De "Balle Perdue" à "Overdose", comment le streaming a sauvé le cinéma d'action français

Sofia Essaïdi dans
Sofia Essaïdi dans

Netflix est-il le nouvel Eldorado du cinéma d'action français? Boudés ces dernières années par le public et conspués par la critique, les "actionners" made in France renaissent en streaming. Ce vendredi, Prime Video dégaine dans 240 pays Overdose, nouveau polar musclé d'Olivier Marchal. Et dans une semaine, le 10 novembre, Netflix propulsera dans 190 pays le très attendu Balle Perdue 2 de Guillaume Pierret.

Après les cartons de La Terre et le Sang (2020), Sentinelle (2021), Le Dernier Mercenaire (2021), Sans Répit (2022) ou encore Loin du périph (2022), le succès devrait être une nouvelle fois au rendez-vous pour ces deux productions. D'autant que le premier volet de Balle Perdue, sorti en juin 2020, est l'une des productions françaises de Netflix les plus populaires, avec 37 millions de vues. Idem pour Bronx, le précédent film d'Olivier Marchal, qui était à l'origine destiné à la salle.

Le streaming a pris le relais des vidéo-clubs et du "Direct-To-Video", "ces films pensés et produits pour une exploitation exclusivement en vidéo", rappelle Alex Rallo, spécialiste du cinéma d'action derrière le populaire compte Twitter @HeadExposure: "D'excellents films d’action dits de série B voient le jour dans ce cadre depuis de nombreuses années, mais ce n’était pas vraiment le cas en France." Ce renouveau n'est pas passé inaperçu. Le New York Times a salué Balle Perdue et a dressé le portrait de Julien Leclercq, le réalisateur de La Terre et le sang et Sentinelle.

"Un plaisir immédiatement gratifiant"

Ce succès reste cependant encore limité. "Ça ne crée pas de nouvelle appétence pour ces films dans les salles", regrette Thomas Bruxelle, producteur de Sans répit. Et il y a "un plafond de verre pour ces films aux alentours de 34-39 millions de visionnages complets sur 28 jours", remarque Frédéric, observateur minutieux des plateformes de streaming, qui anime la newsletter Netflix & Chiffres: "Ces films n'explosent pas autant qu'un film américain. Mais on est dans la fourchette haute des films non-anglophones."

Mais il y a de quoi se réjouir. Certains de ces films sont devenus des références. Depuis sa sortie, Balle Perdue est réapparu à quatre reprises dans le top 10 des films non-anglophones de Netflix, dont une dernière fois il y a quinze jours. "Ça arrive relativement régulièrement", glisse le spécialiste. "Soit des gens ont décidé de le regarder, parce que le 2 arrive. Soit l'algorithme de recommandation a eu un push spécifique pour mettre ce film en avant en sachant que le deuxième arrivait."

Pour Alex Rallo, Balle Perdue est "un film de plateforme parfait", idéal pour le bouche à oreille: "Il offre des plaisirs immédiatement gratifiants, entre courses poursuites énervées et mêlée violente dans un commissariat. Un héros simple, qui encourage l’identification, et des enjeux limpides. De la série B de qualité, en somme. Regarder un film sur une plateforme n'implique pas les mêmes attentes [qu'un film de cinéma]: le retour sur investissement pour le public se doit donc d’être plus important." Le film doit donc être suffisamment rythmé pour que les téléspectateurs ne décrochent pas.

Plus impressionnant et plus abouti que le premier volet, Balle Perdue 2 devrait en toute logique confirmer la place de cette franchise dans le catalogue de Netflix. Avec sa plongée sans pitié dans l'univers des narcotrafiquants, Overdose devrait de son côté séduire les fans de Narcos. Ils retrouveront d'ailleurs au générique une des stars de la série de Netflix, l'Argentin Alberto Ammann. "Ce sont des films faits pour les plateformes, bien sûr", reconnaît Olivier Marchal.

"Des propositions plus authentiques"

Sans pour autant atteindre les sommets de nihilisme des cinémas d'action hongkongais, coréen ou indonésien, ces productions françaises du genre plaisent pour leur ton souvent brut et sans concession. "On ne joue pas dans la même catégorie de noir, mais on a des réalisateurs français qui, quand ils font ce type de films, le font de manière radicale", acquiesce Guillaume Pierret.

"Dès qu’il y a une proposition différente à l’écran dans le genre de l'action, les mecs sont au rendez-vous", continue le réalisateur. "Ils ne sont pas rebutés par le fait de lire des sous-titres. Il y a tellement de blockbusters hollywoodiens un peu lisses qu'il y a un besoin de voir des propositions plus authentiques."

"Il y a une curiosité des abonnés qu'on sous-estime grandement", renchérit Frédéric de Netflix & Chiffre. "L'accessibilité est tellement simplifiée [sur Netflix] que les gens vont donner leur chance à beaucoup de productions." Une accessibilité qui permet aux Français de se laisser séduire plus facilement par des œuvres qu'ils auraient tendance à dénigrer si elles sortaient au cinéma.

Olivier Marchal voit également dans le succès de ces films une conséquence de l'évolution de l'état du monde: "Les gens sont tellement saturés de violence et de mauvaises nouvelles qu'ils n'ont pas envie de les retrouver au cinéma. Depuis dix ans, c'est de pire en pire dans le manque de civisme. En salle, on se déplace soit pour voir des ovnis complètement barrés soit des comédies. Même moi alors que je suis un grand consommateur de polars. Je préfère les voir chez moi - sauf si c'est du Michael Mann."

