Bac de Philosophie 2024: peut-on citer Jul dans sa copie? Les conseils d'un professeur

Une punchline du rappeur Jul, un épisode de la série Stranger Things ou encore un refrain de la chanteuse Angèle. Ce mardi 18 juin, les candidats au bac de philosophie 2024 pourraient bien avoir envie de faire preuve d'originalité en enrichissant leur copie de références issues de la pop culture. Un choix tentant, il faut le reconnaître, mais est-ce bien raisonnable?

Lors de l’épreuve de philosophie, les candidats auront le choix entre trois sujets: deux dissertations et un commentaire de texte. A priori, rien n’interdit à un élève de citer dans sa dissertation un élément de la culture dite “populaire”, indique Gilles Vervisch professeur de philosophie et auteur de Stranger philo: comprendre la philo avec Stranger Things.

“Ce n’est pas une pratique éliminatoire et si elle est bien utilisée, une référence originale peut apporter une approche intéressante à la dissertation”, suggère l'enseignant.

D'ailleurs, les manuels scolaires abordent de plus en plus des références culturelles très récentes, l’avantage étant que la pop culture facilite la compréhension de certains concepts auprès des élèves. Une chanson, une série ou bien une bande dessinée, l’important est que le candidat l’emploie judicieusement et "dans la limite du raisonnable" avertit Gilles Vervish. Mais comment bien utiliser une référence populaire sans craindre d'en faire trop?

Une amorce originale

Afin d’éviter toute maladresse, Gilles Vervish recommande à ses élèves de placer une référence de la pop culture en amorce dès l’introduction. À l’aide de quelques phrases explicatives, cela peut représenter une bonne entrée en matière “avant de monter progressivement en gamme grâce des références philosophiques plus musclées”.

Face au sujet de dissertation “Faut-il oublier pour être heureux?”, il est donc possible de citer l’artiste Angèle qui suggère dans sa chanson qu’”il faudrait tout oublier” et faire table rase du passé pour goûter au bonheur. Ces paroles ne sont pas sans rappeler la philosophie stoïcienne qui enseigne que pour vivre heureux, il faut renoncer à contrôler les choses qui ne dépendent pas de notre volonté.

Sur la même thématique, dans sa chanson Bandite le rappeur Jul se questionne également sur notre capacité à oublier le passé afin d’avancer dans l’avenir: "J'pense à tracer, souvenirs effacés, parce que y'en assez de se ressasser les choses du passé". Attention toutefois à ce qu’il y ait une vraie valeur ajoutée dans le choix de la référence. L’idée n’est pas de caser Jul à tout prix, met en garde Gilles Vervisch, mais que la référence pop culture soit une plus-value dans la compréhension du sujet.

Un exemple conceptuel

Autre option, ajoute l’enseignant, le candidat peut aussi donner un exemple de la pop culture dans le corps de sa dissertation. Il devra en revanche veiller à rappeler rapidement le contexte et à aller directement à l’essentiel. “Il est inutile de résumer les 1.000 épisodes de One Piece. Mieux vaut cibler une scène précise qui éclaire l’argument qui vient d’être énoncé”, conseille Gilles Vervisch.

Prenons par exemple, la série Netflix Stranger Things. Le personnage principal appelé “Onze” et interprété par l’actrice américaine Millie Brown souffre d’amnésie et de stress post-traumatique qui la prive de ses pouvoirs surnaturels. Seule solution pour redevenir elle-même: se replonger dans son passé et faire resurgir des souvenirs douloureux qui sommeillaient jusqu’à présent dans son inconscient.

Le cas de figure d’Onze illustre bien la "méthode cathartique" utilisée par le psychanalyste Sigmund Freud pour guérir les patients de leur névrose. En laissant ces derniers s'exprimer sur leurs fantasmes, leurs désirs et leurs souvenirs passés, le psychanalyste parvient à guérir les malades des maux physiques et psychiques qui les rongent. Tout comme Anna O., première patiente de l'histoire de la psychanalyse freudienne, Onze fait l'expérience de la "talking cure" (la cure par la parole") et ses bienfaits thérapeutiques.

“On ne peut pas citer n’importe quoi, n’importe comment"

Mais prudence aux plus téméraires. À vouloir parfois faire trop original, le candidat prend aussi le risque que l’examinateur, en charge de la correction de sa copie, ne connaissent pas la référence pop culture utilisée. “Il ne faut pas en abuser, sinon la dissertation peut rapidement devenir vide de sens”, précise Gilles Vervisch.

“On ne peut pas citer n’importe quoi, n’importe comment”, avertit l'enseignant.

D’ailleurs, tous les professeurs de philosophie ne sont pas d’accord sur l’usage des références populaires dans la dissertation. Certains préféreront toujours des références dites “classiques” tirées de la philosophie, de la littérature ou encore de l’Histoire. En effet, ces références apparaissent d'emblée comme des valeurs sûres parce qu’elles font déjà consensus.

Lors du baccalauréat de philosophie, l’examinateur évaluera également la capacité du candidat à argumenter, mais également “son bagage intellectuel”. Or, à ce sujet, une référence à Platon ou à Hegel, sera davantage appréciée qu’une citation tirée du dernier album de Jul car “elle témoignera que le candidat a bien acquis de nouvelles connaissances en philosophie au cours de l'année écoulée”.

De fait, s'il n'est pas proscrit d'utiliser des références populaires en guise d'amorce ou d'exemple en dissertation, il est important de faire preuve d'habilité dans le choix de ces derniers. Une dissertation de philosophie ne saurait faire l'économie de références philosophiques et d'une réflexion argumentée. "La pop culture peut être utilisée seulement, si elle donne de la suite dans les idées aux élèves et leur permet de réfléchir. Si au contraire, il s'agit juste d'une citation de chanson -d'ailleurs un peu trop trivial- ça n'est pas très utile", conclut Gilles Vervisch.

Article original publié sur BFMTV.com