Bagnole, patriarcat, pollution… En 1974, René Dumont menait une campagne toujours actuelle 50 ans après
POLITIQUE - « Dorénavant, on ne prendra plus les défenseurs de l’environnement pour de simples protecteurs de pâquerettes. » S’il n’a récolté qu’1,3 % à la présidentielle de 1974, René Dumont a mené une campagne historique, comme le saluait avec verve l’un de ses soutiens de l’époque. Et pour cause : il y a 50 ans, dans la campagne éclair qui a suivi la mort de Georges Pompidou, l’homme au pull rouge devenait le premier candidat écolo au scrutin suprême.
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L’histoire de ce « vulgarisateur » autoproclamé qui a fait exister des préoccupations jusqu’alors apanage de quelques militants éclairés est racontée par le journaliste Arthur Nazaret dans un ouvrage, Le prophète avait raison. Un livre publié ce vendredi 10 mai, où l’on croise un Lionel Jospin nourrisson, une Édith Cresson pas loin de se faire jeter à la Seine parce qu’elle porte un manteau de fourrure et des joggeurs au bois de Vincennes.
L’occasion de revenir avec l’auteur sur quatre idées du candidat qui auraient toutes eu leur place dans la campagne des européennes, 50 ans plus tard. Un programme ambitieux et novateur qui faisait dire aux amis de René Dumont que, « pour la première fois, l’utopie est entrée dans l’Histoire de France ».
· La critique de la « bagnole »
« La voiture ça pue, ça pollue et ça rend con. » Si, en 2024, préférer les transports collectifs et les mobilités dites « douces » est récurrent chez les partisans de l’écologie, René Dumont se montre dès 1974 « très novateur en tant que candidat s’adressant à un grand public », explique Arthur Nazaret. Fustigeant « les Français enfermés dans des carcasses d’automobiles », le candidat écolo préfère déjà le vélo. « Ça devient une marotte avec à chaque déplacement une procession à vélo entre l’endroit où il arrive dans une ville et le lieu où se tient son meeting », relate l’auteur. Résultat : des foules festives de cyclistes se forment pour l’accompagner dans un joyeux vacarme.
Sur ce sujet de l’automobile, René Dumont vient « se greffer à un combat qui lui préexistait », rappelle Arthur Nazaret. À une époque où les premiers combats pour ce que l’on résume alors à « l’environnement » tournent autour de deux grandes luttes, le nucléaire et la « bagnole », il s’approprie notamment le second. Mais sans calcul : car dès 1972, avant de savoir qu’il deviendrait un jour candidat, le chercheur apparaît dans une manifestation, comme vous pouvez le voir ci-dessous (à partir de 36 secondes). Et de réclamer… des pistes cyclables dans Paris et une plus large place pour les transports en commun.
Parmi les autres propositions formulées par René Dumont et évoquées dans le livre Le Prophète qui avait raison : interdire les voitures de plus de 4 CV, augmenter le prix de l’essence pour les déplacements de loisir, tripler le tarif des péages le week-end…
· Moins de viande dans l’alimentation des Français
« Pourquoi fabriquer des protéines (animales) avec des protéines (végétales) ? » Avant d’ouvrir la voie en politique, René Dumont est un agronome qui a parcouru le monde et vu les ravages des famines. « Il se vit comme un agronome de la faim, qui est le titre d’un de ses livres : son but est de trouver comment nourrir le tiers-monde. Et à ce titre, pour lui, le mode de vie occidental est à proscrire », replace Arthur Nazaret.
C’est la raison pour laquelle René Dumont invite les Français à manger « plus de céréales, plus de fruits, plus de légumes et moins de graisse, moins de sucre, moins de viande surtout ». Un discours très actuel, qui semble aussi être l’un de ses « apports » les plus personnels à sa campagne. « Quand il voit tout ce qu’il faut déployer pour nourrir un bœuf, il se dit que le mode de vie des pays riches est une gabegie », pointe le journaliste.
Ascétique, joueur de tennis, joggeur et comptant ses pas comme le fait aujourd’hui un smartphone, René Dumont donne l’exemple. « Cela lui arrive souvent de quitter des banquets lorsqu’il estime qu’il y a trop de nourriture et qu’on est en train de piller le tiers-monde », raconte le journaliste. Qui livre dans son ouvrage une anecdote savoureuse, où le candidat écologiste s’effraie d’avoir failli prendre « de la bedaine » à une époque de sa vie avant de se réjouir d’être parti travailler en Angleterre où la nourriture était affreuse, ce qui lui a évité l’infamie de quelques kilos en trop.
· L’eau « précieuse » et menacée
« Il y a quinze ans, le commandant Cousteau voyait dans la mer le grenier du monde, un grenier qui devait nourrir l’humanité. Aujourd’hui, la mer n’est plus qu’une poubelle. » Si des associations défendaient déjà les rivières au début des années 1970, René Dumont fait exister durant la campagne les questions de la rareté de la ressource et de la pollution des eaux.
Avec une image choc, qui figure en couverture du livre d’Arthur Nazaret et dans les archives de la télévision : celle du candidat brandissant un verre d’eau et déclarant : « Vous savez ce qui va se passer ? Eh bien nous allons bientôt manquer de l’eau. C’est pourquoi je bois devant vous un verre d’eau, précieuse… »
Un thème qui revient inlassablement dans sa campagne. Sur la péniche qui lui sert de QG au cœur de Paris, il dénonce la Seine devenue un « vaste égout mobile ». Avec l’aide d’un militant écologiste, dans le Finistère, il s’exprime devant la rivière Laïta couverte d’une mousse blanchâtre et puante rejetée par une usine. À Fos-sur-Mer, il interroge des pêcheurs aux filets bien vides, privés de prises depuis qu’un immense complexe industriel leur interdit de « faire des moules ou du coquillage » et qui déplorent que désormais « il n’y a plus de vie » en Méditerranée.
· Une certaine dénonciation du patriarcat
« La candidature écologiste est la seule qui remet en cause les fondements de la société patriarcale. Et donc son combat va dans le même sens que le nôtre. » Ces mots, ce sont ceux de la Ligue des droits des femmes, lancée en mars 1974 et présidée par Simone de Beauvoir. D’autres figures du féminisme vont se joindre à René Dumont : Arthur Nazaret cite notamment « Christiane Rochefort, l’une des fondatrices du MLF, ou Françoise d’Eaubonne, qui a inventé du concept d’écoféminisme ».
Et pour cause : le premier candidat écologiste « se dit féministe, adversaire du patriarcat, en employant lui-même ce terme », raconte l’auteur. Mais à l’inverse d’autres combats sur lesquels il est moteur, René Dumont est sans doute davantage entraîné par un élan plus large. « C’est la deuxième vague du féminisme après les suffragettes : après les droits civiques, c’est le droit à disposer de son corps. Et ça, c’est une vague de fond, en tout cas dans la gauche dont c’est le biotope », resitue le journaliste.
Et si le féminisme n’est pas un thème sur lequel le candidat se lance naturellement en interview, il n’en reste pas moins des propositions fortes pour l’époque, un an avant la loi Veil légalisant l’IVG. Considérant encore une fois que le mode de vie capitaliste n’est pas viable et qu’il faut donc contrôler les naissances dans les pays riches, lui veut faciliter l’accès aux formes de contraception et autoriser l’Interruption volontaire de grossesse, avec une décision qui devrait être « uniquement du ressort des femmes ». Et l’agronome de blâmer la « société patriarcale ». C’était il y a cinquante ans.
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