Problème de financement

Moins révéré que celui de Hong Kong, le cinéma d'action français a toujours eu des propositions intéressantes. Sans pour autant remonter jusqu'à Peur sur la ville (1975), des œuvres comme Total Western (2000), Nid de Guêpes (2002), Le Convoyeur (2004), Banlieue 13 (2004), À bout portant (2010), La Proie (2011), Revenge (2017) ou encore Burn Out (2018) ont marqué les esprits. Mais à l'exception du Pacte des Loups (5 millions d'entrées) ou de Bac Nord (2,1 millions), le succès a rarement été au rendez-vous.

"En France, le film d’action m’a toujours semblé endosser un caractère plus événementiel, même à l’époque de Besson/EuropaCorp", poursuit Alex Rallo. "Les films qui ont marqué le genre dans l’Hexagone ont rarement donné lieu à des tendances ou à des envies de s'engager dans la brèche du côté des producteurs. Quels films descendent du succès du 'Pacte des Loups'? Malheureusement, même les réalisateurs les plus talentueux ayant travaillé dans le genre, comme Fred Cavayé et Florent-Emilio Siri, ont dû changer de registre tôt ou tard, faute de facilité de financement."

"Il y a eu aussi un manque d'envie de beaucoup de réalisateurs, qui ont eu peur de se frotter à ce genre-là, parce qu’ils ne savent pas le fabriquer", enchaîne Guillaume Pierret. Et Netflix a profité de ce vide béant pour s'imposer, explique Thomas Bruxelle: "Quand EuropaCorp ne s'est plus positionné sur ces films, très peu de distributeurs ont voulu y aller. Netflix s'est dit qu'il y avait un créneau à prendre. Ils ont voulu toucher le public des 15-40 ans, qui aime l'action."

Et les réalisateurs d'action y ont vu leur salut: "Quand on regarde le budget qu'il faut pour faire des films pareils et le nombre d'entrées qu'ils font, on n'a pas trop le choix de s'orienter vers les plateformes", ajoute Olivier Marchal. "On fait rarement 2,5 millions [d'entrées] comme Bac Nord. Dans le meilleur cas, vous faites entre 500.000 et 800.000. Ce sont de jolis scores, mais on est au maximum. Ça ne couvre pas le budget. Les plateformes apportent le budget et la visibilité."

Pas de censure

Pour les réalisateurs, collaborer avec les plateformes offre aussi la possibilité de s'affranchir du cinéma traditionnel, et de proposer des récits violents sans peur d'être censurés. "On a une quasi-totale liberté. C'est vraiment un partenariat. Ils ont confiance dans le travail du producteur et du réalisateur", insiste Thomas Bruxelles. "Tous les distributeurs nous demandaient de faire de Sans répit une comédie d'action. Netflix a aimé la radicalité du projet et a accepté de le produire sans dévoyer l'essence du film."

Si les plateformes laissent une certaine liberté créative, elles veillent néanmoins au grain. "On a travaillé avec [Prime] sur le casting et le montage", précise Olivier Marchal. "En fonction d'où le film est distribué, il y a des images qui heurtent plus que d'autres - bizarrement plutôt sur le sexe que sur la violence. On a beaucoup fait attention à l'image de la femme. Au début d'Overdose, il y a des prostituées, ils m'ont demandé d'enlever un plan sur deux. Ils avaient peur que ça choque."

À 60 ans passé, Olivier Marchal a apprécié d'être "remis en question" par l'équipe de Prime, composée de "jeunes, qui ont trente ans": "Ils ont un autre parcours de cinéphiles que moi. Ce sont de grands mangeurs de séries. Ils connaissent bien les films de plateforme. C'est bien pour moi d'être confronté à ce genre de public et au public qui leur ressemble pour essayer de faire des films un peu moins classiques que ceux que j'ai faits. Peut-être que celui-là est un peu plus rock'n'roll."

Le cinéma d'action français à l'assaut du monde?

Déjà au travail sur ses prochains projets, Olivier Marchal réfléchit pour la salle à un thriller "ultra-trash" dans la lignée de Taxi Driver et Nobody tout en développant des projets plus ambitieux pour Prime et Netflix. De son côté, Guillaume Pierret planche déjà sur Balle perdue 3. Le renouveau des films d'action made in France ne fait que commencer. Et fait des envieux outre-Atlantique.

Après le succès de Balle perdue, sa star Alban Lenoir a reçu une proposition pour rejoindre Fast and Furious 10. Mais l'acteur a préféré rester en France. Guillaume Pierret comme Régis Blondeau, le réalisateur de Sans répit, ont été contactés par des producteurs américains. Difficile pour l'heure de mesurer l'apport de ces films au genre: "La sortie d’un film d’action français à l’international est un événement pour les cinéphiles étrangers qui s’intéressent particulièrement au genre", constate Alex Rallo.

Pour le spécialiste, "la question devra être reposée le jour où un film d’action français aura un impact global similaire à Flashpoint, Ong-Bak ou The Raid." Mais il y a de quoi être optimiste, conclut Thomas Bruxelles: "Netflix nous a ouvert une belle porte d'entrée. C'est bien pour le cinéma français. Ça nous laisse un champ d'action hyper intéressant. Toute une génération de réalisateurs et surtout de réalisatrices peut enfin s'éclater. C'est maintenant à nous de proposer des projets alléchants."

Article original publié sur BFMTV.com