Aya Nakamura, Wejdene, Lynda, Imen Es... quand le R&B français féminin renaît de ses cendres

Aya Nakamura, Lynda, Wejdene et Imen Es - Montage BFMTV.com - Captures d'écran YouTube
Aya Nakamura, Lynda, Wejdene et Imen Es - Montage BFMTV.com - Captures d'écran YouTube

Elles s'appelaient Leslie, Sheryfa Luna, Kenza Farah ou encore Nâdiya, et elles ont monopolisé les baladeurs mp3 de toute une génération d'adolescents. Ambassadrices du R&B à la française qui a cartonné à l'aube du XXIè siècle, elles ont peu à peu quitté le devant de la scène, emportant avec elles un genre musical qui avait, depuis, quasiment disparu de nos ondes; jusqu'à aujourd'hui.

Car quinze ans après les succès d'Assia ou de Wallen, une nouvelle génération d'artistes s'empare du flambeau et rallume la flamme. 2020 aura été un cru particulièrement prolifique: Wejdene s'est imposée comme un phénomène avec les titres Anissa puis Coco (tous les deux certifiés single d'or), Imen Es a cartonné avec l'entêtant 1ère fois au printemps dernier, Eva Queen fascine les adolescents et Lynda, nouvelle arrivante, sortira son premier album Papillon le 16 octobre, porté par la ballade Si tu m'aimes.

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"La bascule s'est faite avec Aya Nakamura", estime Morgan Serrano, directeur des programmes de NRJ, qui constate le retour du R&B sur ses ondes. "C'est souvent le cas: un artiste ou une chanson forte entraîne avec lui d'autres artistes. On peut prendre l'exemple de Nirvana et des quarante groupes de rock qui sont arrivés derrière, ou de David Guetta et Bob Sinclar qui ont créé un mouvement dance."

Aya Nakamura, la sauveuse

Le succès de l'interprète de Jolie Nana avait effectivement de quoi faire des émules: à l'été 2018, il était impossible de passer à côté de son Djadja, extrait de son deuxième album Nakamura - certifié depuis double disque de platine. Ses tubes ont emballé les auditeurs jusqu'aux États-Unis, où elle a été adoubée par Rihanna, Madonna et du New York Times.

Ce succès commercial a rebattu les cartes d'un genre en deshérence. Il suffit de regarder les chiffres de ventes des chanteuses R&B des années 2000: leurs derniers albums certifiés remontent, au mieux, à 2007. Avant qu'elles ne désertent le devant de la scène, après une décennie pourtant clémente:

"Le R&B français est arrivé un peu après l’émergence aux États-Unis du New Jack Swing, un courant de la fin des années 1980. C’est un mélange entre chant hérité du gospel et rythmiques hip-hop et rap", raconte Marc Fanelli-Isla, auteur du livre R&B, entre pop et Black music (Carpentier Éditions). "Matt Houston, Assia, Wallen et Singuila l'ont popularisé chez nous dans les années 1990."

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Une exception française

Inspirées par le succès d'artistes américaines comme Aaliyah, Brandy ou les Destiny's Child, les chanteuses de R&B français ont prospéré jusqu'à se heurter à un "problème culturel", selon le spécialiste:

"Aux États-Unis, les paroles de R&B peuvent être très légères. En France, on a la culture des paroliers. Tandis que le rap français continuait à être recherché au niveau des textes, le R&B est devenu un genre dont on se moquait. L'apothéose, c'est le sketch de Gad Elmaleh." En 2005, dans son spectacle L'autre c'est moi, l'humoriste proposait une séquence dans laquelle il raillait ce style musical, où "les mecs inventent des mots".

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Marc Fanelli-Isla évoque l'exception de Corneille, ambassadeur du R&B francophone des années 2000, qui chantait ses histoires d'amour mais parlait aussi du génocide au Rwanda, auquel il a survécu enfant: "À l'époque, ses textes ont touché tout le monde."

"Le R&B des années 2000 a connu la même trajectoire que le yéyé des années 1960", compare-t-il. "On avait toute une génération de chanteurs qui imitaient le rock américain, et on sentait que quelque chose n'allait pas. L'imitation était incomplète." À ce choc des cultures s'est ajouté le contexte économique difficile du début du siècle: "Les ventes de CD ont chuté, beaucoup de contrats ont été arrêtés, et on a choisi de mettre le rap en avant plutôt que le R&B."

