De "Beetlejuice" à "Mercredi", comment Tim Burton est devenu l’ombre de lui-même

Tim Burton en octobre 2022 au Festival Lumière de Lyon - Presley Ann / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP
Tim Burton en octobre 2022 au Festival Lumière de Lyon - Presley Ann / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

"Il nous avait manqué, il est là." C'est avec ces mots que Thierry Frémaux a salué en octobre dernier Tim Burton lors de sa venue à Lyon pour y recevoir le prix Lumière. Une récompense prestigieuse pour un réalisateur aimé de tous, dont les films ont bercé plusieurs générations. Des films pourtant de moins en moins réussis. A tel point que, pour beaucoup de ses fans, Tim Burton est devenu l'ombre de lui-même.

Il y a quelques années, Albert Dupontel avait décrit Tim Burton comme "un poète égaré à Hollywood". Celui-ci semble aujourd'hui plus égaré que jamais, et de moins en moins poète. Son âge d'or (Beetlejuice, Edward aux mains d'argent, Batman le défi et Ed Wood) est loin derrière lui. "Tout comme Joe Dante (Gremlins), il n'a pas su passer le cap des années 2000", regrette la vidéaste Meeea. Si ses films rapportent toujours de l'argent, il ne suscitent plus l'unanimité. Pire, à peine sortis, ils sont déjà oubliés.

Le retour de Tim Burton ce mercredi sur Netflix avec Mercredi, une série dont il n'est pas le créateur, et dont il a réalisé seulement quatre épisodes, se fait par la petite porte, avec une pointe d'amertume pour ses fans. Burton avait déjà refusé il y a trente ans de transposer La Famille Addams au cinéma, "par peur de faire ce qui était évident", rappelle le journaliste Julien Dupuy, co-auteur d'un dossier sur Batman, le défi dans la revue Rockyrama. "C'est assez ironique et triste qu'il le fasse aujourd'hui."

Avec ses allures d'ersatz des ​​Nouvelles Aventures de Sabrina, Mercredi n'offre aucune forme de rédemption à Tim Burton. La série vient au contraire rappeler, souvent douloureusement, qu'il est resté coincé au début des années 2000, entre la bande originale de Danny Elfman qui répète celle de ses précédents films et le générique de la série qui rappelle celui du Spider-Man (2002) de Sam Raimi.

"Burton n'a jamais été un grand metteur en scène"

Bien que Tim Burton ait renoncé à toute ambition artistique dans Mercredi, la vidéaste Vesper n'y voit pas le signe de son déclin: "C'est assez courant pour beaucoup de réalisateurs dont le nom a été rattaché à des séries de ne réaliser eux-mêmes que quelques épisodes par exemple, comme David Fincher avec Mindhunter, ou Baz Luhrmann avec The Get Down pour ne citer qu'eux."

"Le signe que sa carrière est à bout de souffle est tout simplement la qualité de ses derniers longs métrages à partir de Sweeney Todd (2007) même si chacun place le curseur un peu différemment", poursuit la spécialiste. Pour beaucoup, le déclin de Tim Burton a débuté au milieu des années 1990, après la sortie de Mars Attacks! (1996).

"C'est un film que j'aime beaucoup, mais il n'a pas grand-chose à dire. Ce n'est déjà plus habité", déplore Julien Dupuy. "Depuis Mars Attacks!, il tente juste de surnager en continuant les projets qui ne comptent pas vraiment", ajoute Meeea, qui voit en Sleepy Hollow (1999) "son chant du cygne" et en Big Fish (2003) "son dernier film personnel".

Peut-être que Tim Burton, malgré ses qualités indéniables de metteur en scène, n'est pas aussi génial que ses fans l'ont cru. "Burton n'a jamais été un grand metteur en scène", reconnaît Julien Dupuy. "Si un cinéaste est quelqu’un qui manie admirablement la linguistique cinématographique, ça n’a jamais été mortel de ce point de vue-là. Il n'a jamais été très bon en découpage de scènes d'action."

"M​​aintenant, il s'exécute"

Même Tim Burton partage cette analyse. Son film préféré de sa filmographie est L'Étrange Noël de monsieur Jack, une œuvre dont il a imaginé l'histoire et les designs, mais qui a été réalisée par un autre, Henry Selick: "Mes films, je les aime tous, même les plus moches. Il y en a un que j'aime un peu plus que les autres, c'est L'Étrange Noël de monsieur Jack, car il ressemble exactement à ce que j'avais envie de faire."

Une boutade révélatrice de l'orgueil du réalisateur visionnaire, "déstabilisé" selon Julien Dupuy par "la découverte que d'autres pouvaient faire du Burton." "C'est aussi sa plus grosse poule aux œufs d'or, il était donc évident qu'il le cite", analyse Vesper. On peut aussi y voir le symbole du renoncement de Tim Burton, brisé par son expérience sur La Planète des singes (2001) et ses remakes d'Alice (2011) et Dumbo (2019).

"Le modèle des studios actuels (et ça compte aussi pour Netflix) ne correspond plus trop aux réalisateurs 'avec vision'", commente Meeea. "Il suffit de voir ce que disent des gens divers comme John McTiernan, Jean Pierre Jeunet, Martin Scorsese [sur l'absence de prise de risque des studios]. Donc maintenant, il s'exécute."

"Burton a toujours entretenu une relation assez compliquée avec Disney digne de montagnes russes entre départs et comeback, échecs et succès (Taram et la chaudron magique, Alice, Dumbo)", détaille la vidéaste Vesper. "Il a d'ailleurs affirmé ne plus vouloir travailler avec eux quand on lui a demandé s'il était tenté par la réalisation d'un Marvel. Il est peut-être devenu autant cynique que fatigué, surtout. Enchaîner les grosses machines n'a clairement pas du aider."

