Dans « Babylon », Brad Pitt se raconte à travers la chute d’une vedette du cinéma muet

CINÉMA - L’acteur est-il en train de nous dire au revoir ? Depuis 2018, le retour de Damien Chazelle derrière la caméra commençait à se faire attendre. Porté par le succès retentissant de Whiplash et La La Land, et dans une moindre mesure de First Man, le cinéaste franco-américain était attendu au tournant avec son nouveau projet : Babylon, une fresque décadente et généreuse avec Brad Pitt, sur la révolution ayant eu lieu à Hollywood à la fin des années 20.

En salle ce mercredi 18 janvier en France, Babylon capture une époque rarement mis en lumière de l’histoire du cinéma américain, lors du passage du cinéma muet au cinéma sonore. Par les yeux du personnage de Manny Torres (Diego Calva), un simple assistant de cinéma, le film s’attache à suivre plusieurs figures de l’industrie de l’époque. Une jeune comédienne prometteuse mais rapidement ingérable (Margot Robbie), un trompettiste noir transformé en acteur (Jovan Adepo), une critique de cinéma acerbe (Jean Smart). Ou une vedette du cinéma muet désormais sur le déclin…

Retraite anticipée ?

Mais durant plus de trois heures, le personnage de Jack Conrad, campé par Brad Pitt, semble presque vouloir nous dire adieu dans ce film en forme de lettre d’amour (et de haine) à l’industrie hollywoodienne. D’autant plus que l’acteur, aujourd’hui âgé de 59 ans, a ici l’occasion de se raconter (une dernière fois ?) en tant que vedette du cinéma, après avoir fait savoir qu’il comptait progressivement prendre ses distances avec cette industrie. La même qui, dans Babylon, ronge Jack Conrad jusqu’à l’os avant de le recracher, épuisé, ivre et seul.

Brad Pitt incarne à la perfection Jack Conrad dans « Babylon ». Une vedette du cinéma muet devenu pratiquement obsolète après la transition au cinéma parlant dans le Hollywood du début des années 30.
Paramount Pictures Brad Pitt incarne à la perfection Jack Conrad dans « Babylon ». Une vedette du cinéma muet devenu pratiquement obsolète après la transition au cinéma parlant dans le Hollywood du début des années 30.

Brad Pitt songe même à la retraite, comme il l’avait encore déclaré au JDD en juillet dernier. « J’entame la dernière ligne droite, l’ultime saison », exprimait alors le comédien maintes fois récompensé pour ses rôles iconiques : L’armée des douze singes, Once Upon a Time in Hollywood, Twelve Years a Slave ou L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. « J’ignore combien de jours il me reste à vivre et combien de jours je vais pouvoir continuer à jouer la comédie », ajoutait l’acteur, s’estimant sur « la pente déclinante ».

« J’ai d’autres choses à faire à présent. Quand vous sentez que vous maîtrisez quelque chose, cela veut dire qu’il est temps d’aller vers une autre aventure », avait aussi déclaré Brad Pitt au New York Times au moment de la sortie d’Ad Astra et du dernier Quentin Tarantino en 2019, préfigurant une suite de carrière dans la production, comme c’est déjà le cas depuis plusieurs années.

Pourtant, dans Babylon, il livre une nouvelle prestation de grande classe. Comme un adieu à sa profession d’acteur, après une carrière chargée de chefs-d’œuvre.

Jack Conrad/Brad Pitt, même combat

Si Brad Pitt n’a pas été confronté à la même révolution technique que son personnage dans Babylon, de nombreux parallèles existent pourtant entre l’acteur fictif et son pendant, lui bien réel. Qu’il s’agisse de la dépendance à l’alcool de Jack Conrad ou de celle de Brad Pitt (à l’origine de sa rupture avec l’actrice Angelina Jolie) ou de leur amour pour les femmes, le comédien semble avoir mis beaucoup de lui dans ce film.

