouvaient voir sur la chaîne La Cinq entre 1986 et 1992. Et ce « grâce » à Silvio Berlusconi, mort ce lundi 12 juin à l’âge de 86 ans, qui a lancé la première chaîne privée gratuite en France. Ce modèle de télévision commerciale, inédit à l’époque, a secoué le paysage audiovisuel français, mais s’est finalement soldé par un échec retentissant.

La Cinq naît en février 1986, sous l’impulsion du président François Mitterrand. Il est partisan de la création d’une première chaîne privée gratuite en France, après le lancement réussi d’une payante, Canal+, en 1984. L’industriel Jérôme Seydoux et le pionnier de la télévision privée en Italie, Silvio Berlusconi, sont choisis au terme d’un appel d’offres critiqué par les partisans d’une télévision à dominante culturelle.

Olive et Tom, K2000 et les « cocogirls »

Au contraire, La Cinq s’inspire de Canale 5, fleuron italien de Berlusconi, tendance populaire et paillettes : un modèle de télévision qui fait la part belle aux jeunes femmes dévêtues, aux jeux et aux talk shows légers, et que Silvio Berlusconi a déjà popularisé dès les années 1970 en Italie.

Sur La Cinq lancée en 1986, la programmation ultra-généraliste mêle divertissements, séries américaines (K2000, Supercopter...), films grand public et figures de la télé française (Christian Morin, Roger Zabel, Patrick Sébastien...) ou italienne (Amanda Lear qui présente le jeu Cherchez la femme).

En plus des séries, elle diffuse des dessins animés japonais devenus cultes (Olive et Tom, Jeanne et Serge, Princesse Sarah), qui côtoient les émissions de Stéphane Collaro et ses « cocogirls » en tenues sexy (Collaricocoshow, Mondo Dingo). Côté info, Jean-Claude Bourret présente le JT et crée de nouveaux formats, comme l’interactif Duel sur la Cinq, où deux invités qui débattent sont ensuite départagés par un sondage téléphonique.

« Silvio Berlusconi a inventé la télévision commerciale en Europe, en même temps que les Britanniques, alors que le continent vivait encore sous un monopole des télévisions publiques nationales », explique à l’AFP Carlo Alberto Carnevale Maffè, professeur de stratégie à l’Université Bocconi de Milan. Il a conçu une télévision « très populaire, sur le même modèle que celui des tabloïds anglais, en amenant la vie quotidienne sur les petits écrans », rappelle-t-il.

Berlusconi, vendeur de pub

Homme des médias - il investit aussi dans l’édition, en rachetant en 1990 le principal éditeur italien de livres et magazines Mondadori et dans le cinéma avec la société de production Medusa - Silvio Berlusconi est surtout un entrepreneur et un « incroyable vendeur », souffle Carlo Alberto Carnevale Maffè.

Il a ainsi inversé la logique en créant une régie publicitaire Publitalia ’80, avec un groupe télévisé lié, Mediaset, qui s’appelle désormais MediaForEurope. « Il a été parmi les premiers en Europe à inventer le concept de convergence entre contenus publicitaires et éditoriaux, en créant des programmes adaptés à la publicité, et non l’inverse », note l’expert.

En France, c’est donc sur sa chaîne La Cinq que pour la toute première fois les films diffusés sont coupés par des publicités. « Au grand dam de certains cinéastes », écrit Télérama qui rappelle que « pour marquer sa protestation, Bertrand Tavernier renverra même sa médaille de chevalier des Arts et des Lettres à Jack Lang. »

Mais l’aventure française se complique rapidement. Jacques Chirac, devenu Premier Ministre en mars 1986, privatise TF1 (rachetée par Bouygues) et résilie la concession de La Cinq. En 1987, une nouvelle chaîne du même nom lui succède, menée par Robert Hersant, toujours en tandem avec Berlusconi.

La Cinq nouvelle mouture se fait peu à peu une place dans l’audimat, même si elle n’est pas reçue dans certaines parties du territoire. L’audience de la Cinq, qui culmine à 13 % en 1989, est trop faible pour rentabiliser une chaîne entièrement financée par la publicité et qui a beaucoup dépensé pour recruter des animateurs. Elle accumule les déficits et reçoit des amendes pour diffusion de programmes violents ou non-respect de quotas de diffusion.

Arte succède à la Cinq

Les actionnaires se divisent et Hersant jette l’éponge en 1990. Le CSA désigne le groupe Hachette, dirigé par Jean-Luc Lagardère, qui rêve de se lancer dans la télévision, pour gérer la chaîne. Berlusconi reste actionnaire mais privé de tout rôle opérationnel.

L’ambition de Lagardère, qui tente de miser sur la qualité, se heurte à la réalité économique. Les pertes se creusent et la liquidation judiciaire de la chaîne, qui employait 900 personnes, est prononcée en 1992 au vu d’un passif déclaré qui approche quatre milliards de francs (soit 60 millions d’euros). Elle cesse d’émettre le 12 avril 1992.

Sa disparition entraîne de vifs débats sur l’octroi de sa fréquence. Le gouvernement la préemptera rapidement pour lancer la chaîne franco-allemande Arte dans un tout autre registre.

Ce qui n’a pas empêché Silvio Berlusconi de poursuivre en Italie et ailleurs ses activités de magnat des médias. Il avait avant sa mort transmis les rênes à ses enfants : Marina, 56 ans, dirige l’empire Mondadori, le plus gros groupe de presse en Italie, tandis que Pier Silvio, 54 ans, règne sur MediaForEurope (ex Mediaset) qui détient toujours plusieurs chaînes de télé en Italie, en Tunisie et en Espagne.

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