Place au rap mâtiné de R&B

Cette disparition du R&B laisse au rap le champ libre pour se diversifier. Il devient plus mélodieux et, des deux côtés de l'Atlantique, des rappeurs comme Drake ou Booba se mettent à chanter eux-mêmes leurs refrains. Au début des années 2010, Sexion d'assaut cartonne avec un rap chanté, dans des tubes comme Désolé ou Wati By Night. Gims et Black M poursuivent le mouvement dans leurs carrières solo. En parallèle, une nouvelle scène R&B commence à se constituer aux États-Unis: le milieu des années 2010 voit émerger les noms de Kehlani, Tinashe, Jené Aiko, Jorja Smith...

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Les rappeurs-chanteurs français, comme Dadju (le jeune frère de Gims), définissent alors les contours d'un nouveau R&B, teinté des influences de leur pays d'origine. Après les sonorités souvent orientales des années 2000 (Wallen ou Leslie se sont parfois rapprochées du raï, notamment avec les morceaux L'Olivier et Sobri), ce sont les instruments à cordes de l'Afrique subsaharienne qui se font une place dans leurs arrangements, puis ceux d'Aya Nakamura: "Les musiques urbaines s'africanisent grâce à des artistes qui injectent la culture de leurs parents", analyse Marc Fanelli-Isla. "En Afrique, la tradition va plus vers le chant que le rap."

"Ils nous ont ouvert des portes", nous confirme la chanteuse Lynda. "Ils ont amené cette ouverture musicale qui nous a permis d'arriver par la suite."

Prendre le relai

Celle qui se considère comme une "chanteuse tout court" avant d'être une chanteuse de R&B reconnaît que ce genre musical l'a "bercée": "Bien sûr, j'ai écouté Sheryfa Luna, Kenza Farah. Elles ont marqué une certaine époque. C'est une musique que je kiffe, elle fait partie de moi."

Si bien qu'elle a pris part à un hommage commun à Vitaa, l'une des rares stars de l'époque qui a survécu au temps. En quatuor avec Imen Es, Eva Queen et Lyna Mahyem, elle a repris Ma Soeur, tube de 2007 et "morceau de légende" pour elle, dans l'émission Planète rap sur Skyrock. Comme pour symboliser la prise de relai.

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"On est toutes dans la même lignée, au même moment, mais chacune amène son truc et c'est ça qui fait à nouveau marcher le business sur les filles", analyse-t-elle. Pour elle, le genre avait disparu parce que "c'est plus compliqué" pour la gent féminine: "Il y a beaucoup de talents, mais il fallait un moment où on arrive toutes en mêmes temps. Grâce à cet effet de bande, on est présentes petit à petit."

Les grandes sœurs ne sont jamais très loin: Imen Es chante en duo avec Amel Bent sur le titre Jusqu'au bout et a convié Zaho, ancienne gloire du R&B à la française, sur son premier album.

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Filles d'aujourd'hui

C'est aussi en apportant un nouveau point de vue sur les thématiques féminines que ces nouvelles chanteuses réussissent à s'imposer: "Aya Nakamura, c'est le girl power: une femme qui s'affirme et qui ne se laisse pas faire", décrypte Alexandra Bouchou, responsable de la programmation musicale sur NRJ. "Dans 1ère fois, Imen Es dénonce les violences conjugales. Ce sont des sujets qui touchent énormément les jeunes filles d'aujourd'hui." Loin des ballades de Sheryfa Luna ou Vitaa, qui chantaient dans Il avait les mots, Confessions nocturnes ou Pourquoi les hommes les infidélités dont elles étaient victimes.

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Même twist dans Si tu m'aimes de Lynda: "J’ai voulu évoquer ce thème, celui de la femme qui trahit", expliquait-elle à MCE en avril dernier. "La logique fait que c’est tout le temps les hommes qui trompent et qui regrettent, mais on ne parle pas assez des femmes qui trompent."

Reste à savoir si le R&B français des années 2020 réussira à s'imposer sur la durée. "Il manque des gens qui font l'unanimité dans ce genre", explique Marc Fanelli-Isla. "Le R&B n'a jamais obtenu ses lettres de noblesse chez nous; en France, quand un artiste R&B sonne vraiment bien, on parle de soul. C'est le cas d'Alicia Keys, de John Legend ou de Luke James. Ça a tellement été connoté négativement. Pourtant, les influences de cette musique sont partout: on la retrouve dans les voix de chanteurs pop qui cartonnent, comme Ed Sheeran, Justin Bieber ou Robin Thicke. C’est juste une façon de chanter qui est héritière du gospel."

En 2019, le chanteur Corneille prédisait dans nos colonnes l'impact qu'aurait Aya Nakamura sur le paysage musical français: "Peut-être qu’elle commence quelque chose. J’ai l’impression que son succès dit qu’il y a peut-être de la place pour ça". Il avait raison.

Article original publié sur BFMTV.com