Du Bataclan aux JO, les leçons de l’horreur pour former les primo-intervenants

Vendredi 26 juillet, 23h. Musique pop. Une vingtaine de personnes arrosent le début des Jeux olympiques autour d’un cocktail le soir de la cérémonie d’ouverture. Deux étages au-dessus, au centre de surveillance, la radio de Massi, agent de sécurité, grésille. "Echo 1, est-ce que vous me recevez? Un individu a ouvert le feu sur la foule et a pris la fuite. Nous avons de multiples victimes blessées par balles et au couteau".

Massi et ses collègues dévalent les escaliers jusqu’à la salle de réception. Tables renversées, gémissements, traînées de sang et pleurs de nourrisson. Massi tâtonne.

Ici Echo 1, on a besoin de renfort !

Il pose un garrot et rassure maladroitement un blessé aux bras. "Essayez d’être calme, ça devrait stopper l’hémorragie". L’instructeur aboie: "le bâtiment est susceptible d’être piégé, il faut procéder à l’évacuation des victimes". Massi s’exécute. Le pas de la porte franchi, les victimes se relèvent une à une, l’exercice est terminé.

Urgence attentat

Étudiant en management de 18 ans, Massi Yahi se forme pour devenir l’un des quelques 20.000 agents de sécurité événementielle déployés pour les Jeux olympiques et paralympiques (JOP).

Pour une première, ça a été un peu choquant

"Je ne savais pas que j’allais apprendre ça. Je pensais qu’on serait formé à fouiller les gens". Il faut dire que Massi est à bonne école. Son centre de formation à Issy-les-Moulineaux consacre 18 heures à la prévention des risques terroristes au lieu des treize obligatoires. "Nous sommes au niveau le plus élevé de menace terroriste (Vigipirate urgence attentat, ndlr). On se doit de donner les armes à nos agents pour faire face à ce genre de situations", insiste Michel Caboche, directeur du centre, CEMA-Formation.

Alors que la capitale s’apprête à accueillir près de 15 millions de visiteurs cet été, "il faut faire comprendre à nos agents qu’ils peuvent être amenés de manière fortuite à être des primo-intervenants", ajoute Michel Caboche.

En première ligne

Se retrouver le premier à intervenir sur les lieux d’un attentat, Michel Caboche en a fait l’expérience, le 13 novembre 2015 au Bataclan. Policier de la BAC75N, il entre avec ses collègues pour sécuriser la fosse avant les forces d’intervention spéciales (Raid, BRI, GIGN). Il se retrouve à délivrer les gestes de premiers secours aux victimes. Depuis, il a quitté les forces de l’ordre et a ouvert son entreprise de sécurité privée.

Pour ses simulations, il s’inspire des principes de secourisme tactique issus des formations militaires américaines: le "damage control" ou l’idée de limiter les dégâts par un tri efficace des blessures face à de nombreuses victimes et le "stop bleeding" ou l’arrêt des hémorragies via des gestes comme le garrot et le pansement compressif. "Il faut partager ces gestes à l’ensemble de la population”, conseille l’ancien policier.

Ce jour-là, si nous n’étions pas intervenus, nous aurions eu beaucoup plus de victimes

Depuis les attentats de janvier et novembre 2015, la doctrine des premiers secours a justement évolué. Le garrot, autrefois jugé "dangereux" est réintroduit dans les formations ordinaires aux premiers secours.

Il fait partie des gestes enseignés aux volontaires des JOP. L’entreprise pharmaceutique Sanofi a remporté l’appel d’offres lancé par Paris 2024 pour la formation aux premiers secours des volontaires chargés d’assister le public et les athlètes pendant les JOP. Cette formation reste néanmoins "optionnelle", admet Mathieu Giraud, responsable partenariat chez Sanofi. Les volontaires sont d’abord invités à réaliser un module en ligne d’une heure. Ils peuvent ensuite s’inscrire à une session en présentiel. "Il y a quelques questions sur les attaques de terroristes pour insister sur les comportements à adopter: comment alerter, se sécuriser et agir?", confirme Mathieu Giraud.

À ce jour, Sanofi n’est pas en mesure de renseigner le nombre total de volontaires initiés sur les 45.000 mobilisés pendant les Jeux mais indique que des sessions de formation sont prévues jusqu’à la cérémonie d’ouverture. Interrogé sur le caractère optionnel de cette formation, le comité organisateur répond que "le dispositif de premiers secours sera déployé par des associations agréées de sécurité civile" et que "la mission des volontaires ne nécessite pas de compétences médicales".

Un avant et un après Bataclan

Au-delà des professionnels de la sécurité et des volontaires, certains établissements recevant du public anticipent aussi le risque terroriste pendant la période olympique. Car dans le monde de la nuit, les attentats de 2015 ont constitué un tournant. "Depuis le Bataclan, on a vu que des établissements comme nous pouvaient être des cibles", insiste Arnaud Perrine, gérant du Glazart, du Kilomètre25 et de Jardin21 dans le XIXe arrondissement parisien.

