Quel avenir pour Élisabeth Borne fragilisée après le 49.3 sur la réforme des retraites ?

La Première ministre Elisabeth Borne à l'Assemblée nationale le 28 février 2023 - BERTRAND GUAY © 2019 AFP
La Première ministre Elisabeth Borne à l'Assemblée nationale le 28 février 2023 - BERTRAND GUAY © 2019 AFP

La Première ministre est fragilisée après le passage en force du gouvernement sur la réforme des retraites. Elle renvoie la question de sa démission au vote des motions de censure et appelle pour la suite à "chercher des compromis".

"Madame Borne a parfaitement joué le rôle de fusible et a brûlé au cours de cette séance, en quelque sorte". Les mots sont de Jean-Luc Mélenchon. Le leader de La France insoumise (LFI) les a prononcés peu après que la Première ministre a déclenché l'article 49.3 sur la réforme des retraites pour faire passer son texte sans vote des députés.

Dans sa métaphore, le triple candidat à la présidentielle, sous-entend que l'avenir de la cheffe du gouvernement s'écrit loin de Matignon. Les raisons de le croire sont nombreuses.

La réforme, un "fiasco sur tous les plans"

Certes, Emmanuel Macron est à l'origine de ce projet de loi, dont il avait esquissé les contours durant sa campagne présidentielle, mais c'est bien Élisabeth Borne qui l'a ensuite porté. Elle est "en première ligne" et "porte la responsabilité" d'un "fiasco sur tous les plans" pointe Matthieu Croissandeau, éditorialiste politique sur BFMTV.

Premier grief: les "couacs", sur le "fond", symbole d'une réforme "mal ficelée, mal fagotée". L'exemple le plus significatif est la promesse d'une pension minimale de 1 200 euros pour les retraités. Sur ce sujet, le gouvernement a été mis en difficulté à plusieurs reprises, aussi bien sur les conditions à remplir pour bénéficier de cette mesure, que sur le nombre de personnes concernées.

Raté sur l'accord avec LR

Ensuite, Élisabeth Borne a également fait plusieurs erreurs "sur la forme". Celles de "sous-estimer" les syndicats et de "surestimer" Les Républicains (LR) dont elle espérait le soutien, sa majorité à l'Assemblée n'étant que relative.

Concernant les centrales, il ne suffisait " pas de les recevoir (à l'automne dernier) pendant trois mois pour ne rien leur lâcher". Pour ce qui est des députés de droite, l'ancienne socialiste est tombée sur une "troupe incapable de montrer une forme d'unité" et donc d'assurer à l'exécutif une majorité absolue.

Tout au long des débats autour de la réforme, Élisabeth Borne a multiplié les gestes - sur les carrières longues, les seniors, les petites pensions - en espérant convaincre les bancs de LR. La Première ministre a même topé avec les chapeaux à plume du parti - son président, Éric Ciotti, le chef du groupe de députés, Olivier Marleix, le patron des sénateurs de droite, Bruno Retailleau - mais cela n'a pas suffit.

D'autres élus, proches du député Aurélien Pradié ou du président de région Laurent Wauquiez, sont restés fermes, refusant de voter la réforme en raison notamment de désaccords sur les carrières longues. Résultat: après avoir surjoué la confiance - Élisabeth Borne a répété 12 fois "une majorité existe" ce mardi lors des questions au gouvernement - l'exécutif a finalement dégainé le 49.3.

"Il faut partir madame"

Tout un symbole pour la locataire de Matignon, dont le discours de politique générale cet été avait tourné autour de sa volonté de "bâtir" des "compromis" au Parlement.

"Élisabeth Borne prônait la concertation, là elle a fait le choix de la brutalité. Elle est devenue assez inaudible à l'image de son discours hier où sa voix était couverte par les huées des députés", analyse Matthieu Croissandeau.

La voilà désormais très fragile. "Il faut partir madame", lui a dit Marine Le Pen, patronne des députés du Rassemblement national (RN). En ce sens, son groupe compte déposer une motion de censure. Cette disposition, si elle réunit la majorité absolue des voix de l'Assemblée nationale (actuellement fixée à 287), peut entraîner la démission du gouvernement et de sa cheffe.

Celle de l'extrême droite n'a aucune chance d'aboutir, la gauche refusant de la voter. En revanche, une autre, se voulant transpartisane et portée par le centriste Charles de Courson pourrait davantage menacer l'exécutif.

237 voix sont déjà assurées: celles des groupes politiques de gauche composant la Nupes (149) et celles du Rassemblement national (88). A ces voix s'ajouteraient celles de députés non-inscrits opposés au texte (+3 ou 4) et donc celles de la plupart des membres du groupe LIOT (+15 ou 16). Soit un total, au mieux, de 257 voix.

Les LR en désaccord sur la motion de censure transpartisane

Une nouvelle fois les élus LR sont divisés. Éric Ciotti a annoncé qu'aucun député de sa formation ne voterait la motion. Mais visiblement, le patron de la rue de Vaugirard a bien du mal à tenir son groupe, dont "les 60 nuances" sont régulièrement moquées par ses opposants. Ainsi, certains pourraient se prononcer favorablement sur la motion de censure.

Aurélien Pradié va se "poser la question" durant le week-end. Pierre Cordier, député apparenté LR, était plus affirmatif sur BFMTV ce jeudi.

"On m'a déjà privé de mon droit de vote sur un texte si important, vous imaginez bien que sur une motion de censure pour censurer le gouvernement, je n'hésiterai pas."

Mais cela serait-il suffisant ? Il faudrait au moins une trentaine de voix de LR pour adopter la motion, soit un peu plus du nombre d'élus de ce groupe qui étaient prêts à voter contre la réforme des retraites ou s'abstenir, selon nos informations.

"Pas un enjeu personnel"

Interrogée sur un éventuel départ, Élisabeth Borne a renvoyé son sort à celui de la motion de censure, rappelant qu'elle a "engagé [sa] responsabilité, celle de [son] gouvernement]", avec l'utilisation du 49.3.

Pour elle, la question de sa démission n"'est pas un enjeu personnel". La Première ministre a ainsi rappelé son mantra, indiquant que l'important est de "construire en continuant à chercher des compromis, des bonnes réponses".

Mais Élisabeth Borne peut-elle encore incarner cette méthode? "Elle est affaiblie et fragilisée sur le plan politique. On voit mal comment elle pourrait parvenir à rasseoir son autorité, sa légitimité et porter les nouvelles réformes que ne manquera pas de souhaiter l'Élysée", relève Matthieu Croissandeau.

Article original publié sur BFMTV.com

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