Benjamin Netanyahu et le Hamas visés par des réquisitions de la CPI : notre décryptage avec un expert

Le Premier ministre israélien fait partie des personnes contre qui la Cour pénale internationale souhaite émettre un mandat d’arrêt international pour les crimes commis à Gaza depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre.
Ohad Zwigenberg / POOL / AFP Le Premier ministre israélien fait partie des personnes contre qui la Cour pénale internationale souhaite émettre un mandat d’arrêt international pour les crimes commis à Gaza depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre.

INTERNATIONAL - « Un faisceau de preuves concordantes ». Après avoir consulté un groupe d’experts juridiques, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) Karim Khan a demandé lundi 20 mai des mandats d’arrêt contre trois dirigeants du Hamas et deux ministres israéliens, dont Benjamin Netanyahu, pour des crimes de guerre et contre l’humanité présumés, commis dans la bande de Gaza et en Israël, plus de sept mois après l’attaque du 7 octobre.

La cour pénale internationale soutenue par la France après les réquisitions sur Israël et le Hamas

Une annonce inattendue qui a notamment provoqué des réactions virulentes contre la juridiction pénale internationale, accusée par certains États de mettre sur le même plan le Premier ministre israélien, son ministre de la Défense Yoav Gallant et trois dirigeants du mouvement islamiste palestinien, à savoir Yahya Sinouar, Ismaïl Haniyeh et Mohammed Deif.

Afin de mieux comprendre les enjeux et les questions que pose cette demande de la CPI, Le HuffPost s’est entretenu avec Jean-Marc Sorel, professeur à l’Université Paris 1 Sorbonne.

Le HuffPost. Sur quoi repose cette décision de la CPI concernant les dirigeants d’Israël et du Hamas ?

Jean-Marc Sorel. Elle repose sur des enquêtes menées par la CPI, sur la base de documents vérifiés, de témoignages et d’enquêteurs sur place (dans la mesure du possible, car l’accès n’est pas simple et la CPI doit se servir des services d’enquêteurs internationaux provenant d’États volontaires). En clair, cela s’appelle un faisceau de preuves concordantes.

Concrètement, à quoi sert cette demande de mandat d’arrêt contre Israël alors que l’État hébreu n’a pas accédé au Statut de Rome ? [Traité international en vigueur depuis 2002 qui a créé la CPI et que les États doivent ratifier pour reconnaître sa compétence, ndlr]

Le fait qu’Israël ne soit pas partie à la CPI, alors que la Palestine l’est, importe peu. En effet, le Statut prévoit que la CPI peut, selon l’article 12 de son Statut, exercer sa compétence lorsqu’au moins un des crimes semble avoir été commis, soit par un ressortissant d’un État partie, soit sur le territoire d’un État partie.

En clair, la CPI peut exercer sa compétence pour se pencher sur des faits pouvant constituer un crime de guerre, un crime contre l’humanité ou un crime de génocide à l’égard de toute personne de nationalité palestinienne (ou d’une nationalité d’un État partie au Statut), pour des actes commis sur le territoire israélien, ou de toute personne, quelle que soit sa nationalité, ayant agi dans les territoires palestiniens occupés et à Jérusalem-Est.

Cela dit, vis-à-vis d’Israël, la CPI ne peut rien faire directement. Elle peut simplement espérer que les États parties (au nombre de 124 aujourd’hui) exercent leurs compétences et arrêtent, ou aident à arrêter, ceux visés.

Le fait que l’État de Palestine ait accédé au Statut de Rome peut-il avoir un impact plus important sur l’obtention et l’exécution des mandats d’arrêt contre les dirigeants du Hamas ?

A priori oui puisque, en théorie, l’Autorité palestinienne doit coopérer pour arrêter les responsables du Hamas visés.

Émettre un mandat d’arrêt contre Benjamin Netanyahu sera-t-il vraiment efficace ? Celui contre le président russe Vladimir Poutine a déjà illustré les limites de cette menace.

Une juridiction n’est pas là pour faire la paix mais pour rappeler le droit applicable et agir en ce sens. Certes, on ne peut attendre d’efficacité immédiate, mais on peut se rappeler tous ceux qui ont finalement été jugés, dans le cadre de l’ex-Yougoslavie, du Rwanda ou d’autres conflits par des juridictions pénales internationales.

L’Italie ou les États-Unis regrettent que les demandes simultanées de la CPI provoquent une « impression d’équivalence » entre les crimes d’Israël et ceux du Hamas...

Il y a là une confusion volontairement entretenue. Il ne s’agit pas « d’équivalence » entre un groupe terroriste et un gouvernement, mais d’équivalence dans les conséquences des actions commises des deux côtés au regard du droit humanitaire.

En clair, un mort est un mort, d’où qu’il provienne. Le mot « équivalence » ne vient d’ailleurs pas de la CPI mais de déclarations et d’interprétations politiques. À l’inverse, si le procureur s’était prononcé dans un cas puis, quelques jours plus tard, dans l’autre cas, chacun y aurait vu une hiérarchie dans la gravité des faits imputés. Un prononcé simultané évite donc ceci.

Que révèle la réponse de la France de son positionnement vis-à-vis de la décision de la CPI ?

Celle-ci est conforme à la position prise par la France au moment des plaidoiries dans l’affaire de l’Avis consultatif auprès de la Cour internationale de Justice. Au surplus, il existe un programme gouvernemental dit « stratégie d’influence par le droit », et il aurait été mal venu dans ce cadre de critiquer la décision de la CPI.

L’avocate Amal Clooney a fait partie d’un panel d’experts dont s’est entouré le procureur pour conseiller la CPI sur ces demandes de mandats d’arrêt. À quoi a-t-il servi ?

La CPI peut s’entourer des experts qu’elle souhaite, ce qu’elle fait généralement de manière équilibrée. Il faut savoir que le procureur doit réunir des preuves à charge et à décharge. Il a ainsi réuni des experts accrédités auprès de l’ONU, d’organisations ou d’États, notamment quand il ne pouvait pas se rendre sur le terrain lui-même.

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