Nous ne sommes pas prêts avec une simple formation de sauveteur secouriste du travail

Avant l’ouverture de ses établissements festifs pour la saison, le gérant a donc fait appel à La Croix Rouge pour organiser deux sessions de formations aux premiers secours en cas d’attentat. Une vingtaine de ses salariés se sont entraînés à réagir à une attaque au couteau pour anticiper des situations impliquant de nombreuses victimes avec des blessures de guerre. Il a aussi équipé ses trois établissements de matériel de contrôle hémorragique (garrots tourniquets, bandages compressifs, pansement thoracique, etc...). "Il fallait qu’on devienne plus pointus sur ces sujets", soutient Arnaud Perrine.

Ses trois établissements festifs accueillent 300.000 personnes par an et se situent à une dizaine de minutes à pied du Club France, qui se transformera en fan-zone géante pour les touristes des Jeux cet été. "Pendant les Jeux, on va avoir un public différent, des flux plus importants y compris aux abords de nos établissements", explique le gérant.

Des risques vont se créer

Mais la foule des Jeux sera composée avant tout d’anonymes. Depuis 2015, former le grand public aux gestes de premiers secours est devenu une urgence pour certains acteurs publics d’autant plus que le délai d’intervention moyen de la Brigade des Sapeurs Pompiers de Paris est de 13 minutes et 5 secondes.

Donner les moyens d'agir

"En situation d’urgence attentat et avec l’échéance des Jeux", la mairie de Paris insiste sur l’importance de ses "Samedis qui sauvent", des initiations de deux heures aux rudiments du secourisme organisées deux à trois fois par an dans les mairies d’arrondissements parisiens. Une initiative née du "traumatisme qu’a subi la ville avec les attentats, souligne Caroline Izambert, responsable à la Direction de la Santé publique de la ville de Paris, avec l’envie de donner aux citoyens les moyens d’agir face à l’horreur".

Aujourd’hui, la capitale investit 375.000 euros par an dans ces initiations et se fixe l’objectif annuel de former 10.000 Parisiens aux gestes qui sauvent, objectif atteint en 2023.

Ce samedi 4 mai à la mairie du XXe arrondissement, Antoine Auriault, bénévole à la Protection Civile rappelle: "On a besoin de vous, vous êtes le premier maillon de la chaîne de secours". Sur sa diapositive, un rappel à la loi du citoyen sauveteur datant de 2020: "Lorsqu’il résulte un préjudice du fait de son intention, le citoyen sauveteur est exonéré de toute responsabilité civile, sauf en cas de faute lourde ou intentionnelle de sa part". De quoi rassurer Maria, parmi les quatorze Parisiens initiés ce jour-là: "On m’avait dit que si je ne faisais pas correctement, je pourrais être attaquée. Mais je vois qu’il y a une loi qui me protège".

Je me dis 'voilà, je peux le faire'

Cette loi dite aussi du "bon samaritain" était plébiscitée par le rapport Faure-Pelloux en 2017. Après les attentats de janvier et novembre 2015, les auteurs alertaient sur l’urgence de former le plus grand nombre aux premiers secours à travers des initiations courtes aux gestes qui sauvent. Objectif: sensibiliser 80% de la population française aux premiers secours.

La France, mauvais élève de l'Europe

Bilan à ce jour, seuls 40% des Français sont initiés aux premiers secours, un des plus bas taux d’Europe selon le dernier baromètre de la Croix rouge de 2022. Encourageant, mais insuffisant pour Pierre-Emmanuel Rançon, directeur adjoint de la Protection Civile Paris Seine.

On a progressé, mais on peut mieux faire

Aujourd’hui, seul un Français sur dix estime "très bien" connaître "les gestes qui sauvent". Pierre-Emmanuel Rançon regrette notamment la non-application des articles du code de l’éducation qui instaurent l’obligation du PSC1 (Prévention et Secours Civiques de niveau 1) pour les collégiens. "Si les formations ne sont pas inscrites dans les budgets des établissements, vous pouvez faire toutes les lois que vous voulez, la formation n’aura jamais lieu".

Comme indiqué par Paris 2024, la Protection Civile fera partie des associations déployées pour assurer le dispositif de premiers secours pendant les Jeux. Elle mobilisera 1100 secouristes bénévoles par jour sur les deux tiers des sites olympiques. Pour autant, Pierre-Emmanuel Rançon insiste: "on a toujours besoin des citoyens sauveteurs". Agents de sécurité, volontaires, salariés de boîtes de nuit, anonymes se retrouveront peut-être par hasard contraints de réagir pour sauver des vies.

Article original publié sur RMC Sport