Il n’est d’ailleurs pas exagéré de dire que Jack Conrad est accompagné d’une femme différente dans chaque scène où il apparaît dans la première partie du film. Un détail qui n’est pas sans rappeler les nombreuses relations de l’acteur au cours de sa carrière : Gwyneth Paltrow, Jennifer Aniston, Juliette Lewis, Angelina Jolie…

Mais le succès est parfois vicieux. Telle une drogue, Jack Conrad ne semble pas vouloir raccrocher, bien que poussé vers la sortie. Une idée illustrée lors d’une scène où Jack Conrad se confronte à sa propre image d’acteur dans une salle de cinéma. Jusqu’alors adulé pour ses prestations muettes, le film parlant dans lequel il se voit alors fait rire à gorge déployée les spectateurs. De quoi plonger l’acteur fictif dans une profonde introspection sur sa place et sa longévité en tant que star de cinéma, broyé par un système qui remplace aussi vite qu’il oublie.

Dans « Babylon », le personnage joué par l’actrice Jean Smart offre une véritable introspection au personnage de Brad Pitt, faisant écho à sa propre carrière, celle de l’une des plus grandes stars encore en activité à Hollywood.
Paramount Pictures Dans « Babylon », le personnage joué par l’actrice Jean Smart offre une véritable introspection au personnage de Brad Pitt, faisant écho à sa propre carrière, celle de l’une des plus grandes stars encore en activité à Hollywood.

Pourtant, Brad Pitt comme Jack Conrad partagent cette image de vedette éternelle. Et c’est un dialogue en toute fin de film entre le personnage de Brad Pitt et celui de la journaliste jouée par Jean Smart qui vient d’ailleurs résumer à la perfection cette idée : dans cette scène, la critique Elinor St. John fait réaliser à Jack Conrad le pouvoir intemporel des acteurs, dont les rôles survivront bien après leur mort. De quoi faire écho aux récentes déclarations de Brad Pitt.

Dans un numéro Great Performances de W Magazine, Brad Pitt a lui-même tissé un lien entre son personnage et sa propre vie. Évoquant la mélancolie de Jack Conrad dans le film, il déclare : « Malheureusement, cette mélancolie est peut-être ma manière naturelle d’être. Une certaine mélancolie congénitale [... ] il y a une lassitude du monde à laquelle je peux certainement m’identifier un peu ».

Miroir déformé du dernier Tarantino

Dans ce qui pourrait donc être l’un des derniers grands rôles de Brad Pitt sur grand écran, Damien Chazelle pose un regard différent sur l’acteur américain. À la limite d’un miroir inversé de son rôle très second degré dans Once Upon A Time In Hollywood de Quentin Tarantino, sorti en 2019. Un long-métrage qui faisait déjà office de chant du cygne pour l’acteur, enfin récompensé d’un Oscar pour son interprétation de Cliff Booth.

Mais là ou Brad Pitt jouait de son charme physique et de son humour pour incarner un cascadeur dans l’ombre de la vedette de cinéma Rick Dalton (Leonardo Di Caprio), ici la vedette c’est lui. Un charmeur, exubérant et dépassé, comme l’était aussi Rick Dalton dans Once Upon A Time In Hollywood.

Leonardo DiCaprio et Brad Pitt formaient le duo Rick Dalton/Cliff Booth dans le film de Quentin Tarantino sorti en 2019 au cinéma.
Sony Pictures Leonardo DiCaprio et Brad Pitt formaient le duo Rick Dalton/Cliff Booth dans le film de Quentin Tarantino sorti en 2019 au cinéma.

Obligé d’accepter consciemment des rôles dans des « navets » pour payer ses factures et entretenir son train de vie décadent, le Jack Conrad de Babylon est pleinement intégré au système hollywoodien. À l’inverse, dans le neuvième film de Quentin Tarantino, le personnage de Cliff Booth en était quasiment exclu.

Deux grandes incarnations aux antipodes pour Brad Pitt, sauf que dans Babylon, la réalité vient finalement frapper à la porte de son personnage, là ou la rêverie et le conte prenait le pas sur la réalité dans la conclusion de Once Upon A Time In Hollywood. Mais comme Babylon n’est finalement qu’une fiction, on compte encore sur Brad Pitt pour nous offrir quelques belles années de cinéma à ses côtés.

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