Bataillon chez Hanouna, apogée d’une commission d’enquête qui a viré au grand n’importe quoi

Quentin Bataillon sur le plateau de TPMP ce lundi 2 avril.
Quentin Bataillon sur le plateau de TPMP ce lundi 2 avril.

POLITIQUE - « La honte, Cyril Hanouna, c’est l’imposture de TPMP alliant démagogie et fausses informations ». Ainsi tweetait le député Renaissance Quentin Bataillon, en janvier 2023, pour fustiger les propos virulents de l’animateur de C8 contre l’audiovisuel public. Un peu plus d’un an plus tard, ce mardi 2 avril, et flanqué de sa fonction prestigieuse de président de la commission d’enquête sur la TNT, ce même élu de la Loire se retrouve tout sourire sur le plateau de « Baba ».

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Un choix qui interroge d’abord sur le fond, puisque l’émission, comme la vedette qui l’anime, ont été auditionnées dans le cadre des travaux parlementaires que Quentin Bataillon préside, et qui ont vocation à se pencher « sur l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre ». Soit une entorse au devoir de neutralité auquel l’élu Renaissance aurait normalement été tenu de s’astreindre, et ce d’autant plus avec les propos qu’il a tenus à l’antenne.

L’impartialité en question

Quentin Bataillon s’est en effet permis de critiquer ouvertement le contenu de l’audition d’autres personnes entendues par la commission d’enquête, en l’occurrence Yann Barthès et son émission Quotidien. Ce faisant, il a remis en cause la liberté éditoriale de l’émission de TMC (qui fait le choix de n’inviter aucun représentant de l’extrême droite en plateau) tout en distribuant un bon point à Cyril Hanouna. « Je pense que c’est le rôle de chacun, c’est-à-dire aux politiques de recevoir tous les journalistes de la même façon et d’aller de partout également. C’est aussi le rôle de chaque chaîne d’inviter tout le monde, comme vous le faites et je vous en félicite. Je pense que c’est important, car quand un acteur ne répond plus à son rôle, ça crée de la défiance », a ainsi déclaré Quentin Bataillon sur le plateau de Touche pas à mon poste.

Selon Politico et Libération, cette attitude inconséquente a fait bondir le patron des députés Renaissance, Sylvain Maillard, qui l’a appelé dans la foulée « pour lui demander d’être impartial jusqu’à la fin de la commission d’enquête ». Mais le mal est fait. Sans surprise, le rapporteur LFI de la commission, Aurélien Saintoul, a repris Quentin Bataillon au vol, en demandant sa démission. Une demande partagée par le socialiste Iñaki Echaniz, également membre de cette commission d’enquête.

L’élu ligérien a en revanche pu compter sur le soutien du Rassemblement national, dont l’activité durant les auditions a consisté à dire du bien des chaînes de Vincent Bolloré et de vilipender le travail de Quotidien et de l’audiovisuel public. Membre de la commission, le vice-président du RN Sébastien Chenu a ainsi pris la défense de Quentin Bataillon après son passage sur TPMP.

Des réactions éruptives et virant à la bataille rangée, qui montrent en réalité que la commission d’enquête a raté sa cible, sombrant davantage dans la politique spectacle et la mise en scène d’un match opposant le groupe Bolloré au reste du monde, qu’à un travail de fond permettant d’atteindre ses objectifs. Pour rappel, la commission, lancée à l’initiative de la France insoumise, avait pour mission de « faire toute la lumière sur les procédures d’attribution » sur la TNT, d’examiner « le respect des engagements pris par ces services de télévision » et de « se pencher sur les moyens de contrôle du respect de ces engagements mis en œuvre par l’Arcom ».

Règlement de comptes

Or, rapidement, elle s’est muée en outil de communication, permettant à la France insoumise de mettre en scène son opposition frontale au milliardaire breton et à son groupe médiatique réactionnaire, et au Rassemblement national d’apparaître comme les défenseurs d’un Vincent Bolloré qui serait injustement attaqué (en dépit des nombreuses amendes infligées à ses chaînes, et de la décision du Conseil d’État concernant le manque pluralisme sur CNews).

« En 2022, la commission d’enquête sénatoriale avait permis de poser des questions intéressantes, notamment dans le cadre de la campagne présidentielle. Mais pour celle-ci, la forme a dévoyé le contenu, en raison d’une opposition très forte (et surjouée) entre le rapporteur Aurélien Saintoul et le président Quentin Bataillon », déplore auprès du HuffPost l’historien Alexis Lévrier, spécialiste de l’histoire du journalisme.

« La France insoumise savait qu’il y avait peu de chances que des suites législatives soient données à ces travaux. Alors ils ont joué une opposition très frontale, ce qui leur a desservis. Puisque ça a permis Vincent Bolloré d’apparaître comme respectueux des institutions, et à leurs adversaires de dénoncer une forme de procès politique. Ce qui est le récit auquel a adhéré Quentin Bataillon sur TPMP hier qui, à rebours de ses fonctions, a aussi remis en cause l’Arcom », poursuit notre interlocuteur, décrivant une commission d’enquête visant davantage à servir des agendas politiques qu’à améliorer le système audiovisuel.

À titre d’exemple, on peut rappeler le « deal » (sérieusement) proposé par les députés RN à Quotidien lors de l’audition de Yann Barthès : l’accréditation des journalistes du programme à leurs meetings contre une invitation en plateau. Comme si le rôle d’une commission d’enquête était d’ajuster le plan média du parti lepéniste. D’autant que chaque séquence permettant aux députés de matérialiser leur combat était soigneusement découpée et diffusée à dessein sur les réseaux sociaux. « Tout a été fait pour alimenter le buzz », regrette encore Alexis Levrier.

Contacté par Le HuffPost, Quentin Bataillon n’a pas donné suite à nos sollicitations. Dans un communiqué diffusé dans la matinée, la présidente de l’Assemblée Yaël Braun-Pivet rappelle que le président et le rapporteur d’une commission d’enquête « doivent faire preuve de réserve et de discernement dans leurs prises de position et leurs expressions publiques, afin de garantir la sérénité des travaux et la crédibilité des investigations ». Les conclusions de cette commission d’enquêtes sont attendues pour le 7 mai. Et celles risquent fort d’être entachées du soupçon de l’instrumentalisation.

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