"L'impression qu'il me crachait au visage"

Tim Burton a aussi été victime de ses propres obsessions. Passé rapidement des marges au sommet de Hollywood, le réalisateur est vite devenu conscient de ce qu’il représentait. "Son plus grand film reste Batman, le défi, parce que c’est un film qui lui échappe", estime Julien Dupuy. "Dès qu'il fait un film sur Ed Wood [un réalisateur de série Z, NDLR], même si c'est un chef-d'œuvre, il y a quelque chose qui est pété."

"Dès qu’il y a eu une acceptation de qui il était et de ce qu’il faisait, l’ancien lui n’avait plus de raison d’être", poursuit le spécialiste. "Puis il s'est passé le pire truc qui pouvait lui arriver: devenir une marque. C’était tout ce contre quoi il s’était construit quand il était gamin." Et pour ses fans de la première heure, ce fut un immense choc. D'abord avec Big Fish, où Burton "célèbre une certaine vie normative".

Le véritable camouflet s'est produit après avec son adaptation de Charlie et la chocolaterie (2005). "J'avais l'impression qu'il me crachait au visage. On ne peut pas faire un film comme ça sans être pétri de cynisme. Il y a une pulsion vengeresse vis-à-vis de ses personnages, doublée d'une volonté d'autocitation systématique", s’indigne Julien Dupuy. "Certains de ses films sont mes favoris, mais je n'aime pas ce qu'il est devenu."

Mercredi souffre des mêmes travers en plongeant son héroïne dans un univers aussi étrange qu'elle, déplore Meeea: "À quoi ça sert d’avoir un personnage comme Mercredi si tu la mets dans un univers où tout le monde est comme elle? L’intérêt, c'est de la voir évoluer dans un monde en décalage. Si tout le monde est pareil, ce n'est probablement pas intéressant."

Un réalisateur devenu une parodie de lui-même

Lorsqu'il prépare La Planète des singes, Tim Burton fait appel au grand maquilleur Rick Baker, connu notamment pour son travail sur le clip de Thriller. Rick Baker décline l'offre, précisant qu'il refuse de vouloir faire des "singes à la Tim Burton". "C’était la première fois que j’entendais dire ça et c’était terrible parce que ça voulait dire qu'il avait créé sa propre norme", se souvient Julien Dupuy.

Son cinéma est depuis devenu une parodie de lui-même: "Il a peut-être fini par s'enfermer tout seul dans ses gimmicks", détaille Vesper, "et n'a pas su trouver l'équilibre idéal entre garder son identité et les thèmes qui lui sont chers tout en évitant de copier-coller la même histoire, avec le même acteur principal ad nauseam." "Je pense que c’est désormais ce que les studios lui demandent", renchérit Meeea.

Pour Vesper "son salut viendrait peut-être d'un projet plus indépendant et personnel, réalisé en s'entourant différemment et en prenant en compte certaines critiques faites depuis plusieurs années, vis-à-vis du manque de diversité de ses personnages par exemple". Meeea estime qu'il devrait arrêter: "Beaucoup de réalisateurs comme De Palma ont continué pour rien. Il aurait une meilleure place en tant que producteur."

Paradoxalement, c'est en devenant une parodie de lui-même qu'il n'est pas mort totalement créativement. Ses films restent "toujours cohérents avec ses thématiques et gimmicks mélangeant fantastique, macabre et histoires de freaks", remarque Vesper. "Même la présence d'Eva Green dans trois d'entre eux (Dark Shadows, Miss Peregrine, Dumbo) fait sens tant elle s'intègre parfaitement dans un univers burtonien."

À l’écran, le mal-être de Tim Burton

Ces films sont d'ailleurs passionnants pour comprendre le mal-être de Burton et son renoncement vis-à-vis du cinéma. Dans Dumbo (2019), Burton s'identifie ainsi à l’éléphant et confie son désespoir d'être réduit à une bête de foire par la multinationale Disney. "De toute façon tous ses films sont personnels", note Meeea. "Mars Attacks! par exemple lui permettait de 'tuer' les élites en laissant deux versions de Burton aux commandes (la jeune gothique et le doux rêveur)."

Big Eyes (2014) parle également de sa schizophrénie professionnelle, entre les projets personnels pour lesquels il n'a plus de force et les blockbusters sur lesquels il intervient en technicien, analyse Julien Dupuy: "Ce n’est pas un très bon film, ce n’est pas très beau, mais par contre je n’ai pas pu m’empêcher de penser qu’il parlait de lui à travers le couple formé par Amy Adams et Christoph Waltz." Mais ces aspects métafictionnels sont insuffisants pour en faire des bons films.

Dans ce contexte, difficile d'attendre encore quoi que ce soit de la part de Tim Burton. "Après, je ne peux pas m'empêcher d'y aller", acquiesce Julien Dupuy. "Dark Shadows, par exemple, je l’ai vu très tard." Impossible d'en vouloir à celui qui a tant apporté aux spectateurs du monde entier: "C'est déjà fantastique d'avoir proposé autant de films aussi mémorables dans une vie de réalisateur", insiste Vesper.

"Ça ne doit pas être facile de se dire que le meilleur de sa carrière est derrière soi, après il le voit peut-être différemment!", renchérit la vidéaste. "Quand un mec touche les gens comme ça, le reste n’est que littérature", conclut Julien Dupuy. "Il faut savoir panser ses blessures. Pour moi, c’est aussi une marque de la valeur de Tim Burton. Le fait que ça n'ait pas duré ne fait que souligner la magie de ses premiers films."

Article original publié sur BFMTV.com